jeudi 28 septembre 2017

Séance 2


HOT ARIEGE
L’émission qui va vous faire taper du pied 
avec un paquet de blue notes 
et la rage du swing























Séance 2


1/ Fats Domino
On commence tout de suite avec un artiste incontournable à plus d’un titre : Antoine Fats Domino, né en 1929 et toujours vivant. Fats Domino se situe à la lisière de plusieurs styles : blues, rhythm and blues, rock ‘n’ roll. Il s’inscrit pleinement dans la tradition des chanteurs de blues de la Nouvelle-Orléans avec un style exubérant et un jeu de piano basé sur le boogie woogie. C’est aussi un des vrais créateurs noirs du rock ‘n’ roll, à côté de figures telles que Louis Jordan ou Big Joe Turner. 
Fats Domino a commencé sa carrière au sein de l’orchestre du saxophoniste Dave Bartholomew. Il enregistre sous son nom en 1949 pour la marque locale Imperial qui démarrait à ce moment-là. Il remporte immédiatement un premier succès avec The Fat Man. On l’écoute. 
The Fat Man est un immense succès commercial. Le million d’exemplaires vendus est rapidement atteint. La marque Imperial décolle. Fats Domino a ouvert la voie à de nombreux chanteurs locaux, comme Archibald ou Smiley Lewis. Le style rhythm ans blues de la Nouvelle Orléans est né.
Fats Domino est l’un de ceux qui ont contribué à faire tomber la barrière entre les publics, noir et blanc, et les hit-parades. Jusqu’ici les succès des noirs étaient copiés par des artistes blancs – ce qu’on a appelé les « cover versions » – qui les capitalisaient au profit d’un public blanc plus large. Les nombreux succès de Fats Domino, notamment Ain’t That A Shame enregistré en 1955, vont être classés dans la même rubrique que les chansons des blancs dans le Billboard, le magazine américain qui publie les hit-parades, tandis que les cover versions de Pat Boone feront un flop retentissant.
Fats Domino est l’auteur d’une série incroyable de standards : Don’t You Lie To Me, Hey Là-bas, Going Home, Blueberry Hill, I’m Ready, I’m In A Love Again, Blue Monday, My Girl Josephine… Aucun autre chanteur de rhythm and blues n’a eu autant de succès que lui. Fats Domino est incontestablement le king du rhythm and blues, un king qui a réussi à percer pleinement dans le rock ‘n’ roll.
Si quelqu’un mérite d’être qualifié de légende vivante, c’est bien Fats Domino !


2/ Memphis Slim
Au début des années soixante, l’Europe méconnaît totalement le blues, assimilé à un art mort ayant existé au début du XXème siècle comme l’une des sources du jazz et ayant disparu par la suite. C’est évidemment une méprise totale puisqu’après une longue vie à côté du jazz le blues a connu une espèce de nouvel âge d’or après la guerre, notamment grâce à la guitare électrique et qu’à cette période les clubs noirs des grandes villes américaines présentent de nombreux bluesmen d’une valeur inestimable, comme John Lee Hooker, Muddy Waters ou Howlin’ Wolf.
Big Bill Broonzy est venu en Europe dès 1951. Mais c’est un artiste qui représente plutôt le blues d’avant guerre. Des Britanniques, Chris Barber, Alexis Korner, vont faire venir au Royaume Uni en 1958 un artiste vraiment représentatif du blues moderne, Muddy Waters. Mais c’est une opération ponctuelle, sans lendemain et sans répercussion dans le reste de l’Europe. Ce sont deux allemands, Horst Lippmann et Fritz Rau, qui vont avoir l’idée de génie : organiser des tournées de bluesmen dans toute l’Europe. La première tournée démarre en 1962 avec John Lee Hooker, le pianiste Memphis Slim, le duo formé par l’harmoniciste Sonny Terry et le guitariste Brownie McGhee, le contrebassiste Willie Dixon, l’harmoniciste Shakey Jake, le guitariste T-Bone Walker, la chanteuse Helen Humes et le batteur Jump Jackson.
Voici We’re Gonna Rock enregistré le 18 octobre 1962 à Hambourg avec Memphis Slim au chant et au piano, T-Bone Walker à la guitare, Willie Dixon à la contrebasse et Jump Jackson à la batterie.
La tournée de l’American Folk Blues Festival de 1962 a connu un immense succès. Je l’avais signalé dans l’émission précédente, le 45 tours de John Lee Hooker enregistré lors de cette tournée avec le morceau Shake It Baby se vend en France à plus de cent mille exemplaires. Dès lors, les tournées de l’American Folk Blues Festival ont lieu chaque année par la suite. Elles se prolongeront jusqu’en 1972, avant de disparaître concurrencées par d’autres tournées. Elles auront permis de faire découvrir au public européen des géants tels que Lightnin’ Hopkins, Muddy Waters, Howlin’ Wolf et bien d’autres. Ces tournées ont une importance historique considérable. Elles ont influencé une grande quantité de jeunes musiciens, notamment britanniques, qui se feront un nom dans la pop music quelques années plus tard. 

Un mot sur Memphis Slim, l’auteur de We’re Gonna Rock. Son vrai nom est John Len Chatman et il a pris le nom de son père, Peter. Il est né en 1915 à Memphis dans le Tennessee. C’est là qu’il rencontre Roosevelt Sykes qui devient son mentor. Il s’établit à Chicago en 1937 et commence à enregistrer en 1940 pour les marques Okeh et Bluebird. Il remporte un succès avec Beer Drinkin’ Woman. Dès lors il ne cesse plus d’enregistrer. Son morceau le plus connu est Everyday I Have The Blues, devenu un standard du blues. En 1959, Memphis Slim s’associe à Willie Dixon avec lequel il monte un duo piano / contrebasse qui connaît un grand succès auprès du public du blues revival. En 1961, il se fixe à Paris et joue notamment au cabaret les « Trois Mailletz » jusqu’en 1974. C’est ce qui explique qu’il soit devenu un bluesman connu en France. Il est mort en février 1998.
Memphis Slim est l’archétype du pianiste de Chicago, émule de Roosevelt Sykes et particulièrement brillant dans les boogie-woogies. 


3/ Rolling Stones
Inutile de présenter les artistes qui suivent car tout le monde les connaît. Il s’agit des Rolling Stones, qui connaissaient déjà le blues avant les tournées de l’American Folk Blues Festival. Keith Richards, le guitariste, raconte dans son autobiographie, Life, parue chez Robert Laffont en 2010, que comme Mick Jagger il connaissait  Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Lightnin’ Hopkins, Buddy Guy et d’autres encore dès 1959, à l’âge de 15-16 ans. Jagger, Richards et Charlie Watts, le batteur, ont participé à partir d’avril 1962 au groupe d’Alexis Korner, Blues Incorporated, qui cherchait à percer en jouant du blues.
En fait, le succès des Rolling Stones, au moins au début, est dû plutôt à des reprises de morceaux de Chuck Berry qu’à des blues purs et durs. Ainsi leur premier 45 tours sorti en 1963 comporte sur la face A Come On, une reprise de Chuck Berry, et sur la face B I Want To Be Loved, un blues de Willie Dixon. Mais c’est bien la face A, Come On, qui assure leur première notoriété.
On écoute à présent un morceau paru l’année suivante, en 1964, Around and Around. Le groupe se compose alors de Jagger au chant, Richards et Jones aux guitares, Bill Wyman à la basse et Charlie Watts à la batterie.
Rappelons que le nom du groupe des Rolling Stones, les pierres qui roulent, a été choisi par le leader d’origine du groupe, Brian Jones, en référence à une chanson de Muddy Waters, Rollin’ Stone. La notoriété mondiale des Rolling Stones ne viendra que l’année suivante, en 1965, avec le morceau I Can’t Get No (Satisfaction). 


4/ Mississippi Fred McDowell
On connaît la suite de l’histoire des Rolling Stones qui ont inscrit de nombreux blues à leur répertoire jusqu’à leur dernier album de 2017, Blue & Lonesome, qui est constitué intégralement de reprises de Little Walter, Howlin’ Wolf, Magic Sam et autres.
Mais c’est en 1971 qu’ils ont inclus dans leur album Sticky Fingers, un morceau intitulé You Gotta Move que le bluesman Mississippi Fred McDowell avait enregistré six ans auparavant.
On écoute le morceau original You Got To Move, enregistré par Fred McDowell en public à New-York en novembre 1971.
Fred McDowell est né en 1904 dans le Tennessee, il est mort en 1972. C’est l’un des très grands bluesmen du Delta du Mississippi, l’un des lieux de naissance du blues. Il a exercé différents métiers, poseur de traverses, ouvrier tonnelier, ouvrier agricole, avant d’être découvert en 1959 par le grand ethnomusicologue Alan Lomax qui le fait enregistrer. Mississippi Fred McDowell signe chez Atlantic et Prestige. C’est en 1964 qu’il connaît la consécration avec la publication de deux albums remarquables : « My Home Is On The Delta » et « Mississippi Delta Blues ». Par la suite Fred McDowell devient l’une des grandes figures du blues revival des années soixante. Sans pour autant répugner à utiliser la guitare électrique malgré la prévention du public folk. A l’instar de You Got To Move, les morceaux qu’il grave de la fin des années soixante jusqu’à sa mort en 1972 en utilisant la guitare électrique sont de toute beauté. Il nous a laissé des disques fantastiques. Citons Mississippi Delta Blues enregistré pour Arhoolie en 1964 et I Do Not Play No Rock And Roll, paru en 1971 chez Capitol.  
Mississippi Fred McDowell est un digne représentant du blues rural du Mississippi. Il est la principale découverte du blues revival. On ne saurait trop remercier les musicologues qui ont accompli des recherches difficiles dans les années quarante cinquante pour trouver, ou parfois retrouver, des artistes qui comptent parmi les plus grands noms du blues et les faire enregistrer.


5/ The City Ramblers Skiffle Group
Parallèlement au rock ‘n’ roll, un autre courant plus méconnu représenta une forme de pont entre la musique européenne et le blues. Il s’agit d’un style né en Grande-Bretagne à la fin des années cinquante, qu’on a appelé le skiffle. Ce style est l’aboutissement d’un revival entrepris en faveur du jazz traditionnel de la Nouvelle-Orléans. C’est ainsi que le tromboniste Chris Barber, qui joua après guerre en Angleterre le même rôle que Claude Luter en France pour populariser la musique de Sidney Bechet et des débuts de Louis Armstrong, en fut l’une des principales figures. 
Ce courant, au début très minoritaire, est venu sur le devant de la scène en 1958 lorsque Lonnie Donegan (son vrai nom est Tony Donegan mais il s’est fait appeler Lonnie en l’honneur du bluesman Lonnie Johnson) enregistra le morceau Rock Island Line du bluesman Huddie Ledbetter, connu sous le nom de Leadbelly. Avec Cliff Richard et les Shadows, Lonnie Donegan est le chanteur anglais qui aura eu le plus de succès avant l’apparition des Beatles.
Une multitude de groupes apparurent alors avec l’appui d’une instrumentation hétéroclite, parfois proche de celle des jugs bands, ces groupes d’orchestres composés d’instruments à cordes qui sévissaient dans les années vingt et trente, notamment aux alentours de la ville de Memphis dans le Tennessee. Le mot « jug » signifie jarre : le musicien soufflait dans une bouteille, ce qui produisait un son étouffé assez saisissant. Les groupes de skiffle avaient aussi parfois une consonance proche des groupes celtiques qui apparaîtront quelques années plus tard.
Voici Keep Your Pistol Good And Loaded, enregistré en 1957 par The City Ramblers Skiffle Group. 
Dans son ouvrage « Le blues moderne 1945 –1973 » paru chez Albin Michel en 1973, Philippe Bas-Rabérin note : « Socialement, ce genre musical correspondait à diverses aspirations de gauche … : les marches pour la paix ou contre la défense nucléaire étaient la plupart du temps servies par un orchestre « trad » ou de skiffle. »
En France ce courant a été représenté par Hugues Aufray, propulsé en tête du hit-parade en décembre 1961 avec la chanson Santiano. Ce style venu du Royaume Uni, le skiffle, ne doit pas être confondu avec le courant folk américain qui a connu un regain d’intérêt avec les succès de Bob Dylan à partir du milieu des années soixante et qui se place après le rock ‘n’ roll. Mais les deux ont puisé dans le répertoire du folk américain des années trente, Woody Guthrie, Leadbelly, et jouent dans le même registre.
En fait le skiffle a disparu assez rapidement. Il a été étouffé en Angleterre par la popularité des Shadows, à la sonorité rock et électrique, eux-mêmes balayés ensuite par la vague des Beatles et des Rolling Stones.


6/ The Gospelaires Of Dayton
Un autre genre représente une influence majeure sur la musique populaire, y compris sur le blues lui-même puisque ce genre lui est antérieur, il s’agit du gospel.
La musique religieuse est présente très tôt chez les esclaves noirs américains (on parle de negro spirituals), peut-être dès le XVIIIème siècle alors que les premières formes de blues n’apparaissent qu’après la guerre de Sécession, vers la fin du XIXème  siècle. 
Parmi les interprètes les plus connus de gospel, on peut citer le Golden Gate Quartet, Sister Rosetta Tharpe, Mahalia Jackson, les Dixie Hummingbirds et les Blind Boys of Alabama. 
On écoute Ride This Train, un morceau enregistré par The Gospelaires Of Dayton en 1961. Melvyn Pullen et Charles McLean sont les ténors, Robert Washington, Frank Peoples et Paul Arnold les barytons, enfin Robert Latimore le chef du groupe tient la guitare et la batterie.
The Gospelaires Of Dayton sont une illustration de l’évolution du gospel dans les années soixante. La musique sacrée s’ouvre à l’influence de la musique profane. La première innovation vient des Pilgrim Jubilees Of Chicago qui font appel en 1959 au pilier du blues de Chicago Willie Dixon et à sa basse électrique. Dès lors le mouvement est lancé. De nouveaux groupes émergent. Ces groupes sont composés exactement de la même manière que les orchestres de blues avec guitares électriques, basse, batterie, piano etc. Bien sûr l’orgue joue un rôle important dans ce registre.
Les Gospelaires Of Dayton ont à ma connaissance commencé à enregistrer en 1957. Ride This Train, qui date de 1961, est leur composition la plus connue. A signaler également A Sad Song paru en 1968.  


7/ The Dominoes
L’influence des negro spirituals sur les groupes vocaux des années soixante est évidemment importante. 
Citons Charlie Gillett, qui écrit dans son ouvrage The sound of the city - histoire du rock ‘n’ roll, écrit en 1970 paru chez Albin Michel en 1986 : « Le style des groupes vocaux était presque un retour en arrière… La plupart des groupes vocaux noirs qui apparurent à cette époque étaient jeunes, inexpérimentés et avaient pour chanteurs des amateurs qui répétaient dans des installations improvisées sans bénéficier de la présence de musiciens qui puissent les aider pour leurs arrangements. Pour compenser, chacun des chanteurs d’arrière-plan devait inventer une partie ayant un impact plus rythmique qu’harmonique, et c’étaient souvent à cause de leurs ingénieux contre-chants que leurs disques retenaient l’attention ».
C’était incontestablement le cas pour des groupes comme les Chords ou Frankie Lymon et les Teenagers qui chantaient des mièvreries de variété. En revanche, un groupe comme celui des Dominoes, dont le chanteur vedette était Clyde McPhatter, était extrêmement professionnel. Et la filiation avec le gospel est directe en ce qui les concerne puisque le groupe a été formé en 1950 par un professeur de gospel de New-York, Bill Ward. 
Voici Sixty Minute Man par les Dominoes, un morceau de 1951 qui fait la part belle à Bill Brown, le chanteur de basse du groupe, avec Bill Ward au piano.
Notons que les paroles n’ont rien à voir avec le gospel :
Si votre homme vous traite pas bien,
Venez donc voir le père Dan ;
J’les fais balancer et j’les fais rouler toute la nuit ;
Je suis l’homme des soixante minutes.
Si vous voulez des détails et des compléments, vous avez ce qu’il vous faut dans le refrain :
Il y aura quinze minutes de baisers,
Puis tu crieras : « Oh, s’il te plaît n’arrête pas ! »
Il y aura quinze minutes de caresses
Et quinze minutes d’effusion
Et quinze minutes où je me mettrai en rogne.
Et dans ce contexte, les soupirs éloquents de Clyde McPhatter à l’arrière plan et les « Don’t Stop ! », n’arrête pas !, qu’il balance au moment voulu sont plus que suggestifs. A noter l’utilisation dans la chanson des termes « rock » et « roll » dès 1951 : I rock ‘em, roll ‘em all night long.
Dois-je préciser que dans le climat de l’Amérique puritaine des années cinquante, la chanson a été interdite sur de nombreuses radios ? Cela n’a en tout cas pas empêché qu’elle trône de longues semaines en tête du hit-parade.
Billy Ward a formé les Dominoes en 1950 à New York. Il signe chez Federal / King et le succès est immédiat avec Do Something For Me. Les Dominoes récidivent en 1951 avec Sixty Minute Man, le plus gros hit de l’année 1951. Le groupe se renouvelle en 1952 avec le départ de Clyde McPhatter chez les Drifters, remplacé par Jackie Wilson. Ils obtiennent un succès avec Have Mercy Baby. D’autres succès suivront jusqu’en 1958.
Des Dominoes sont issus deux chanteurs d’exception qui ont fait une grande carrière après leur passage chez les Dominoes : Clyde McPhatter et Jackie Wilson. Nous en reparlerons au cours de prochaines émissions.


8/ Louis Jordan
Puisqu’on parle des précurseurs du rock ‘n’ roll, il est impossible de faire l’impasse sur un artiste qui a joué un rôle majeur dans l’évolution du rhythm and blues des années quarante vers le rock ‘n’ roll : Louis Jordan.
Louis Jordan a mis au point un style de rhythm and blues incroyablement efficace, à base de jump blues et de boogie. Il est l’auteur d’une dizaine de morceaux, comme Caldonia Boogie, Keep-A-Knockin’, Let The Good Times Roll, qui sont devenus des standards du blues et du rock ‘n’ roll.
On écoute l’un d’eux : Choo Choo Ch’ Boogie, un morceau de Louis Jordan and his Tympany Five, enregistré à Los Angeles en 1946, avec Aaron Izenhall à la trompette, Josh Jackson au saxo ténor, Wild Bill Davis au piano, Carl Hogan à la guitare électrique, Jesse Simpkins à la basse et Eddie Boyd à la batterie (à ne pas confondre avec un autre Eddie Boyd, pianiste de Chicago).
Louis Jordan, né en 1908 mort en 1975, joueur de clarinette et de saxophone, fait partie de ces musiciens inclassables qui se situent au carrefour de plusieurs styles : blues, jazz, rock ‘r’ roll… Il a commencé à enregistrer dès 1929 avec le chef d’orchestre et batteur de jazz Chick Webb. Il a accompagné notamment Louis Armstrong et Ella Fitzgerald. Il fonde son orchestre, les Tympany Five, en 1938 et signe chez Decca. Il obtient un succès immédiat et devient une véritable star. Ses morceaux se caractérisent par un rythme endiablé, des riffs efficaces, un swing exubérant et Louis Jordan n’hésite pas à les émailler de blagues et de gags qui constituent son cachet personnel. Son succès ne faiblit pas tout au long des années quarante. Il trône sans arrêt en tête du Billboard dans la catégorie rhythm and blues. Et son influence considérable s’étend bien au-delà du seul rhythm and blues.
Louis Jordan, c’est le trait d’union parfait entre le jazz swing des années trente et le rock ‘n’ roll des années cinquante. Il est le principal artisan, avec Fats Domino et Big Joe Turner, de l’élaboration du rhythm and blues première manière, éclatante préfiguration du rock ‘n’ roll.

9/ Big Maceo
Voici à présent un autre artiste important des années quarante, Big Maceo, de son vrai nom Major Merriwheather. Big Maceo, né en Géorgie en 1905, décédé en 1953, a créé un style de piano très reconnaissable avec ses basses roulantes exécutées avec puissance de la main gauche, qui a fortement influencé la plupart des pianistes de Chicago.
Il rejoint Chicago en 1940, où il fréquente Tampa Red et Big Bill Broonzy. Il enregistre pour Bluebird à partir de 1941. Worried Life Blues obtient un grand succès et devient un standard du Chicago blues.
On écoute County Jail Blues, un morceau de 1941 où le jeu de piano de Big Maceo se marie à merveille avec la guitare incroyablement mélodieuse de Tampa Red, « The Guitar Wizard », le sorcier de la guitare. Sa voix légèrement voilée crée un climat de tristesse saisissant. La basse est tenue par Ransom Knowling. 
Big Maceo multiplie les séances d’enregistrements et les chefs d’œuvre, tels Why Should I Hang Around ou Poor Kelly Blues. Chicago Breakdown, enregistré en 1945 avec Tampa Red à la guitare et Charles Sanders à la batterie, est un sommet du boogie-woogie et certainement l’un des meilleurs blues instrumentaux qui ait jamais été enregistré. 
Big Maceo a été frappé par une attaque en 1946 et il s’est retrouvé paralysé d’un côté. Sur la fin de sa vie, il n’est plus que l’ombre de lui-même et il est mort terrassé par une crise cardiaque en 1952, à l’âge de 47 ans.
Big Maceo est l’un des plus grands pianistes de l’histoire du blues.


10/ Jimmy Reed
termine l’émission par un géant parmi les géants, Jimmy Reed. Jimmy Reed, né en 1925 dans le Mississippi, est un monstre du blues. En termes de succès commercial, avec 22 entrées au hit-parade entre 1953 et 1966, il est largement au-dessus de tous les autres bluesmen de l’époque. 
Jimmy Reed est un chanteur qui s’accompagne à l’harmonica. Ses morceaux sont puissants, paresseux et irrésistibles ! On doit souligner que le soutien rythmique de son copain Eddie Taylor et du batteur Earl Phillips ne sont pas pour rien dans la facture impeccable de leurs compositions qui sont d’une efficacité redoutable.
Jimmy Reed vient à Chicago en 1943. Il travaille le jour, joue dans des clubs la nuit. Il a commencé à enregistrer pour la marque Vee-Jay en 1953. Sa femme, Mama Reed, aide à produire des textes pleins d’imagination. Il obtient un premier succès en 1954 avec You Don’t Have To Go. Tout au long des années cinquante, le succès ne le quitte plus. Entre 1956 et 1961, six de ses chansons enregistrées pour Vee-Jay sont classées au Top Ten du Billboard. Parmi elles figure Baby What You Want Me To Do, enregistrée en 1959. On l’écoute.
Ce morceau a été repris par de très nombreux artistes dont Elvis Presley, Little Richard et Jerry Lee Lewis.
Malheureusement l’abus d’alcool, le départ d’Eddie Taylor lassé d’avoir un patron ivre du matin au soir et d’avoir perpétuellement à assurer pour deux, la faillite de Vee-Jay en 1964, la séparation d’avec Mama Reed et des crises d’épilepsie de plus en plus fréquentes, ont convergé pour produire une lente descente aux enfers pour Jimmy Reed. En 1968, lors de la tournée de l’American Folk Blues Festival, il est incapable de tenir plus de dix minutes sur scène. Il décède en 1976.
Il y a un « son » Jimmy Reed, à base de lourdes basses rythmées de boogie-woogie et de courtes phrases incisives d’harmonica. Son efficacité est extraordinaire. Le style de Jimmy Reed a été repris à l’infini par une quantité innombrables d’artistes appartenant aux genres les plus divers. 
Jimmy Reed est l’un des plus grands bluesmen de tous les temps.


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!

mercredi 20 septembre 2017

Séance 1


HOT ARIEGE
L’émission qui va vous faire taper du pied 
avec un paquet de blue notes 
et la rage du swing




Séance 1



Introduction

Bonsoir, c’est Bruno Blue Boy ! Vous écoutez Hot Ariège, l’émission qui va vous faire taper du pied avec un paquet de blue notes et la rage du swing !
Nous allons voyage ensemble au pays de la musique populaire américaine, blanche et noire. Nous parlerons bien sûr abondamment de la musique noire, matrice de tous les genres qui se sont développés au XXe siècle : blues, rock, country, gospel, soul… Elle sera au cœur de notre sujet. Mais nous aborderons tous les styles sans exclusive. Et la présente émission va vous donner un avant-goût du vaste panorama musical que nous balaierons chaque semaine.
Au centre de tout il y a le blues, LA musique des Noirs américains de la fin du XIXème siècle jusqu’aux années soixante du siècle dernier. Notre voyage commence aujourd’hui avec l’arrivée du blues en Europe. Nous allons revivre ensemble ce fantastique moment, cela se passe dans les années soixante. Au moment où les jeunes Noirs se détournent du blues parce qu’ils considèrent que la musique de leurs grands-pères est une musique de fils d’esclaves et qu’ils entendent eux se libérer, l’Europe fait connaissance avec cette musique étrange. Maintenant fermez les yeux, nous partons en voyage dans le temps. Ça y est, vous y êtes ? Nous sommes à présent dans les années soixante et le blues arrive…


1/ John Lee Hooker
Il y a un  morceau qui a tout déclenché. Ce morceau, c’est Shake It Baby, de John Lee Hooker. Nous allons sans attendre écouter la version « historique » de Shake It Baby, enregistrée à Hambourg, lors de la première tournée de l’American Folk Blues Festival en 1962, avec T-Bone Walker au piano ( ce qui est plutôt surprenant, étant donné que T-Bone Walker était un guitariste !), Willie Dixon à la contrebasse et Jump Jackson à la batterie.
Shake It Baby est un morceau historique. Le public de l’American Folk Blues Festival ovationne John Lee Hooker et multiplie les rappels. Le morceau est diffusé à la radio, notamment dans l’émission Salut les copains. C’est un choc pour une génération. Les amateurs de jazz de l’époque pensaient que le blues n’était qu’une musique primitive dont la seule vocation avait été de servir d’ingrédient au jazz au début du vingtième siècle. Et voilà qu’ils découvraient une musique moderne et ravageuse. 
Le 45 tours de Shake it baby devient un des tubes de l’année 1963 en France mais aussi dans les pays germaniques, en Angleterre, dans le Bénélux. En France, il s’en vend plus de 100 000 exemplaires et le morceau est classé au hit-parade entre Johnny et les Chaussettes Noires d’Eddy Mitchell.
Parlons un peu de John Lee Hooker, un artiste majeur du blues de la ville de Detroit, la ville des usines Ford. John Lee Hooker, né en 1917 dans le Mississippi, a accédé à la notoriété dans l’immédiat après-guerre par des morceaux rythmés et envoûtants tels que Boogie Chillen paru en 1948. John Lee Hooker devient en fait un maître du boogie, avec une voix profonde incroyable et une guitare qui la prolonge ou qui claque sèchement sur fond de rythme endiablé. 
Il a commencé dans des conditions précaires à Detroit. Il n’y a pas à l’époque dans cette ville de grande maison de disque avec un studio correctement équipé. Il faut faire du garage, ni plus ni moins, dans un arrière-fond de boutique. Mais son talent, sa personnalité, son charisme sont tels qu’il perce quand même, obtient des succès et finit par enregistrer pour de grandes marques : King , Chess, Vee-Jay dont il devient avec Jimmy Reed une grande vedette. Il bénéficie à ce moment-là, dans les années 1955 1960, d’un soutien impeccable, avec Jimmy Reed, Eddie Taylor, Tom Whitehead à la batterie. Chacun des morceaux qu’il enregistre alors est un chef d’œuvre : Time Is Marching, Trouble Blues, I’m Mad, Want Ad Blues, je m’arrête car il faudrait tous les citer et la liste serait bien trop longue..
Dans les années soixante, il prend le train du blues revival. Nous reparlerons de cet engouement pour le blues qui apparaît dans ces années là. Il participe à de multiples festivals et aux tournées de l’American Folk Blues Festival. Après Shake It Baby, il est connu dans toute l’Europe. Etant doté d’un solide sens commercial, il n’hésite pas à jouer avec des groupes pop, même mauvais. Il se produit aussi avec un bon, le groupe des Canned Heat en 1970, et sa popularité auprès du public pop est réelle.
Je ne me lancerai pas ici dans sa discographie, bien trop abondante. John Lee Hooker est un artiste majeur du blues, sans doute le plus connu et le plus populaire avec B.B. King et Lightnin’ Hopkins. Il est mort le 21 juin 2001.alors qu’en France on célébrait la fête de la musique. John Lee Hooker s’en est allé mais sa musique est immortelle.
  

2/ Les Shadows
Après cette introduction sur le blues – qui, répétons-le, est à la base de tout -, nous allons faire la tournée des musiques qui faisaient fureur dans les années soixante. Le contexte de ces années-là est paradoxal : c’est la fin du rock ‘n’ roll aux Etats-Unis et son début en France, alors qu’arrive l’ère du twist et ce qu’on appelait de façon un peu péjorative les « yé-yé ».
Quelques années avant l’apparition des Beatles et des Rolling Stones, la scène musicale est dominée aux Etats-Unis par les groupes vocaux précurseurs de la soul comme les Platters, ou encore Ray Charles et les Raelets. En Europe, le groupe qui tient le haut du pavé est celui des Shadows. Le groupe est composé de Hank Marvin guitare solo, Bruce Welch guitare rythmique, Jet Harris basse, Tony Meehan à la batterie (remplacé en 1961 par Brian Bennett).
Leur premier succès, enregistré en juin 1960 dans le studio devenu mythique d’Abbey Road à Londres, classé n°1 au hit-parade pendant plusieurs semaines, est Apache. On l’écoute.
Les Shadows sont les premiers jeunes européens à former un groupe guitare / basse / batterie, à utiliser une guitare électrique Stratocaster et a connaître le succès. 
Ils représentent une transition entre le rock ‘n’ roll pur et dur d’Elvis Presley et de Chuck Berry (les Shadows étaient le groupe qui accompagnait le chanteur de rock ‘n’ roll Cliff Richard avec lequel ils ont eu pas mal de succès) et les groupes pop des années soixante. 


 3/ Chubby Checker
Nous continuons notre revue des styles en vogue dans les années soixante avec ce genre étrange qu’on a appelé le twist. Comme le souligne Charlie Gillett dans son histoire du rock ‘n’ roll, le twist a été acclamé comme une innovation aussi importante que le rock ‘n’ roll par une campagne publicitaire gigantesque, avec à la clé la danse de l’été 1960 qui s’est prolongée en Europe pendant plusieurs années. En Europe, le twist s’est quasiment assimilé avec le rock ‘n’ roll. On l’a compris, l’opération « twist » n’était qu’une opération commerciale destinée à vendre des disques en redonnant du souffle au rock ‘n’ roll qui commençait à disparaître sous l’effet de la politique des grandes firmes qui préféraient la variété et son public large au rock ‘n’ roll pur et dur destiné uniquement à un public jeune.
Voici la version de The Twist enregistrée en 1960 par Chubby Checker, qui est en quelque sorte le pape du twist.
La version de Chubby Checker n’était en fait qu’une reprise réussie. L’original date de 1959, un an auparavant, et constituait la face B d'un morceau du musicien de rhythm and blues Hank Ballard, qui avait connu de nombreux succès : ainsi le célèbre morceau Work with me Annie s’était vendu à plus d’un million d’exemplaires.


4/ les Platters
J’ai évoqué les groupes vocaux de l’époque. Ils étaient pléthore : les Dominoes, les Drifters, les Coasters, les El-Dorados et beaucoup d’autres qui ont eu beaucoup de succès fin des années cinquante début des années soixante… Le groupe qui va atteindre une renommée internationale grandiose fut les Platters. Faisaient partie des Platters de 1954 à 1960 : Tony Williams le ténor soliste, David Lynch ténor, Herb Reed basse, Paul Robi baryton et Zola Taylor, chanteuse contralto.
Leur premier succès, c’est l’immortel Only you, enregistré pour la firme Mercury en 1955. On l’écoute.
Only You est le premier morceau qui installe véritablement la musique noire au sommet de la scène internationale. I got a woman de Ray Charles est de la même année, 1955, mais ce n’est pas ce morceau-là qui va révéler ce pianiste aveugle de génie. Fats Domino avait aussi connu des succès dès les années quarante, mais il n’atteindra sa célébrité mondiale qu’avec Blueberry Hill en 1956, soit un an après Only You. Quelques chiffres permettent de mesurer l’ampleur de l’impact d’Only You. Only You est resté sept semaines en tête du hit parade des Etats-Unis, le Billboard, dans la rubrique rhythm and blues et il est resté trente semaines classé au Billboard toutes catégories. En France, Only You a occupé la tête du classement pendant douze semaines (sept en 1957 et cinq en 1958). 


5/ Ray Charles
C’est tout de même Ray Charles qui va produire la grande révélation de la musique noire, avec What’d I Say, enregistré en 1959 pour la marque Atlantic, la firme d’Ahmet Ertegun et Jerry Wexler, qui a produit de très nombreux chefs d’œuvre de la musique noire.
On écoute What’d I Say. 
A noter que, pendant un temps, la chanson a été interdite sur certaine radios aux Etats-Unis. Trop érotique pour l’Amérique puritaine. Ainsi le critique Tony Russell a pu dire : “le dialogue entre le chanteur et ses choristes commence dans une église et finit dans une chambre à coucher”. On peut s ‘amuser de l’image mais la façon dont Ray Charles subjugue son auditoire par un riff implacable au piano et fait monter la tension tout au long du morceau est tout simplement inégalable.
L’impact de What’d I Say a été considérable, plus encore qu’avec les Platters. Paul McCartney a déclaré qu’il avait trouvé sa vocation lorsqu’il a entendu What’d I Say. Il s’est vendu des millions d’exemplaires du 45 tours dans toute l’Europe. Je revois encore ce disque qu’on avait acheté dans la famille sur lequel il était marqué « Bon pour le twist » ! What’d I Say a été un détonateur. Le public européen découvrait la musique noire, non pas sous la forme d’une ballade romantique comme avec les Platters, mais la vraie musique noire : un boogie endiablé au piano, une voix qui déchire et un effet entraînant irrésistible.
Un mot sur Ray Charles. Né en 1930 et décédé en 2004, Ray Charles a commencé sa carrière comme pianiste de blues aux côtés du guitariste Lowell Fulson. Comme chanteur, ses modèles sont Charles Brown et Nat King Cole. Il signe chez Atlantic en 1951. Il commence par enregistrer des ballades façon Côte Ouest. Les temps virant au rock ‘n’ roll dans le milieu des années cinquante, il évolue. L’adjonction d’un groupe de chanteuses de spirituals, les Raelets, en 1956 est un tournant majeur qui va lui permettre d’enchaîner succès sur succès. Il est devenu d’abord un monstre du rhythm and blues, puis l’immense vedette que tout le monde connaît. Le show bizz a évidemment édulcoré ses productions sur la fin mais cela n’enlève rien au fait que Ray Charles mérite de figurer au panthéon de la musique noire américaine.. 


6/ Elvis Presley
Continuons notre tour d’horizon. Il est évidemment impossible de parler du contexte des années cinquante soixante sans parler d’Elvis Presley. Si musicalement le rock ‘n’ roll trouve son origine dans le rhythm ‘n’ blues et la country des années quarante, voire dans le blues des années trente, c’est bien Elvis qui lui donne son véritable départ. Notons au passage qu’il convient de distinguer deux styles : 
- il y a d’abord le rock ‘n’ roll, qui s’est écrit d’abord en toutes lettres et en trois mots distincts « rock, and, roll », puis par la suite avec un simple ‘n’ entouré d’apostrophes entre rock et roll. Le rock ‘n’ roll est un genre musical spécifique qui a existé aux Etats-Unis entre 1954 et 1961, les dates précises ont leur importance, avant de trouver un prolongement en Europe jusqu'en 1964 /1965 ;
- il y a aussi le rock, rock tout court, qui est un courant beaucoup plus large issu du premier et qui s’est assimilé avec la pop music, d’où le terme de rock / pop parfois utilisé, et qui dure encore. Alors que le rock ‘n’ roll est mort, le rock continue mais sous des formes aujourd’hui très différentes des origines.
Avec Elvis Presley, nous parlons ici du rock ‘n’ roll et plus spécialement de sa naissance. Je vais évoquer une scène bien connue : ça se passe le 5 juillet 1954 à Memphis, dans les studios de la maison Sun, la maison de disques devenue légendaire qui est dirigée par Sam Phillips. A cette époque Sam Phillips a déjà enregistré une trentaine de blues et est à la recherche d’un chanteur blanc qui pourrait chanter comme les Noirs, ce qui lui donnerait accès à un public plus large car la ségrégation entre Blancs et Noirs est extrêmement forte dans ces années là. Elvis a fait plusieurs essais de ballades peu concluants. C’est au cours d’une pause qu’Elvis se met de façon impromptue à interpréter librement un blues d’Arthur Big Boy Crudup, That’s All Right Mama. Aussitôt, Phillips fait signe aux accompagnateurs de reprendre leurs instruments, les micros sont rebranchés, une heure après le disque est prêt. Cette anecdote est hautement significative de l’impact formidable rencontré par l’alliage de l’authenticité (à l’inverse des produits en série formatés par l’industrie du disque) et, bien sûr, du blues, musique capable de dégager une émotion considérable.
C’est ce morceau qu’on écoute à présent, That’s All Right, où Elvis est accompagné de Scotty Moore à la guitare et de Bill Black à la contrebasse.
Je n’épiloguerai pas sur la carrière d’Elvis Presley qui a créé le genre avant de devenir de façon méritée un véritable héros du rock ‘n’ roll pour les jeunes incarnant la libération et la transgression, puis un chanteur de ballades sirupeuses dans les années soixante, un acteur de mélos pour midinettes au cinéma ensuite, enfin un chanteur revenant qui se singeait lui-même avant de finir à quarante deux ans sans doute à cause d’un abus de médicaments. L’image qu’il faut garder d’Elvis, c’est celle des années cinquante, quand il a créé le rock ‘n’ roll en reprenant la façon de jouer des Noirs.


7/ Hank Williams
On ne soulignera jamais assez l’influence du blues, non seulement dans le rock ‘n’ roll mais dans tous les styles dérivés, rock, pop, soul… Nous consacrerons évidemment de nombreuses émissions à tous ces bluesmen inconnus du grand public, comme Arthur Crudup l’auteur de That’s All Right Mama et bien d’autres, qui ont créé d’authentiques chefs d’œuvre et exercé une influence énorme sur tous les musiciens populaires à partir des années cinquante. 
Le style de musique spécifique créé par Presley en 1954 porte le nom de rockabilly (contraction de rock et de hillbilly, qui signifie paysan, péquenot). Le rockabilly est l’un des cinq genres identifiables de rock ‘n’ roll, à côté de celui des groupes vocaux dont on a déjà parlé, des orchestres rhythm and blues (chef de file Bill Haley), du piano Nouvelle Orléans (Little Richard) et du style dérivé du blues de Chicago (Chuck Berry). 
On a dit que le rockabilly était un mariage entre le blues et la musique country. Ce n’est évidemment pas faux, mais en réalité ce qu’on vient d’écouter démontre que le rockabilly trouve son origine dans une certaine façon pour de jeunes chanteurs blancs de jouer du blues plutôt que dans une synthèse artificielle entre deux styles. Et de fait, la musique country a été plus présente dans les faces B des groupes de l’époque (telles que Blue Moon of Kentucky, la face B de That’s All Right sur le premier 45 tours de Presley) que comme ingrédient à part entière dans les morceaux de rock ‘n’ roll. Le film Jailhouse Rock dont Elvis Presley est la vedette et qui tend à ringardiser la « vieille » musique country par rapport au « jeune » rock ‘n’ roll est assez révélateur, en tout cas de ce que les grandes firmes du moment pensaient de ces musiques et de leurs publics.
Mais il est vrai que la country music a connu de nombreux précurseurs du rock ‘n’ roll. Certains chanteurs de country se sont d’ailleurs essayé, sans trop de succès, au rock ‘n’ roll, comme Eddie Bond, les Maddox Brothers, ou encore Skeets McDonald qui a employé le jeune Eddie Cochran.
Celui qui est considéré comme le géant du genre est le chanteur guitariste Hank Williams, dont le morceau le plus connu est Move it on over enregistré en 1947. On l’écoute.
Hank Williams, c’est l’icône de la country music. Originaire de l’Alabama, il est né Hiram Williams en 1923 et il est décédé en 1953. Il a eu durant son adolescence un bluesman comme mentor, Rufus Payne. Il forme son premier groupe en 1938, les Drifting Cow-boys. Il sort son premier album en 1946, Never Again. Jusqu’à sa mort, toutes les productions de Hank Williams seront des succès commerciaux. En dehors de Move It On Over, citons Honky Tonkin’, Lovesick Blues, My Bucket’s Got A Hole In It, Long Gone Lonesome Blues. De nombreux morceaux de Hank Williams ont fait l’objet de reprises dans d’autres genres que la country, en rock ‘n’ roll bien sûr, mais aussi en blues, en jazz, rock etc. Il est mort en pleine gloire à 29 ans. Ses graves problèmes d’alcool ne sont sans doute pas pour rien dans cette mort prématurée. Hank Williams laisse une œuvre immense.


8/ Chuck Berry
Evidemment l’influence du blues s’est exercée de la façon la plus directe et la plus évidente sur les musiciens noirs qui ont choisi de prendre le train en marche du rock ‘n’ roll dès le milieu des années cinquante. 
C’est le cas en particulier de Chuck Berry, qui jouait du blues dans son adolescence, très influencé par T-Bone Walker. Natif de Saint-Louis, Chuck Berry arrive à Chicago en 1955 et grâce à Muddy Waters il rentre à la maison de disques de Leonard Chess. Il a ainsi la chance d’être accompagné par les meilleurs musiciens de Chicago : Otis Spann ou Johnny Johnson au piano, Willie Dixon à la basse, Matt Murphy à la guitare rythmique, Fred Below à la batterie. En revanche, il se produira souvent sur scène avec des musiciens médiocres. Quoi qu’il en soit, dès 1955 Il enchaîne immédiatement les succès.
On écoute l’un d’eux, Memphis Tennessee, enregistré en 1959.
Dans son histoire du rock ‘n’ roll, Charlie Gillett écrit que Chuck Berry est « peut-être la figure la plus importante du rock ‘n’ roll ». En tout état de cause, Chuck Berry, né en 1931 et mort cette année (le 18 mars 2017) a créé un style essentiel et a composé une liste de standards du rock ‘n’ roll tout à fait impressionnante : outre Memphis Tennessee qu’on vient d’entendre, Sweet Little Sixteen, Johnny B. Goode, Roll Over Beethoven, Little Queenie sont les plus connus mais on pourrait en ajouter une dizaine d’autres. Il incarne la combinaison du blues de Chicago, du rhythm and blues et du rock ‘n’ roll. Ses morceaux ont servi de rampe de lancement pour les Beatles et les Rolling Stones. Son influence sur les musiciens de rock et au-delà est considérable. Personne d’autre que lui ne peut se prévaloir d’une telle influence. Il est une figure majeure de notre temps.


9/Big Bill Broonzy
Après ce panorama rapide de la musique dominante des années cinquante soixante, on va terminer avec deux morceaux de blues authentique dus à des géants du blues. Le premier est de Big Bill Broonzy, chanteur guitariste né en 1898 et décédé en 1958. Big Bill Broonzy est le véritable créateur du blues de Chicago dans les années trente. Il a enregistré plus de 300 titres avant guerre. Il est à ce moment-là le bluesman le plus populaire et le plus influent de son temps. Il est le king du Chicago Blues. C’est à la fois un chanteur expressif et un guitariste hors pair. Sa popularité a décru après la guerre car les adeptes de la guitare électrique dominent la scène. L’heure est alors venue pour Muddy Waters et John Lee Hooker. Big Bill Broonzy a continué d’enregistrer néanmoins et il est le premier bluesman à venir en Europe dès 1951 et à s’y tailler une réputation mondiale.
Le morceau qu’on va entendre, Keep Your Hands Of Her, est issu d’une session enregistrée pour la firme Mercury en 1949, avec Antonio Cosey au saxo alto, Carl Sharp au piano, Ransom Knowling à la basse et Alfred Wallace à la batterie.
Ce morceau figure sur l’excellent CD « Big Bill Broonzy, Rockin’ in Chicago 1949-53 », édité par Rev-Ola Bandstand que je vous recommande.
Au-delà de sa carrière couronnée de succès, Big Bill Broonzy a joué un rôle considérable dans l’histoire pour le développement du blues urbain. 


10/ Lightnin’ Hopkins
Le dernier morceau est dû à un autre géant du blues, Lightnin’ Hopkins. De son vrai nom Sam Hopkins, Lightnin’ Hopkins était un chanteur guitariste du Texas qui a passé des années avant guerre à mener une vie errante en jouant dans des soirées ou des campements d’ouvriers. Il a accompagné le légendaire Blind Lemon Jefferson, guitariste aveugle qui a exercé une grande influence sur les bluesmen texans. Il est baptisé « Lightnin’ », l’éclair, à la fin des années quarante, alors que son compère, le pianiste Wilson Smith, est surnommé pour sa part « Thunder », le tonnerre. Ensemble, ils gravent des faces pour Aladdin et le morceau Katie Mae remporte un grand succès en 1946. Il a connu plusieurs autres succès dans l’immédiat après-guerre grâce à sa voix chargée d’émotion et à un jeu de guitare suramplifiée très incisif. Jusqu’en 1954, il enregistre de manière prolifique pour de nombreuses marques. Des morceaux comme Short Haired Woman en 1947, Fast Life Woman en 1949 ou Coffee Blues en 1950 assoient sa notoriété.
On l’écoute ici dans un boogie rapide intitule Tap Dance Boogie enregistré à Houston en 1951.
Un détail étonnant sur ce morceau : le tapement régulier que l’on entend et qui imprime le rythme est produit par une capsule de bouteille de soda fixée sous la semelle du chanteur qui bat la mesure sur une planchette en bois ! Et on entend distinctement Lightnin’ interpeller quelqu’un par un « Tire toi de là que je puisse voir mes chaussures ! ». C’est ça le blues, du direct, de l’authentique !
Que dire sur la carrière de Lightnin’ Hopkins ? Après un trou entre 1954 et 1959, Lightnin’ Hopkins devient l’une des grandes figures du blues revival des années soixante. Dès lors il ne cessera plus de se produire et d’enregistrer. Lightnin’ Hopkins était quelqu’un de spontané et d’étonnant. Il était capable d’empocher un cachet de plusieurs milliers de dollars d’une maison de disques et en sortant d’aller jouer au coin de la rue avec sa guitare et recevoir quelques pièces données par les passants.
Il y a quelques années, un sondage parmi les lecteurs d’une revue spécialisée dans le blues en France avait montré que Lightnin’ Hopkins était le bluesman le plus populaire parmi les amateurs de blues. Lightnin’ Hopkins excelle aussi bien dans les morceaux lents qu’il charge d’un feeling incroyable que dans les boogies rapides où il dégage un swing exubérant inégalable. Il faut ajouter à cela une personnalité extraordinairement attachante pour son authenticité, sa poésie, son humour, sa philosophie de la vie. Lightnin’ Hopkins, c’est le blues. Que dire de plus ?
Voilà, nous sommes arrivés au terme de notre émission.


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!