mercredi 28 mars 2018

Séance 22


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !



Séance 22


1/ Blind Lemon Jefferson
C’est avec un bluesman de légende qu’on commence l’émission, Blind Lemon Jefferson. Pourquoi « de légende » ? Parce que c’est le créateur du blues texan dans les années 1910 - 1920, l’un de ces pionniers comme Blind Blake sur la côte Est ou Charley Patton dans le Mississippi qui ont eu une influence décisive sur les artistes de leur région et qui ont contribué à structurer, codifier et développer le blues à partir d’influences diverses : spirituals, field hollers (sortes d’appels à mi-chemin entre le cri et le chant lancés par les travailleurs agricoles pour leurs congénères), work songs (chants de travail très rythmés pour accompagner l’effort sur les grands chantiers comme la construction des voies ferrées, les barrages, les routes…
Blind Lemon Jefferson appartient à la légende parce que son influence s’est traduite par des références dans de nombreuses chansons, bien au-delà du blues. Il est par exemple impossible de dénombrer les bluesmen qui ont évoqué la préoccupation que leur tombe soit bien entretenue, ce qui constitue une référence directe à une chanson de Blind Lemon See That My Grave Is Kept Clean, veille à ce que ma tombe reste propre. Et au-delà des bluesmen, Bob Dylan, Jefferson Airplane un groupe pop qui est allé jusqu’à prendre son nom en hommage. 
Légende encore parce que Blind Lemon Jefferson a enregistré 80 titres entre 1926 et 1929 et il est mort en 1930. J’ai entendu parler de Blind Lemon, dans les chansons de Lightnin’ Hopkins ou via Jefferson Airplane, bien avant d’entendre un des morceaux qu’il avait enregistrés quarante ans auparavant. Et encore, les premiers vinyls disponibles étaient d’une qualité exécrable : le crachotement était si fort que le son de la voix et de la guitare étaient à peine audibles.
Heureusement des morceaux de meilleure qualité ont été édités sur CD dans les années quatre-vingt dix. On va écouter un des morceaux les plus célèbres de Blind Lemon Jefferson enregistré à Atlanta en 1927, Match Box Blues. Le fond crache un peu.
Songez que cette chanson a été interprétée par des artistes comme Carl Perkins, Bob Dylan ou Paul McCartney ! Quand je dis que le blues est la matrice de la musique moderne ce n’est pas qu’une image. Dommage seulement que le nom de Blind Lemon Jefferson ne soit pas plus connu.
Blind Lemon Jefferson peut reposer en paix. Une fondation a recueilli en 1967 la somme nécessaire pour retrouver l’emplacement de sa tombe et veiller à ce qu’elle reste clean. 


2/ Jimmy McCracklin
Nous affections à présent un saut dans le temps. Nous allons parler du chanteur et pianiste Jimmy McCracklin, de son vrai nom James David Walker Jr, né en 1921, décédé en 2012, qui est venu s’établir en Californie à la fin des années trente.
Il réalise son premier enregistrement pour la firme Globe en 1945. C’est en 1946 qu’il forme son groupe, Jimmy McCracklin ans His Blues Blasters ». Durant les années suivantes il enregistre pour plusieurs petits labels jusqu’en 1949 où il signe chez Modern, grande marque de Los Angeles jusque dans les années soixante. Les morceaux qu’il enregistre alors font partie des meilleurs de la Côte Ouest. On peut citer Reelin’ And Rockin’, qu’on trouve aussi sous le nom de Rockin’ All Day, ou bien Deceivin’ Blues.
Dans les années 1957-1958, il enregistre pour Checker, filiale de Chess, dans une veine délibérément orientée vers le rock ‘n’ roll. The Walk, paru en 1957, atteint la cinquième place du hit-parade rhythm and blues. On écoute un morceau de cette période intitulé I Know. On ne connaît pas le nom de tous les artistes qui accompagnent Jimmy McCracklin, mais ce qui est sûr c’est que Lafayette Thomas  tient la guitare. 
Je signale que les morceaux de Jimmy McCracklin enregistrés pour Chess sont disponibles en CD paru dans le numéro 34 de la série « Les Génies Du Blues » éditée par Atlas. Le CD s’appelle « Jimmy McCracklin San Francisco Blues ». 
Après sa période Chess, Jimmy McCracklin est revenu à un style plus classique de la Côte Ouest. Just Got To Know, en 1962, un morceau enregistré pour Art-Tone, le label qu’il a lui-même fondé, se classe numéro 2 au hit-parade rhythm and blues. Jimmy McCracklin fait paraître son premier album en 1967. Il a fait paraître des albums jusque dans les années quatre-vingt dix et il s’est éteint en 2012.
Jimmy McCracklin est l’un des musiciens qui comptent parmi les bluesmen de la Côte Ouest.


3/ Hound Dog Taylor
Nous allons écouter à présent un morceau d’un artiste que nous connaissons déjà, Hound Dog Taylor, superbe guitariste de Chicago blues, l’un des meilleurs disciples du grand Elmore James, un bluesman qui sait faire sonner sa guitare et son slide d’une manière incroyablement excitante. 
On va écouter un morceau enregistré en public en 1974, édité par Alligator en 1975, Give Me Back My Wig. Ce morceau est extrait de l’album « Beware Of The Dog ». Attention, chien méchant !
C’est vrai, quoi ! Rendez lui sa perruque ! Pas la peine de s’énerver autant, le chien ! Eh bien voilà du blues de Chicago, bien râpeux, bien sauvage, bien comme il faut en fait !
Un mot sur les Houserockers, le groupe qui accompagne Hound Dog. En fait de groupe, ils ne sont que deux : Brewer Phillips, seconde guitare et Ted Harvey à la batterie. C’est une formule qui peut sembler originale, deux guitares une batterie, mais en fait les groupes qui tournaient à Chicago dans les années cinquante, soixante, dans les rues notamment, ils faisaient avec ça.
Les trois 33 tours de Hound Dog Taylor parus chez Alligator entre 1970 et 1975, « Hound Dog Taylor », « Natural Boogie » et « Beware Of The Dog », ont été réédités en CD. Avis aux amateurs, vous pouvez y aller, c’est que du bon !


4/ Les Swallows
On revient au rhythm and blues avec un groupe de doo wop, les Swallows. On peut noter qu’énormément de groupes de doo wop ont choisi des noms d’oiseaux. Je pense aux Larks (les alouettes), aux Robins (les rouges-gorges), aux Swallows donc (les hirondelles), mais il y a aussi les Flamingos (les flamants), les Crows (les corbeaux), les Penguins (les pingouins), les Pelicans ou encore les Jayhawks (les geais)…
A l’origine se trouvent quelques adolescents qui ont fondé un groupe les Oakaleers. Il y avait Lawrence Coxson, Irving Turner, Earl Hurley, Norris Bunky Mack. Ils sont devenus les Swallows en se joignant à Eddie Rich (ténor) et Frederick Johnson (baryton et guitare).
Ils sont parmi les premiers groupes de doo wop à avoir enregistré et à avoir eu du succès. Leur premier hit, c’est Will You Be Mine en 1951, numéro 9 au hit-parade rhythm and blues. L’année suivante, en 1952, c’est Beside You, numéro 10.
On écoute un morceau de 1958 enregistré chez Federal, Itchy Twitchy Feeling. 
Les Swallows n’ont pus obtenu de succès national après 1952. Il se raconte néanmoins que certaines de leurs chansons, impeccables au niveau harmonie et orchestre, étaient trop osées pour être acceptées. Cela aurait notamment été le cas pour It Ain’t The Meat, It’s The Motion, Ce n’est pas la viande, c’est le mouvement.
Allez, les Swallows, c’était un bon groupe de doo wop ! Promis, on en réécoutera, notamment It Ain’t The Meat, It’s The Motion. 


5/ Bea Booze
Et voici maintenant une chanteuse guitariste de blues, Bea Booze. Beatrice Booze est née en 1912 à Baltimore et elle est décédée en 1986.
Elle réalise son premier enregistrement en 1942 pour la marque Decca. Elle est surtout connue pour son interprétation du grand classique de Ma Rainey, See See Rider. Sa version, See See Rider Blues, parue en 1943, atteint la première place au hit-parade du rhythm and blues. On l’écoute. Bea Booze est accompagnée au piano par Sammy Price.
La voix, le piano, tout est sublime dans cette version. Dans les années quarante, Bea Booze virera au jazz. Elle se produira avec Andy Kirk et Fats Navarro. Elle a de nouveau enregistré avec Sammy Price en 1962, puis elle s’est retirée.
Bea Booze était incontestablement une grande chanteuse. Elle aurait pu faire une autre carrière, c’est clair. Elle a choisi le jazz plutôt que le rhythm and blues. Il y a des choix qui orientent dans la vie. Ce qui est sûr, c’est que sa version de See See Rider, même si on en apprécie beaucoup d’autres, de Lightnin’ Hopkins à Chuck Willis, reste comme la grande version classique de ce morceau inoubliable de Ma Rainey.


6/ Sammy Price
Nous venons de parler du pianiste Sammy Price comme accompagnateur de Bea Booze. Il était évidemment bien plus qu’un accompagnateur et nous allons parler maintenant de Sammy Price en tant qu’artiste vedette. 
Sammy Price est né au Texas en 1908, il est mort en 1992. C’est un pianiste et un chef d’orchestre exceptionnel, qui se situe au carrefour du jazz, du boogie woogie et du jump blues. Il fait partie de cette cohorte de pianistes de Kansas City qui ont créé et développé le boogie woogie dans les années vingt, trente. Sammy Price fait partie des meilleurs.
Sammy Price est venu en France dès 1948 avec Milton Mezz Mezzrow. Il est revenu en 1957 et il a alors réalisé un enregistrement. On écoute un morceau de l’album « Sammy Price à Fontainebleau », Boogie A Bomb. Sammy Price est accompagné notamment par le trompettiste Emmet Berry et le bassiste George Pops Foster.   
L’ambiance jump blues survoltée de ce morceau est assez extraordinaire. Tous les musiciens se déchaînent comme des dingues avec un talent fou. Sammy Price est vraiment l’un des meilleurs spécialistes du boogie woogie, capable de produire des morceaux très différents, sans donner l’impression de se répéter, comme cela peut parfois être le cas dans le genre.


7/ Joe Simon
On change de style. Place à la soul music avec Joe Simon ! Curieusement Joe Simon est moins connu que d’autres vedettes de la soul comme Sam Cooke ou Percy Mayfield alors qu’il a fait une carrière comparable. Entre 1964 et 1981, Joe Simon a en permanence un morceau classé au hit-parade. Et j’ai bien dit jusqu’en 1981, ce qui est loin d’être le cas pour tous les kings de la soul music.
Joe Simon est né en 1943 en Louisiane. Classiquement, il a commencé dans le gospel. Le groupe auquel il appartenait a enregistré un disque en 1955. C’est pour lui l’occasion de se faire repérer par un producteur et il a entamé ensuite une carrière solo. C’est en 1964 qu’il décroche son premier tube chez Vee-Jay, à Chicago, My Adorable One. Il récidive l’année suivante en 1965, toujours chez Vee-Jay, avec Let’s Do It Over, qui atteint la treizième place du classement rhythm and blues. On l’écoute.
La faillite de Vee-Jay n’a pas empêché Joe Simon d’enchaîner les succès pendant dix-sept ans. Je vais juste citer les trois qui ont atteint la première place du hit-parade : The Chokin Kind en 1969, Power Of Love en 1972 et Get Down, Get Down (Get On The Floor) en 1975. Evidemment, il a vendu plusieurs disques à plus d’un million d’exemplaires. 
Vers la fin des années soixante-dix il se fait prédicateur évangéliste. Il a même sorti un album de gospel à la fin des années quatre-vingt dix, effectuant ainsi un retour aux sources.
Joe Simon, un grand nom de la soul music. 


8/ Larry Dale
L’artiste suivant c’est Larry Dale, dont le nom sonne en français comme un mauvais jeu de mot genre Harry Cover ou Alonzo Bouduquai, mais Larry Dale n’était pas présent sur les champs de course : il faisait partie de la scène du blues à New-York dans les années cinquante, soixante. 
Le vrai nom de Larry Dale est Ennis Lowery. Il est né au Texas en 1923 et il est mort en 2010. Larry Dale a commencé sa carrière de musicien professionnel en jouant de la guitare dans des orchestres de jazz. Dans les années cinquante, il tourne dans les clubs de New York avec le pianiste Bob Gaddy et il est musicien de studio.
C’est au tournant des années soixante qu’il se met à enregistrer sous on nom. On écoute Big Muddy enregistré en 1960. 
Le blues de Chicago, c’est le blues du Delta avec l’amplification électrique. Cette formule a dominé le blues d’après-guerre de façon écrasante. Il ne faut pas en déduire que la scène de New York était pitoyable. Il y avait là nombre d’artistes brillants et inspirés : des pianistes comme Champion Jack Dupree, Bob Gaddy ; des harmonicistes comme Sonny Terry ou  Buster Brown ; des guitaristes, Wild Jimmy Spruill, Mickey Baker, Sticks McGhee, et Larry Dale en faisait partie.
Contrairement à Chicago, New York n’a pas développé de style propre spécifique. New York a attiré des musiciens de la Côte Est mais le jeu de guitare en finger picking d’avant guerre ne se prêtait guère à ce que le public attendait dans les clubs dans les quarante, cinquante. Et c’est assez naturellement que le blues de New York s’est développé en intégrant des influences assez diversifiées issues du blues et du rhythm and blues.   


9/ J.B. Lenoir
Retour à Chicago avec l’artiste suivant, le chanteur guitariste J.B. Lenoir. 
J.B. Lenoir est né dans le Mississippi en 1929. Pour gagner sa vie, il sillonne le sud des Etats-Unis en se faisant cueilleur de coton, bûcheron, employé de chemin de fer. C’est en 1949 qu’il émigre à Chicago où il trouve un emploi dans une conserverie de viande. Il fréquente les clubs locaux à ses heures de loisir et avec l’aide de Big Bill Broonzy il peut jouer avec Roosevelt Sykes. Puis en 1950 il constitue un trio avec Sunnyland Slim et Alfred Wallace. A partir de 1951 il enregistre abondamment pour des marques diverses.
Il forme un nouveau groupe en 1954 et décroche un grand succès en 1955 avec Mama Talk To Your Daughter. On écoute ce morceau. J.B. Lenoir est au chant et à la guitare, Lorenzo Smith au saxo ténor, Joe Montgomery (le frère cadet de Little Brother Montgomery) au piano et Al Galvin à la batterie.
Ce morceau est devenu un standard du blues. J. B. Lenoir est l’un des premiers à avoir l’idée d’adjoindre des cuivres à un orchestre de Chicago blues. C’est une grande réussite. Comme quoi aussi toutes les influences finissent par se mélanger. 
J.B. Lenoir a continué à se produire et à avoir du succès, avec sa voix aiguë et ses figures de basses élégantes à la guitare. Il participe à la tournée européenne de l’American Folk Blues Festival de 1965. Il est mort d’un accident de voiture le 1er avril 1967. Ca devait être un gars vraiment super sympa car tous les témoignages confirment qu’il était apprécié de tout le monde. En tout cas il nous a laissé plein de morceaux de grande qualité.


10/ Stray Cats
on termine l’émission avec les Stray Cats, vedettes au début des années quatre-vingt d’un étonnant rockabilly revival. Les revivals sont la concrétisation du mythe de l’éternel retour. Histoire de mode, histoire aussi de succès commercial sur fond de nostalgie. Il y avait eu le revival New Orleans initié par Hugues Panassié en 1938 qui avait remis à la mode Tommy Ladnier et Sidney Bechet ; on a abondamment parlé du blues revival des années soixante qui a permis de retrouver des bluesmen oubliés qui avaient enregistré une poignée de disques dans les années trente et qui a mis sur le devant de la scène le folk et la guitare acoustique. Il s’agit là du rockabilly revival, parti d’une vague californienne à la fin des années soixante-dix. Les Stray Cats ont été incontestablement le groupe emblématique de cette période. On écoute leur grand succès, Rock This Town, paru en 1981.
Brian Setzer, chant et guitare ; Slim Jim Phantom, batterie et Lee Rocker, contrebasse. Le succès de Rock This Town, assez incroyable au moment où triomphaient Boney M., Michael Jackson et autres rois du disco, mais néanmoins numéro 1 tout l’été 1981, fait pousser des groupes de rockabilly partout en Europe.
Cela ne durera pas et en 1984 le groupe des Stray Cats s’est séparé. N’empêche, les Stray Cats auront été une étoile filante qui aura illuminé la nuit qui s’est abattue sur le rock ‘n’ roll au début des années soixante.


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

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mercredi 21 mars 2018

Séance 21 bis J. D. Miller


Séance 21 bis

J. D. Miller

Introduction
Deux émissions consacrées à « Jay » Miller, Joseph Denton Miller, né en Louisiane en 1992, mort en 1996.
Il a joué de la guitare avec des groupes cajun dans les années trente. Et ce sont des groupes cajun qu’il commencera d’enregistrer à partir de 1946.
Il enregistre des artistes « swamp pop » et « swamp blues » au début des années cinquante :
Swamp pop : King Karl, Guitar Gable, Warren Storm, Rod Bernard…
Swamp blues : Lightnin’ Slim, Slim Harpo, Lonesome Sundown, Lazy Lester… des artistes dont nous allons parler dans nos émissions consacrées au « blues des marais ». Il y aura aussi une émission sur Jay Miller consacrée à la swamp pop, au rock ‘n’ roll et à la musique cajun.
L’activité de Jay Miller est importante car c’est lui qui a permis à beaucoup d’artistes, et notamment à des bluesmen, d’enregistrer. Ce n’est pas un chercheur comme Lomax, Mitchell ou Evans, c’est plutôt un homme d’affaires, l’équivalent pour la Louisiane de Sam Phillips à Memphis dont nous avons parlé au cours de précédentes émissions (Sun Records).
Les studios de Crowley. Les relations avec Ernie Young, Excello. Eddie Shuler, Goldband.
G. Hertzhaft : «En général, J.D. Miller a su obtenir le meilleur de ses artistes et, bien que ses méthodes de production aient souvent été critiquées par les musiciens, on ne peut qu’être impressionné par les résultats qui sont d’une rare constance dans la qualité et comprennent de nombreux chefs d’œuvre… Ce n’est en rien minimiser le talent considérable des artistes que J.D. Miller a su découvrir, que d’affirmer que sans la présence avisée de ce producteur, il est probable que nous n’aurions pas connu ce style de blues de Louisiane, ni qu’il aurait eu la forme exacte que nous lui connaissons. » 
L’influence de Jimmy Reed, Lightnin’ Hopkins. Le son « swamp blues ». G. Hertzhaft : « Derrière les voix rocailleuses de ses artistes, les harmonicas plaintifs, les guitares électriques et les nombreux effets de percussion, on peut presque sentir la chaleur moite de la Louisiane et entendre les appels des crapauds-buffles. » 
Deux grandes « vedettes », Lightnin’ Slim et Slim Harpo, et beaucoup d’autres pas mal non plus. 


1/ Lightnin’ Slim, Otis Hicks 1913-1974
Chanteur guitariste.
Né dans le Missouri, sa famille s’établit en Louisiane en 1926.  En 1946, Baton Rouge.
Découvert en 1954 par un DJ sur WYOK. Premier artiste noir à enregistrer pour Miller, il est un peu le père du swamp blues. C’est lui qui a présenté à Miller d’autres artistes comme Lazy Lester, Silas Hogan, Whispering Smith… Grande influence sur la musique de la région.
C’est le succès de Lightnin’ Hopkins qui l’incite à se produire dans les tavernes de Baton Rouge. Son surnom vient de là. Miller lui fait enregistrer ses premiers disques pour Feature, dont Bad Luck Blues en 1954, grand succès. 
« Bluesin’ By The Bayou – From The Vaults Of J.D. Miller & Eddie Shuler, Ace 1368).
Lightnin’ Slim, au chant, 
Tal Miller au piano, 
Guitar Gable à la guitare. 
Batterie : Roosevelt Samples ?
« Blow your harmonica, son ! »


2/ Slim Harpo, James Moore 1924-1970 
Chanteur harmoniciste.
Nous avons entendu au cours d’une précédente émission le morceau I’m A King Bee  enregistré en 1957,un succès d’abord régional classé au hit-parade national, repris par les Rolling Stones qui l’ont inclus sur leur premier album paru en 1964 et qui fut l’un de leurs premiers succès. C’est sans doute cela qui a donné à Slim Harpo une notoriété qui dépasse le cercle des amateurs de blues.
Après I’m A King Bee, son premier morceau enregistré pour Miller en 1957, Slim Harpo devient un bluesman populaire et il le restera. Beaucoup d’artistes du swamp blues se sont cantonnés dans un style caractéristique, souvent calqué sur celui de Jimmy Reed. Lorsque Slim Harpo a commencé à enregistrer l’influence de Jimmy Reed était très sensible mais il s’en est dégagé et a enregistré des morceaux dans des veines relativement variées, jusqu’à la country ou la ballade. Il a remporté de nombreux succès comme Rainin’ In My Heart, Baby Scratch My Back, Tip On In 
Morceau enregistré à Crowley en 1965, Excello : Slim Harpo au chant et à l’harmonica, James Johnson et Rudolph Richard aux guitares, Willie « Tomcat » Parker au saxo ténor, Geese August à la basse et Sammy Brown à la batterie.
Une crise cardiaque a emporté Slim Harpo à l’âge de 46 ans alors qu’il se préparait à effectuer une tournée européenne.


3/ Lonesome Sundown, Cornelius Green 1928-1995
Lonesome Sundown a commencé sa carrière de musicien professionnel en 1955 en entrant dans l’orchestre de Clifton Chenier, le roi du zydeco. 
Lonesome Sundown quitte les Zydeco Ramblers de Chenier dès la fin de l’année et il adresse l’année suivante une démo – un enregistrement de démonstration – à J.D. Miller, Miller est emballé. C’est lui qui baptise Lonesome Sundown de son surnom et il publie un 45 tours. Lonesome Sundown réalisera des enregistrements pour Miller pendant huit ans, jusqu’en 1964.
« I’m A Mojo Man », Ace 556.
Lonesome Sundown au chant et à la guitare, Lazy Lester à l’harmonica, Tal Miller au piano, Leroy Washington à la guitare, Fats Perrodin à la basse et Clarence Etienne à la batterie.
Faute d’engagements, son orchestre est dissous et en 1965 il renonce à la musique et s’est fait prédicateur apostolique ! 
Lonesome Sundown a repris du service en 1977. Il a sorti un bon album, il a fait des tournées dans le monde entier. Mais les ventes ont été décevantes et il a arrêté pour de bon peu après.


4/ Charles Mad Dog Sheffield, 1931-2010
Figure moins connue que les précédents artistes. Né au Texas, rejoint assez tôt la Louisiane.
7 séances d’enregistrement : 2 pour Eddie Shuler (Goldband) en 1955-1956, 3 pour Miller en 1959 et 1961, et deux à la Nouvelle Orléans en 1965-1966.
Juin 1961 : Charles Sheffield, au chant; Lionel Torrence et Harry Simoneaux au saxo ténor; Peter Gosch au saxo baryton; Katie Webster au piano; Bobby McBride à la basse; Warren Storm à la batterie.
Morceau le plus connu : It’s Your Voodoo Working, janvier 1961 (Miller). Crédité de certains morceaux à tort (blog de GH).
Mad Dog Sheffield disparaît de la scène musicale après les séances de La Nouvelle Orléans.
A noter que Joe Cocker, qui habitait Sheffield (Royaume Uni), s’est fait appeler « Mad dog ».


5/ Silas Hogan, 1911-1944
Autre figure importante du swamp blues.
Silas Hogan a constitué son premier orchestre en 1958 et il se produit dans les tavernes et les bars de Baton Rouge. Influencé par Jimmy Reed, ses compositions sont dans la même veine que celles de Lightnin’ Slim, le chef de file. Il a en plus un fort accent louisianais qui contribue à donner un son très « swamp blues ». Il forme son premier orchestre en 1958, les Rhythm Ramblers, avec notamment Jimmy Dotson à l batterie et Sylvester Buckley à l’harmonica. Le groupe dure une dizaine d’années. C’est en 1962 que Silas Hogan fait ses premiers enregistrements pour la marque Excello. Silas Hogan remporte un premier succès avec Trouble At Home. 
« The Real Excello R&B », Ace 562.
Crowley, avril 1954.
Silas Hogan, au chant et à la guitare, Whispering Smith à l’harmonica, Al Foreman à la guitare, Rufus Thibodeaux à la basse, Jeffrey Holden à la batterie
Silas Hogan a continué à enregistrer jusqu’en 1966. Des problèmes avec la firme Excello l’ont conduit à arrêter pendant plusieurs années. Il redémarre en 1970 et ne s’arrêtera plus de se produire et d’enregistrer.
Silas Hogan a produit une collection de morceaux de grande valeur. On peut citer Ain’t It A Shame, Go On Pretty Baby, I Didn’t Tell Her To Leave et beaucoup d’autres. 


6/ Jimmy Dotson 1933-2017 (26 mars)
Guitariste, batteur. De nouveau une figure plus obscure. A ne pas confondre avec James A. Dotson.
Après quelques spectacles à New York, Jimmy Dotson a commencé sa carrière comme batteur dans les Rhythm Ramblers de Silas Hogan. Bien que ce soit Hogan le leader, Jimmy Dotson a chanté sur les premiers morceaux et certains lui ont été crédités.
Miller a fait éditer ces titres par de petites marques par de petites marques qui lui appartenaient : Zynn et Rocko. 
On écoute un morceau de 1960 édité par Rocko, I Need Your Love, le morceau le plus connu de Jimmy Dotson.
« Rhythm ‘n’ Bluesin’ By The Bayou 10 », Ace 1422.
Par la suite, Jimmy Dotson a pas mal galéré. Il est allé à Memphis, a enregistré un 475 tours pour une petite marque locale Home Of The Blues. Il a appris la basse et le piano. Ca lui a servi pour être musicien de studio. Il s’est fait vendeur itinérant.
Il n’est revenu en Louisiane qu’au début des années quatre-vingt, se produisant de manière épisodique dans des clubs de Baton Rouge.


7/ Tabby Thomas 1929-2014
Ernest Joseph, surnommé « Tabby », parfois « Rockin’ Tabby », né à Baton Rouge.
Il gagne un concours de chant et enregistre pour Hollywood Records à San Francisco, sans succès. Il revient à Baton Rouge, joue avec son groupe les « Mellow, Mellow Men ».   
Il enregistre pour de petites marques, Delta, Feature, Zynn, Rocko. C’est en 1962 qu’il obtient un succès chez Excello avec Voodoo Party. 
« Rhythm ‘n’ Bluesin’ by The Bayou  5», Ace 1478.
A la fin des années soixante, il crée sa propre maison de disques, Blue Beat. En 1978 il ouvre un club de blues à Baton Rouge qui marchera jusqu’en 2004.


8/ Whispering Smith 1932-1984
Nous avons déjà fait connaissance dans Hot Ariège avec Whispering Smith, né Moses Smith dans le Mississippi en 1932, mort en 1984. Smith, comme beaucoup d’autres, a commencé par jouer du gospel. Il s’est établi à Baton Rouge, la capitale de la Louisiane, en 1957. Il joue dans les bars avec Lightnin’ Slim. De 1960 à 1966, il forme son propre orchestre. Il réalise son premier enregistrement pour Excello naturellement, et en 1963 paraît le titre Mean Woman Blues. 
On écoute un morceau enregistré à Crowley en avril 1964, Cryin’ Blues, avec Whispering Smith au chant et à l’harmonica, Ulysses Williams à la guitare, Ernest Ambrose à la basse et Sammy K. Brown à la batterie. 
« The Real Excello R&B », Ace 562.
Après 1966, Whispering Smith renonce à une carrière active et il trouve un emploi chez un constructeur de piscines. Cet emploi lui évite le plongeon puisqu’il reprend du service en 1970 et il enregistre pour Arhoolie et Blue Horizon. Il participe même à des tournées de l’American Folk Blues Festival. Après 1974 il n’a plus exercé d’activité régulière.


9/ Leroy Washington 1932-1966
Né en Louisiane.
Présent comme accompagnateur sur de nombreux morceaux enregistrés par Miller qui l’a fait enregistrer sous son nom pour Excello, Zynn et Rocko.
(à ma connaissance ?) 3 45 tours édités par Excello de son vivant, dont son morceau le plus connu Wild Cherry paru en 1958. 
De nombreux autres morceaux non édités de son vivant, disponibles sur des compilations diverses. Parmi eux, You Can’t Trust Nobody (Flyright, 1981).enregistré à Crowley en 1959.
Leroy Washington au chant et à la guitare, John Johnson au piano, Lonesome Sundown à la guitare, Fats Perrodin à la basse et Clarence Etienne à la batterie.
« Rhythm ‘n’ Bluesin’ by The Bayou 6 », Ace 1388.


10/ Sad Leroy White
Et voilà un homme mystère ! On ne sait absolument rien de lui : ni son vrai nom, ni son âge, ni son parcours ! 
La chronique du coffret « Rhythm ‘n’ Bluesin’ by The Bayou 10 », Ace 1422 : « Le nom de l’artiste a été imaginé par J.D. Miller quand Bruce Bastin a loué la première fois le morceau pour un album Flyright alors que l’artiste était inconnu. Ah, le cauchemar du biographe ! » Bruce Bastin = producteur de Flyright. 
On ne lui connaît, qu’un seul morceau, le voici : A Merry Christmas. 
Tous ceux qui disposeraient d’informations fiables sur Sad Leroy White peuvent appeler au studio de Radio Transparence au 05 61 65 50 00 aux heures de bureau ! Merci.



Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

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mercredi 14 mars 2018

Séance 21 A


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !



Séance 21



1/ Billie Holiday
On commence l’émission avec une chanteuse de jazz, Billie Holiday. Eh oui, son autobiographie, pas mal enjolivée il faut le dire, dont on a tiré un film avec la chanteuse Diana Ross dans le rôle de Billie Holiday, a pour titre « Lady Sings The Blues », mais c’était bien une chanteuse de jazz. Une chanteuse qui aura drôlement galéré dans sa vie dès le départ. Née en 1915, plus ou moins abandonnée par ses parents, elle est envoyée en maison de redressement, un monde de violence et de viol, elle connaît la prostitution, la prison et les drogues dures. Elle était sans arrêt sous la coupe d’escrocs qui la terrorisaient. Sans parler du racisme bien sûr, qui faisait qu’une femme noire ne pouvait pas chanteur au milieu d’un orchestre blanc dans les années trente, quarante. Elle devra écourter une tournée avec l’orchestre d’Artie Shaw parce qu’elle n’était pas acceptée dans les hôtels avec les Blancs.
C’est dans ce contexte extrêmement dur qu’elle a produit des morceaux splendides. Grâce au critique producteur  John Hammond elle a pu enregistrer à partir de 1933 pour Columbia. Son véritable succès démarre à partir de 1935, elle devient une vedette du jazz new-yorkais. 
On écoute un morceau enregistré en 1940 qui est un grand classique du jazz, St. Louis Blues. Billie Holiday est accompagnée par l’orchestre de Benny Carter avec Bill Coleman à la trompette, Benny Morton au trombone, Benny Carter à la clarinette, George Auld au saxo ténor, Sonny White au piano, Ulysses Livingston à la guitare, Wilson Myers à la basse et Yank Porter à la batterie.
Billie Holiday a connu bien des hauts et des bas aussi. Elle a chanté avec les plus grands orchestres de jazz, avec Louis Armstrong, Duke Ellington, Count Basie etc. Sa tournée européenne de 1954 lui a fait un bien fou. Malgré les coups durs, l’alcool et la drogue, elle a chanté jusqu’à la fin de sa vie.
Le saxophoniste Lester Young l’avait surnommée Lady Day. C’était en effet une Lady, une grande dame du jazz, dotée d’une voix et d’un sens du feeling et du swing exceptionnel.


2/ Mercy Dee Walton
On continue avec un chanteur et pianiste texan, Mercy Dee Walton. Mercy Dee est surtout connu pour être l’auteur d’un morceau, One Room Country Shack, qu’il a enregistré en 1953 et qui est devenu un standard du blues et même du rock. 
Mercy Dee est né en 1915 au Texas. Il a tourné essentiellement sur la Côte Ouest. Il faut dire que bien souvent les musiciens du Texas font aussi carrière à San Francisco, Los Angeles, sur la Côte Ouest terriblement attractive, avec plein de pognon, de bars et de clubs.
Mercy Dee a commencé à enregistrer en 1949 pour une petite marque. Par la suite, il a gravé de nombreuses faces pour Imperial, Specialty et d’autres marques.
En 1961 il a sorti deux albums, un pour Arhoolie, un autre pour Prestige/Bluesville. On écoute un morceau tiré de l’album Arhoolie, Red Light. 
Red Light, un morceau qui prouve que Mercy Dee n’est pas que l’homme d’un seul morceau, One Room Country Shack, qu’on aura évidemment l’occasion d’entendre dans une prochaine émission. Mercy Dee est en fait l’auteur de pas mal d’excellents morceaux : je pense à G.I. Fever ou encore à Dark Muddy Bottom qui a été repris par le chanteur de rock ‘n’ roll Billy Lee Riley.
Mercy Dee est décédé en 1962. La Côte Ouest a produit de nombreux pianistes. Mercy Dee était l’un des plus efficaces et les plus originaux.


3/ Cookie and His Cupcakes
Nous allons maintenant faire connaissance avec un nouveau style, la swamp pop ! On ne dira jamais assez combien la Louisiane est riche de traditions musicales diverses et surprenantes. Nous connaissions déjà le swamp blues, dont les héros sont Lightnin’ Slim et Slim Harpo, le cajun et le zydeco de Clifton Chenier ; voici maintenant le swamp pop qui en est proche puisqu’il s’agit d’un mélange de blues, de rhythm and blues, de country, de zydeco et de musique créole.
Le groupe le plus représentatif du genre est incontestablement celui de Cookie and His Cupcakes. Cookie est le surnom du chanteur saxophoniste Huey Thierry né en 1936. Cookie était fan de Hank Williams et surtout de Fats Domino. Il se joint à un groupe d’adolescents comme lui en 1952, les Boogie Ramblers, qui comptent un trompettiste, Ernest Jacobs (qui jouera ultérieurement du piano), Shelton Dunaway chanteur saxophoniste, Marshall LeDee guitariste et Simon Lubin à la batterie (remplacé plus tard par Ivory Jackson).      
Le groupe a passé un contrat avec une marque locale Goldband. Le premier disque sort en 1955. Le groupe prend le nom de Cookie and His Cupcakes en 1956. Leur premier hit date de 1958. Il s’agit d’un morceau appelé Mathilda, on l’écoute. 
Le groupe jouait déjà Mathilda dans les clubs et c’était devenu le morceau fétiche de la swamp pop avant d’être classé au hit-parade national. Le groupe enregistrera de nombreux titres jusqu’en 1965. Ils ont décroché un autre succès national en 1963 avec Got You On My Mind. Les causes de la fin du groupe en 1965 ne sont pas claires. Il semble que le racisme ne soit pas étranger à l’affaire : le groupe a dû jouer des poings sur la fin parce que certains voulaient l’empêcher de jouer. Toujours est-il que Cookie a préféré quitter le groupe et partir sur la Côte Ouest.
Bien des années après, en 1995, plusieurs membres du groupe, dont Cookie, se remis à jouer ensemble. Voilà ce qu’on pouvait dire sur Cookie and His Cupcakes, le groupe phare de la swamp pop !


4/ Place au blues à présent ! On va s’écouter un grand succès d’un géant de l’harmonica dont on a déjà parlé, Sonny Boy Williamson, Rice Miller de son vrai nom. 
Sonny Boy Williamson n°2 a connu deux périodes dans sa vie : la première dans le sud où dans les années trente, quarante, il a joué avec Robert Johnson, Howlin’ Wolf, Robert Nighthawk et d’autres. Il animait aussi une émission de radio ; la seconde à Chicago à partir des années cinquante. Le contrat qu’il signe alors avec Chess lui permet d’être entouré des meilleurs musiciens, Muddy Waters, Jimmy Rogers, le batteur Fred Below etc. Et là il a produit de véritables chefs d’œuvre.
C’est l’un de ces chefs d’œuvre qu’on va écouter. Il s’agit de Bring It On Home. Sonny Boy Williamson Rice Miller au chant et à l’harmonica est accompagné par Lafayette Leake ou Billy Emerson à l’orgue, Matt Murphy à la guitare, Milton Rector à la basse et Al Duncan à la batterie.
Le critique Gérard Hertzhaft parle de perfection à propos d’un morceau comme Bring It On Home, comme pour les chefs d’œuvre que Sonny Boy Williamson a enregistrés à la même époque tels que Help Me qu’on a déjà entendu dans l’émission, ou bien Don’t Start Me To Talking, Checkin’ Upon My Baby. Je partage cette appréciation, comme j’imagine la plupart des amateurs de blues.  
Arnaudon, pour sa part, parle de lui dans son Dictionnaire du Blues, comme le plus grand de tous les harmonicistes de blues. Compte tenu de la place importante qu’occupe l’harmonica dans le blues moderne, c’est dire la stature de Sonny Boy Williamson n°2, Rice Miller !
Nous aurons l’occasion d’en reparler en écoutant les autres chefs d’œuvre de cet artiste de génie.


5/ Warren Storm
Nous allons revenir à la swamp pop à présent, dans sa version blanche cette fois-ci, avec le chanteur, guitariste et batteur Warren Storm, qui a été surnommé « The godfather of the swamp pop », le parrain de la swamp pop. 
Le cas de Warren Storm me paraît tout à fait emblématique du sort réservé à certains musiciens et plus spécialement dans la swamp pop. Les qualités de Warren Storm lui permettaient de toute évidence de faire une brillante carrière dans le rock ‘n’ roll. S’il n’en a rien été, c’est juste une question de contrat, de label, de manque de promotion, de domination de certaines firmes, de choix de l’industrie du disque. On est ici dans une injustice qui va au-delà du clivage entre les Blancs et les Noirs, très fort à l’époque. Ainsi le meilleur copain de Warren Storm, Bobby Charles, un Noir qui est l’auteur de tubes majeurs du rock ‘n’ roll, comme le fameux See You Later Alligator dont Bill Haley a fait un hit important, est resté complètement inconnu. Beaucoup de musiciens de Louisiane, blancs et noirs, ont été confrontés à ce problème.
On écoute un morceau de la fin des années cinquante, la date précise n’est pas connue, If You Don’t Want Me.  
Le vrai nom de Warren Storm est Warren Schexnider. Il est né en 1937, en Louisiane évidemment. Son père était un musicien cajun qui a joué avec des groupes importants comme les Rayne-Bo Ramblers et les Happy Fats, et c’est lui qui lui a appris la guitare et la batterie.  
Warren Storm a formé son premier groupe de rock ‘n’ roll en 1956. Il a commencé à enregistrer pour le producteur J. D. Miller en 1958 et il décroche un hit classé au Top 100, Mama Mama Mama. Par la suite Warren Storm enregistre pour de nombreux labels. Au début des années soixante il forme un groupe, les Shondells, avec lequel il va se produire et enregistrer jusqu’en 1970 environ. Les Shondells auront deux hits régionaux. Warren Storm retrouvera une certaine popularité vers 2000 avec un autre groupe.
Certains estiment que son surnom de « parrain de la swamp pop » n’est pas vraiment fondé car d’autres artistes du genre ont commencé à jouer en même temps que lui. En tout état de cause une chose est sûre à mon sens : c’est bien Warren Storm qui était le meilleur du genre à l’époque. A noter par ailleurs que ses talents de batteur ont été très appréciés lorsqu’il accompagnait d’autres musiciens, dans tous les genres, pour les enregistrements de J. D. Miller.


6/ Left Hand Frank
On revient au blues avec le chanteur guitariste Left Hand Frank. De son vrai nom Frank Craig, Left Hand Frank, Frank « le gaucher », fait partie de ces très nombreux musiciens de grand talent qui tournaient à Chicago dans les années cinquante, soixante, en tirant le diable par la queue. Comme ils étaient nombreux, les places étaient chères. Tout le monde n’avait pas accès aux studios, aux enregistrements, aux équipes des marques comme Chess ou Vee-Jay. Des dizaines et des dizaines de musiciens jouaient dans la rue, devant les bars et les clubs car ils n’avaient pas forcément le droit d’entrer, bref c’était la débrouille totale.
Left Hand Frank a suivi le parcours classique. Il est né dans le Delta du Mississippi en 1935 et il a rejoint Chicago à l’adolescence. Chicago, « Sweet Home Chicago » comme disait Robert Johnson, rêvé comme une espèce d’eldorado par des millions de Noirs du sud sans emploi, pauvres et en proie à la ségrégation. 
Left Hand Frank est connu essentiellement comme accompagnateur, c’est un sideman comme beaucoup d’autres qui n’ont jamais réussi à enregistrer sous leur propre nom. Il tourne à Chicago à partir du milieu des années cinquante jusqu’à la fin des années soixante dix. Il a participé à des concerts avec Jimmy Rogers, Junior Wells, Jimmy Dawkins, Hound Dog Taylor... Ce qui l’a vraiment révélé, c’est d’avoir finalement pu enregistrer en 1978 quatre morceaux sous son nom pour la série « Living Chicago Blues » de la marque Alligator.
C’est là qu’on a pu voir qu’il était un bluesman de valeur. On écoute l’un des morceaux de la série « Living Chicago Blues » : le morceau s’appelle Blues Won’t Let Me Be.  
Ce morceau est extrait du premier volume de la série Living Chicago Blues parue chez Alligator ; une série de six CD que je recommande aux amateurs. Il ne s’agit pas d’une compilation artificielle : de nombreux morceaux, comme ceux de Left Hand Frank, ont été enregistrés spécialement pour la série.
A la fin des années soixante dix, Left Hand Frank déménage sur la Côte Ouest. Par la suite il raccroche en raison de problèmes de santé. Il est décédé en 1992.


7/ Furry Lewis
Voici maintenant un autre guitariste de blues, nettement plus des amateurs au moins, Furry Lewis. De son vrai nom Walter Lewis, Furry Lewis est né dans le Mississippi, peut-être en 1893, la date est incertaine, il est mort en 1981. Sa famille s’est établie à Memphis alors qu’il était très jeune.
Il a beaucoup voyagé dans le Mississippi, le Tennessee, à Chicago et il a ainsi fréquenté des artistes comme Blind Lemon Jefferson, Bessie Smith, Gus Cannon. Il commence à enregistrer pour Vocalion en 1927 et récidive l’année suivante pour Victor.
On écoute un morceau enregistré en 1928, Kassie Jones, première partie. Il existe un deuxième morceau, Kassie Jones, seconde partie qu’on aura l’occasion d’écouter dans une autre émission.
Pour gagner sa croûte, Furry Lewis travaillait comme ouvrier dans un garage. Pas évident car il avait été amputé d’une jambe après un accident de chemin de fer. Après 1930 il se fait balayeur pour la ville de Memphis et il le restera jusqu’à se retraite en 1966. Il ne se produisait plus qu’occasionnellement dans les rues ou lors de soirées.
Après une éclipse de trente ans, il est redécouvert par Sam Charters en 1959 à l’occasion du blues revival. Il réalise alors quelques sessions pour les marques Folkways et Prestige/Bluesville. Il participe ensuite à de nombreux festivals et enregistre abondamment.
Furry Lewis est un artiste important de la scène de Memphis des années vingt, trente. Il a incorporé en fait plusieurs apports : il pratique le bottleneck comme dans le Mississippi, les basses continues comme Frank Stokes, la figure tutélaire de Memphis et il pouvait chanter comme Jim Jackson, très populaire à Memphis dans ces années-là. Furry Lewis était sans doute une figure pittoresque, c’était aussi un magnifique guitariste de blues.


8/ Johnnie Lee Wills
On change de genre à présent avec le violoniste texan Johnnie Lee Wills. On a déjà entendu un Wills dans cette émission : Bob Wills, dans un des plus grands chefs d’œuvre de la country music, Steel Guitar Rag. Aujourd’hui nous parlons de son frère cadet, Johnnie Lee né en 1912, mort en 1984.
Johnnie Lee a fait partie de l’orchestre de son frère Bob, les Texas Playboys, pendant six ans, de 1934 à 1939. Ensuite il fonde son propre groupe puis revient s’associer avec son frère qui décide finalement de scinder son orchestre en deux. Johnnie Lee dirige l’un d’eux, Johnnie Lee and His Boys.
Johnnie Lee Wills commence à enregistrer pour Decca en 1941. Mais sa grande année, c’est 1949. Il obtient deux succès avec Rag Mop et Peter Cotton Tail On écoute le premier, Rag Mop, gros succès commercial. Johnnie Lee Wills est au chant, Julian Curly Lewis est au violon et au chant, Henry Boatman également, Don Harlan à la clarinette et au chant, Buster Magness à la steel guitar, Eb Gray à la guitare, Clarence Cagle au piano, Chuck Adams à la basse et Howard Davis à la batterie.
Il est vrai que l’auteur ne s’est pas foulé pour le contenu des paroles puisqu’il se contente d’épeler le titre de la chanson « r-a-g m-o-p » puis de réciter l’alphabet, mais c’est sans doute ce qui a amusé le public de l’époque. La technique avait déjà été utilisée sept ans auparavant en 1942 par Glenn Miller, l’auteur du célèbre tube In The Mood, dans un morceau intitulé I’ve Got A Gal In Kalamazoo. 
Johnnie Lee Wills continue à enregistrer au début des années soixante. Son groupe se dissout en 1964. Johnnie Lee Wills a alors ouvert un magasin de vêtements.
Johnnie Lee Wills avait en fin de compte un orchestre assez bluesy et au fil des ans son style s’est fait de plus en plus annonciateur du rock ‘n’ roll. Si son frère Bob a été bien plus connu que lui, son œuvre n’est pas à négliger. Elle a aussi compté dans l’histoire de la country. 


9/ Huey Piano Smith
Voici maintenant du rhythm and blues avec le pianiste Huey Piano Smith. Huey Pierce Smith, surnommé Piano Smith, est né en 1934 à La Nouvelle Orléans. Eh oui, on ajoute un pianiste de plus à la liste des pianistes de La Nouvelle Orléans, et ce n’est pas fini !
Huey Piano Smith a commencé par faire des accompagnements. Il tient le piano dans des sessions de Lloyd Price, d’Earl King, Smiley Lewis… C’est en 1957 qu’il forme son groupe Huey Piano Smith and The Clowns, avec Bobby Marchan qui fera une carrière solo par la suite. The Clowns : tout est dit dans le titre du groupe qui se spécialise dans des morceaux alliant des roulements de piano style Nouvelle Orléans, un rythme très accentué façon rock ‘n’ roll et des paroles gadget, de clowns quoi !
Huey Piano Smith signe chez Ace et frappe fort très vite avec le morceau Rockin’ Pneumonia And The Boogie Woogie Flu qui se vend à plus d’un million d’exemplaires et devient un standard du rhythm and blues et du rock ‘n’ roll. Il récidive l’année suivante avec Don’t You Just Know It qui atteint la quatrième place au hit-parade rhythm and blues et est également un gros succès commercial.
C’est alors que Ace lui fait une crasse pas possible ! Ils effacent la partie vocale chantée par Huey Piano Smith de plusieurs morceaux non édités et sortent les titres avec des chanteurs blancs ! L’industrie du disque s’est souvent comportée comme des requins vis-à-vis des artistes, surtout s’ils étaient noirs, mais là c’est quand même très fort ! Le taux de duplicité que les magnats de l’industrie et du capitalisme peuvent déployer pour augmenter leurs profits m’étonnera toujours…
Du coup Huey Piano Smith quitte Ace et passe chez Imperial. Il joue avec Fats Domino et Dave Bartholomew. Mais le succès ne suivra pas. Pourtant, les faces qu’il grave en 1960, 1961 pour Imperial sont des petits chefs d’œuvre de rhythm and blues et de rock ‘n’ roll.
On écoute le premier morceau gravé pour Imperial en 1960, The Little Moron. Dans la bande des clowns se trouvent James Rivers, Robert Parker et Walter Kimble aux saxos ténor, Justin Adams et George Davis aux guitares, George French à la basse et Robert French à la batterie. Et bien sûr Huey Smith au piano !
Huey Piano Smith n’a pas trouvé le succès chez Imperial. Le pire, c’est que Huey Piano Smith a été contraint de revenir chez Ace parce qu’il avait signé un contrat longue durée. Il reprend un morceau qu’il avait enregistré précédemment, Popeye,  et que Ace avait sorti avec un autre chanteur. Cette fois ça marche, le morceau sera classé au niveau national.
Huey Piano Smith n’a pas eu d’autres succès et le genre décline dans les années soixante. Il tentera plusieurs retours par la suite, sans succès.
Huey Piano Smith, qui je pense vit toujours, reste comme un pianiste important de La Nouvelle Orléans, pionnier du rock ‘n’ roll. Pour moi, c’est un des grands noms du rhythm and blues. Ce n’est que mon avis, mais je le partage !


10/ Wilbert Harrison
On termine l’émission avec Wilbert Harrison, né en 1929, mort en 1994, chanteur, guitariste, pianiste, harmoniciste, homme orchestre en fait !
Wilbert Harrison  est avant tout connu pour son grand succès de 1959, Kansas City, une reprise d’un morceau de Little Willie Littlefield intitulé K.C. Lovin’  (K.C., les initiales de Kansas City) sorti en 1952 et que nous avons eu l’occasion d’entendre lors d’une émission précédente. Si vous allez sur internet, vous trouverez que les auteurs de la chanson sont les inévitables Jerry Leiber et Mike Stoller. Une fois de plus, il s’agit là d’un détournement qu’il faut dénoncer. 
A l’origine se trouve une chanson de 1927 du bluesman Jim Jackson intitulée Jim Jackson’s Kansas City Blues. La structure de la mélodie et l’essentiel des paroles, tout y est déjà ! Ce morceau a eu un grand retentissement à l’époque. Deux ans plus tard, en 1929, le père du blues du Delta, Charley Patton, reprend la structure mélodique de la chanson dans un morceau intitulé Going To Move To Alabama et bien des années plus tard le chanteur de country Hank Williams s’en servira pour son fameux Move It On Over qu’on a entendu lors de la toute première émission de Hot Ariège.
Il est donc clair que Leiber et Stoller n’ont rien inventé. Ils ont simplement adapté le morceau pour être joué par un orchestre, fait l’arrangement et changé un peu les paroles. Ce n’est pas rien, certes. De là à les créditer d’être les auteurs de la chanson, c’est tout de même effacer un peu vite les bluesmen qui ont réellement créé la structure du morceau et notamment Jim Jackson.
Mais la version de Kansas City de Wilbert Harrison est une magnifique réussite qui doit beaucoup, évidemment à la voix et au piano de Harrison, mais aussi à la guitare du fantastique guitariste new-yorkais Wild Jimmy Spruill. On écoute cette version.
Ce morceau enregistré pour la marque Fury du producteur Bobby Robinson a été une véritable bombe, classé n°1 au hit-parade, vendu à plus d’un million d’exemplaires. mais surtout c’est devenu l’un des plus grands standards de blues et de rock ’n’ roll de l’histoire dont les reprises sont absolument innombrables. Il existerait plus de trois cent versions…
Wilbert Harrison n’en est pas resté là. Il a de nouveau cassé la baraque en 1970 en reprenant une de ses propres chansons qui s’appelait Let’s Stick Together et qu’il a transformée en Let’s Work Together qui a été classée trente-deuxième au hit-parade et qui est devenue un tube mondial avec la reprise dans les mois qui ont suivi par le groupe de blues rock Canned Heat. 
Wilbert Harrison ne saurait être réduit à ces deux coups d’éclat. Il a produit dans les années cinquante et soixante toute une série de morceaux vraiment extra. C’est un personnage majeur de la scène de New-York avec Wild Jimmy Spruill, Champion Jack Dupree, Mickey Baker dont nous aurons l’occasion de parler dans de prochaines émissions.


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!

mercredi 7 mars 2018

Séance 20


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !



Séance 20


1/ Tommy Johnson
On commence l’émission avec une chanson enregistrée en août 1928 pour la marque Victor ; oui, une chanson autant qu’un auteur, même si les deux sont inséparables bien sûr, parce que cette chanson, Canned Heat Blues, fait partie de l’histoire du blues, je dirais même de la musique contemporaine malgré le déficit de reconnaissance dont le blues a à souffrir. 
Cette émission a l’ambition d’être un peu plus qu’un simple moment agréable où on écoute de la bonne musique. C’est aussi un témoignage sur une certaine réalité sociale, historique et culturelle. Les Noirs d’Amérique du Nord ont inventé la musique contemporaine et le fond de cette musique repose sur des blues tels que Canned Heat Blues. Ce n’est pas pour rien que le plus bluesy des groupes de rock/pop des années soixante a pris pour nom Canned Heat en hommage à Tommy Johnson son auteur et en référence à cette chanson magique.
On écoute Canned Heat Blues.
L’émotion qui se dégage de cette chanson est considérable. Tommy Johnson a l’art de chanter avec une intensité dramatique, avec des effets de falsetto tout simplement incroyables et un jeu de guitare aux basses syncopées qui souligne l’effet avec une efficacité parfaite. 
Les paroles sont relativement simples. Canned Heat, littéralement cela veut dire de la chaleur en boîte. Cela désignait à l’époque, on est en 1928, un combustible utilisé dans les réchauds de cuisine mais qui était connu pour être sommairement distillé afin de servir d’alcool, de boisson. Rappelons aussi que nous sommes en pleine Prohibition. Alors le Canned Heat Blues, c’est pas compliqué, ça veut dire que si tu touches à ce truc-là, t’es foutu. Un autre bluesman, Will Shade, dans un blues de 1928 intitulé Better Leave That Stuff Alone (ce qui veut dire à peu près « Tu ferais mieux de pas toucher à ce truc », compare le Canned Heat à la morphine. 
Tommy Johnson, né dans le Mississippi en 1896, mort en 1956, est un disciple de Charley Patton, le père du blues du Delta. Il n’a enregistré que 14 titres entre 1928 et 1930, mais tous ces morceaux sont devenus des classiques du blues repris d’innombrables fois. Citons Maggie Campbell blues, Big Fat Mama Blues, Big Road Blues   
La fin de sa vie est d’une tristesse absolue bien qu’il ait continué à jouer. Il a perdu au jeu tous ses droits d’auteur et il a vécu pendant vingt ans une vie misérable d’alcoolique avec de nombreux séjours en prison. 
Tommy Johnson a influencé de très nombreux artistes, au-delà du blues. Il est une figure majeure du blues du Delta.


2/ Otis Williams
Et nous passons maintenant à un chanteur de rhythm and blues, Otis Williams. Attention, il s’agit d’Otis Williams chanteur du groupe de doo wop des Charms, à ne pas confondre avec un autre Otis Williams, chanteur de soul celui-là avec le groupe des Temptations. 
Notre Otis Williams version doo wop est né en 1936 dans l’Ohio. Otis Williams & The Charms ont commencé à enregistrer pour King à partir de 1954. Cette année-là, le titre Hearts Of Stone reste neuf semaines numéro 1 au hit-parade rhythm and blues. Il s’en vend plus d’un million d’exemplaires.
On écoute un de leurs succès de l’année suivante, 1955, intitulé Two Hearts 61’. 
Otis Williams décroche un autre succès en 1956, Ivory Tower. Après, ça se dégrade. Il enregistre en solo, arrête en 1963, revient en 1965, se met à la soul chez la marque Okeh, arrête à nouveau, puis il se fait barbier, il enregistre de la country, tout ça sans succès.
Dommage. Otis Williams avait un bon groupe de doo wop dans les années cinquante alors que beaucoup d’autres tombaient dans des écueils divers : orchestres d’amateurs inexpérimentés, chansons gadget insipides, roucoulades de teenagers et j’en passe… 


3/ Bill Doggett
On reste dans le rhythm and blues, tendance jazzy cette fois, avec le pianiste, organiste, arrangeur Bill Doggett, auteur d’un hit historique et étonnant en 1956, Honky Tonk.  Un hit historique, parce que c’est un des plus gros succès de l’après-guerre, vendu à plus de quatre millions d’exemplaires, numéro 1 au hit-parade rhythm and blues, au Top 10 pendant quatorze semaines, numéro 2 au classement pop ; et un hit étonnant parce que c’est un morceau entièrement instrumental qui à ce titre peut se revendiquer aussi bien du blues, du jazz ou du rhythm and blues que du rock ‘n’ roll. J’ai gardé dans les souvenirs de mes années de lycée un livre d’histoire, je pense que cela devait être celui de terminale, qui donnait comme exemple de la culture de masse qui s’était répandue dans le monde après la guerre le succès de Honky Tonk de Bill Doggett.
On écoute Honky Tonk 1ère partie (il existe une 2ème partie qui a également été classée au hit-parade) avec Bill Doggett à l’orgue, Clifford Scott au saxo alto, Billy Butler à la guitare, Edwyn Conley à la basse et Shep Shepherd à la batterie.
Incroyable morceau que ce Honky Tonk où chaque note tombe à la perfection !
Que dire de Bill Doggett ? Il est plutôt rare qu’on retienne les noms des arrangeurs qui sont plus dans l’ombre que sous la lumière des projecteurs. L’orchestre de Lucky Millinder, qu’on a déjà cité plusieurs fois dans cette émission, était l ‘un des orchestres de swing les plus en vue fin des années trente début des années quarante. Qui était l’arrangeur, celui qui met tout en place pour que ça sonne impeccable, pour que les cuivres ne s’emmêlent pas avec les instruments à cordes ? Bill Doggett qui avait formé l’orchestre avant que Lucky Millinder n’en prenne la direction. Par la suite, Bill Doggett travaillera avec les Ink Spots, puis avec Louis Jordan et il fera des arrangements pour les plus grands noms du jazz, Louis Armstrong, Lionel Hampton, Count Basie. Et sans son succès personnel de 1956, qui aurait retenu le nom de Bill Doggett ?
Le schéma de Honky Tonk a fait l’objet de maintes reprises, c’est devenu un classique. Parmi les reprises qui ont adapté ce schéma, on peut citer Slip-N-Out de Joe Houston ou Johnny’s House Party de Jimmy Beasley et il a inspiré des morceaux comme Harpin’ On It de Frank Frost.


4/ Creedence Clearwater Revival
On change de style avec le groupe avec le groupe de rock américain Creedence Clearwater Revival. L’origine du groupe remonte en fait à 1958, lorsque deux copains d’un collège près de San Francisco, John Fogerty, qui deviendra le chanteur guitariste du groupe, et Douglas Clifford, qui deviendra le batteur, décident de former un groupe de blues. De la part de jeunes blancs aux Etats-Unis, en plein boom rock ‘n’ roll, l’idée de former un groupe basé sur le blues est une initiative vraiment originale, presque incongrue, en tout cas unique. Le groupe s’adjoindra un pianiste qui sera en fait le bassiste, Stewart Cook, et le frère de John Forgerty, chanteur, qui en fait tiendra la guitare rythmique.
Le groupe réalise des enregistrements sous des noms divers à partir de 1961. Faut-il préciser qu’ils n’ont obtenu au début aucun succès ? C’est évidemment l’onde choc de la beatlemania qui leur permettra de décoller en 1967 sous le nom de Creedence Clearwater Revival. 
On écoute un morceau extrait de leur second album « Bayou Country », c’est en fait leur plus grand succès, le morceau est intitulé Proud Mary.
Proud Mary est un tube planétaire repris par Elvis Presley, Ike & Tina Turner et beaucoup d’autres. Le groupe accumulera les succès jusqu’en 1972, date à laquelle le groupe se sépare. Citons Fortunate Son, Travelin’ Band, Bad Moon Rising, Who’ll Stop The Rain ?
La force de Creedence, c’est d’avoir su marier avec une grande originalité la country, le rockabilly et le blues. L’étiquette de « country rock » leur convient parfaitement et il se trouve qu’ils ont servi cette musique si bien trouvée au moment même où le rock dérivait dans un psychédélisme totalement délirant, ce qui a fait beaucoup de bien à l’époque. Nombreux sont ceux qui s’en souviennent encore ! 


5/ Cousin Leroy
Allez, après cette digression, on revient au blues, au vrai blues noir avec le chanteur harmoniciste guitariste Cousin Leroy. On sait très peu de choses sur la vie de Cousin Leroy. C’est un musicien de la Côte Est, né en 1925 en Géorgie sous le nom de Leroy Asbell et qui a été présent sur la scène musicale de New-York entre 1955 et 1957 d’abord sous le nom de Leroy Rozier, puis de Cousin Leroy. 
Ses premiers enregistrements de 1955 pour Groove, avec Champion Jack Dupree et Larry Dale qui seront présents sur tous ses enregistrements de ces deux trois années entre 55 et 57, n’ont pas été édités initialement.
On écoute un morceau de 1957 enregistré pour la marque Amber intitulé I’m Lonesome, avec Cousin Leroy au chant et à l’harmonica, Champion Jack Dupree au piano, Larry Dale à la guitare, Sid Wallace à la basse et Gene Brooks à la batterie.
Cousin Leroy, très bien entouré, démontre ici des qualités évidentes et il est vraiment dommage que sa carrière n’ait pas pu se prolonger. Après 1957, sa vie est un mystère. Des histoires ont circulé à son propos, comme quoi il aurait fait de la prison, il se serait échappé et aurait sillonné le Sud à bord de bus Greyhound avec un harmonica dans sa poche.
Vérité ou légende, qui sait ? Ce qui est établi c’est la date de sa mort en 2008. On trouve la plupart de ses morceaux sur des compilations diverses. Le morceau qu’on a entendu est extrait d’une excellente compilation d’auteurs divers intitulée « Gonna Rock The Blues Again » (elle fait suite à un premier CD « Gonna Rock The Blues »), parue chez Official, une marque danoise, en 1995. 
Je vous recommande ces deux CD : tous les morceaux sont géniaux !


6/ Emmy Oro
Voici maintenant une chanteuse étrange, inclassable, Emmy Oro, qui est connue comme l’interprète d’une chanson présente sur plusieurs compilations A Fish House Function. Cette chanson est tout simplement incroyable ! Elle mélange du piano barrelhouse avec des gadgets et du rockabilly, elle commence en anglais et finit en italien et elle connaît plusieurs changements de rythme ! Quant au contenu des paroles, l’histoire de poisson et de chat n’a ni queue ni tête… Voici ce qu’en a dit Bob Dylan qui a interprété cette chanson au cours d’une émission de radio : « Nous jouons une artiste qui nous embrouille totalement:. Je ne sais rien sur Emmy Oro, sauf qu'elle a enregistré cette chanson, et à la fin, elle commence à parler une langue que je ne comprends pas, une chanson qui soulève plus de questions que de réponses ... La première fois que je l'ai entendue, c'était par une chaude journée d'été, je pensais que j'avais des hallucinations ! » Bref, le Bob il était paumé.
On écoute la chanson, A Fish House Function ; on donne quelques explications ensuite.
En fouillant sur internet, j’ai trouvé les éléments suivants. Emmy Oro est née Emilia Gramaldi en 1919 à New York. Elle était mariée à Michael Orofino, d’où son nom d’artiste.  La chanson a été enregistrée pour le label Chelsea qu’elle a contribué à créer. Elle a enregistré une douzaine de titres en 1961, 1962 pour Chelsea. Son neveu, Paul Orofino, précise que l’enregistrement de A Fish House Function a eu lieu à son domicile avant d’être mixé dans un petit studio. Sa tante est morte en 1982. 
Voilà l’histoire d’une rockeuse d’origine italienne totalement inconnue qui a produit une petite merveille de rock ‘n’ roll original au moment où le genre était en train de s’éteindre sous l’action des majors, les grandes compagnies de disques qui ne cherchaient qu’à promouvoir la variété.


7/ Smokey Smothers
Voici maintenant du blues à nouveau avec le chanteur guitariste Smokey Smothers.  
Attention, il existe deux Smokey Smothers, deux frères ! Nous parlons d’Otis Smokey Smothers, le frère aîné, à ne pas confondre avec Abe Little Smokey Smothers, son frère cadet.
Otis Smokey Smothers est né dans le Mississippi en 1925. Il s’est fixé à Chicago en 1946. Dès 1948 il fréquente la célèbre rue Maxwell où se produisent les bluesmen de Chicago avec Hound Dog Taylor, Johnny Williams. Il joue dans la formation de Billy Boy Arnold, il enregistre comme accompagnateur de Howlin’ Wolf et Bo Diddley pour Chess. Il a aussi écrit des chansons pour Muddy Waters. 
En 1960 il grave un album pour la marque Federal / King. Il réalise une nouvelle session pour Federal en 1962. On écoute un morceau issu de cette session : Honey I Ain’t Teasin’.   
Ce morceau est présent sur le CD édité par Ace en 2002, « Smokey Smothers Sings The Back Porch Blues ». Il est parfaitement caractéristique de l’époque. Le producteur de Federal, Sonny Thompson, avait demandé à Smothers de faire du « Jimmy Reed », la grande vedette de Chicago chez Vee-Jay. Et c’est là où on voit qu’un musicien comme Smothers, qui avait tourné à Chicago depuis une quinzaine d’années, savait tout faire sans que ce soit du recopiage. Ca sonne incontestablement Jimmy Reed, mais la touche personnelle est bien présente et le niveau est excellent.  
Après la session pour Federal en 1962, Smokey Smothers n’enregistrera plus qu’un single pour la petite marque Gamma en 1967 et c’est tout. Par la suite il n’exercera plus d’activité régulière.
Smokey Smothers fait partie de cette cohorte de bluesmen de Chicago assez peu enregistrés alors qu’ils ont joué un rôle non négligeable dans l’élaboration du blues de Chicago dans les années quarante, cinquante.


8/ Hezekiah and the Houserockers
Et voici toujours du blues avec Hezekiah and the Houserockers. Hezekiah (dont le nom s’écrit avec ou sans h devant, j’ai trouvé les deux orthographes) se nomme Hezekiah Early. Il est né à Natchez dans le Mississippi en 1934. C’est un chanteur, batteur, harmoniciste. Je précise que jouer de l’harmonica en jouant de la batterie, ce n’est pas si fastoche, essayez vous verrez !
On a découvert cet artiste à l’occasion d’une tournée européenne mise sur pied en 1986 par le label français Black & Blue à l’instigation de l’ethnomusicologue David Evans, sous le nom de Mississippi Blues Festival.
Il en est sorti un très bon disque Black & Blue du même nom. On écoute un morceau de l’album, Saint Louis Blues, un grand classique du jazz repris façon blues du Mississippi.
Morceau extrait du CD Mississippi Blues Festival publié par Black & Blue, avec Hezekiah Early au chant, à l’harmonica et à la batterie, Pee Wee Whittaker au trombone et James Baker à la guitare.
Hezekiah Early a sorti au moins deux autres albums, l’un avec Elmo Williams, l’autre avec Robert Lee Watson.


9/ Deitra Farr
Nous allons parler d’une chanteuse à présent, une chanteuse de blues, Deitra Farr.
Personnellement, j’ai découvert Deitra Farr à l’occasion d’un festival de blues à Cognac. Je ne me souviens plus en quelle année c’était. Elle était furieuse, et il y a de quoi, parce que les organisateurs lui avaient refusé de jouer seule avec sa formation sur la grande scène et qu’elle avait dû se coltiner la présence de je ne sais plus qui. Ce genre d’incident témoigne du peu de respect dont certains organisateurs font preuve à l’égard des artistes, et peut-être plus spécialement d’authentiques artistes de blues noyés dans le magma de la world music qui a envahi les scènes.
On écoute un morceau du disque que j’ai acheté à Cognac, Must Have Been An Angel.
Ce morceau est tiré du CD intitulé « The Search Is Over » édité par JSP.
Deitra Farr est née en 1957 à Chicago. Elle a commencé à chanter du blues en 1980. Elle s’est fait connaître comme chanteuse principale du groupe des Mississippi Heat entre 1993 et 1996 avec lequel elle a sorti deux albums.
Chez JSP elle a également sorti deux albums.. Le premier, en 1997, c’est celui dont on vient de parler, « The Search Is Over ». Le second, c’est en 2005, « Let It Go ».
Deitra Farr est une chanteuse qui perpétue la tradition du blues authentique et dans les temps actuels, ça fait énormément plaisir.


10/ Elmore James
On termine avec un maître, un véritable Chicago blues master, Elmore James, émule du grand Robert Johnson et chef de file d’une école slide de Chicago qui va de Homesick James à Lil’ Ed, en passant par Hound Dog Taylor et bien d’autres.
On écoute Shake Your Money Maker, un morceau enregistré à la Nouvelle Orléans en 1961 dans des conditions un peu spéciales, « à la chandelle » selon le jargon des musiciens. Il semblerait qu’Elmore James ait été en froid avec le syndicat des musiciens et l’enregistrement aurait été fait dans des conditions quasi clandestines, la nuit, avec des chandelles pour ne pas attirer l’attention.
Elmore James est entouré par ses « Broomdusters », nom du groupe qui l’accompagne, référence évidente au morceau culte de Robert Johnson repris cent millions de fois par Elmore James : Dust My Broom. Parmi eux, Johnny Big Moose Walker au piano, Sammy Lee Bully à la basse et King Mose Taylor à la batterie. 
Sur l’origine de ce morceau, dont Elmore James est bien l’auteur, signalons qu’il a évidemment été influencé par le Roll Your Money Maker de Shakey Jake Harris enregistré trois ans auparavant avec Magic Sam et Willie Dixon.
Certains trouvent des origines plus lointaines dans le Shake It And Break It de Charley Patton en 1929, voire même dans le Got The Blues I Can’t Be Satisfied enregistré par Mississippi John Hurt en 1928. 
 Au-delà de ces querelles de spécialistes, cela prouve que la musique d’Elmore James est enracinée dans la plus pure tradition du blues d’avant-guerre. Un seul regret : quand vous tapez « Shake Your Money Maker » sur internet, vous tombez sur… Fleettwood Mac, un groupe pop auteur d’une pâle copie en 1968 qui n’est même pas la première puisque Paul Butterfield en avait commis une en 1965.
Shake Your Money Maker est évidemment un énorme standard du blues, du rock ‘n’ roll et de la pop music.


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!