mercredi 31 janvier 2018

Séance 16 C


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !





Séance 16 C

La maison Sun 2


Après une première émission consacrée exclusivement à des bluesmen qui ont enregistré pour la maison Sun, nous allons aujourd’hui balayer un éventail plus large en nous intéressant à certains bluesmen que nous n’avons pas pu entendre la première fois et aussi à des artistes de rock ‘n’ roll et de country.
Très tôt, Sam Phillips a compris que la musique afro-américaine avait quelque chose de magique et il s’est pris de passion pour le blues. Il a donc commencé en enregistrant des bluesmen, comme Joe Hill Louis ou B.B. King. Mais il a compris aussi assez vite que pour percer vraiment, compte tenu de la ségrégation infernale qui régnait à l’époque, il faudrait s’appuyer sur des musiciens blancs. Il s’est mis à la recherche de Blancs capables de jouer avec conviction la musique noire. C’est tout le sens de l’opération Elvis Presley, qui a assuré sa réussite et qui a fait de la maison Sun une maison prestigieuse, pour l’industrie du disque, pour le grand public et pour les connaisseurs. 
On va toutefois commencer par le début, en revenant sur quelques artistes de blues qu’on n’avait pas eu le temps d’entendre la dernière fois.


1/ Rosco Gordon
né en 1928 à Memphis, décédé en 2002.
Pianiste influencé par Charles Brown, Nat King Cole. Il a fait ses premiers enregistrements pour Sun. En 1952, Booted décroche la première place au Billboard. On l’écoute.
Style intermédiaire entre le rhythm and blues et le rock ‘n’ roll. Un style marqué par la structure syncopée, qui rappelle un peu Professor Longhair. Il a eu d’autres hits dans les années cinquante : No More Doggin’, Just A Little Bit. Mais il n’a touché que dalle comme royalties sur ces morceaux, bien que ses succès aient puissamment contribué à l’essor de la maison Sun. Dans les années soixante, soixante dix, il a enregistré pour d’autres labels. Il a d’ailleurs fini par récupérer ses droits sur ses premiers morceaux.


2/ D.A. Hunt 
Daniel Augusta Hunt, né en 1929 dans l’Alabama, mort en 1958.
On ne sait pas grand chose de ce chanteur guitariste qui jouait sous le nom de Junior Hunt avec divers orchestres dans l’Alabama. En 1953 on le voit fréquemment à Memphis et il enregistre donc pour Sun. 
On écoute Greyhound Blues, un titre qui évoque la marque mythique des autocars qui sillonnaient les « highways », ces interminables routes nationales qui reliaient les grandes villes du sud à travers plusieurs Etats.
A partir de 1955, D.A. Hunt mène une vie vagabonde. On le voit à Chicago, en Arizona. Et un jour, en 1938, on l'a retrouvé mort dans sa voiture.


3/ The Prisonaires
Un groupe de prisonniers du Tennessee State Penitentiary, autrement le pénitencier d’Etat du Tennessee qui regroupait des prisonniers faisant l’objet de longues peines.  
Leur histoire est parfaitement symptomatique de l’état d’esprit de Sam Phillips, qui est à la tête de Sun Records. Un groupe de prisonniers a constitué un ensemble vocal et un producteur les a fait passer sur une radio de Memphis. Sam Phillips les a entendus et il a décidé de les faire enregistrer. On voit bien qu’il était sur la brèche, constamment à l’affût, à la recherche de nouveautés.
Il a donc fait venir le groupe dans les studios de la maison Sun à Memphis avec une escorte fortement armée. Il faut avouer que le pedigree des cinq hommes est impressionnant : le leader, Johnny Bragg, a été reconnu coupable de plusieurs viols, deux autres Ed Thurman et William Stewart  sont là pour meurtre, un quatrième John Drue n’a que des vols à son actif si l’on peut dire, tandis que le dernier Marcell Sanders est incarcéré pour homicide involontaire. Cela se passe en 1953. Le groupe est aussi sec baptisé Les Prisonaires par Sam Phillips et il grave Just Walkin’ In The Rain, qui devient un hit. On l’écoute.
Certains chantent sous la pluie comme Gene Kelly, ces prisonniers-là se contentent de marcher mais ils chantent aussi, et rudement bien !


4/ Earl Hooker
Cousin de John Lee Hooker, né en 1930 dans le Mississippi, mort en 1970. En fait, sa famille s’est établie à  Chicago, assez tôt, en 1931 et très jeune il a fréquenté la fameuse rue Maxwell Street où se retrouvaient les bluesmen de Chicago. Mais il a fait des virées dans le sud, il a rencontré Ike Turner qui l’a fait participer à des émissions de radio.
Il grave son premier disque pour une petite marque en 1952 et c’est l’année suivante, en 1953 donc, qu’il enregistre pour M. Sam Phillips. On écoute un morceau issu de cette session, Hucklebuck. 
Morceau instrumental. A ses débuts, Earl Hooker n’a aucune confiance dans sa voix et il ne chante pas. Il préférera longtemps que ce soit quelqu’un d’autre qui chante. Mais il finira par s’y mettre et cela donnera des morceaux très réussis.
Sur le plan technique, Earl Hooker était considéré comme l’un des meilleurs de son temps. Et on peut dire sans exagération qu’il fait partie des plus brillants guitaristes de l’histoire du blues.


5/ Little Milton
De son vrai nom James Campbell, né en 1934 dans le Mississippi, mort en 2005. Chanteur guitariste fortement influencé par T-Bone Walker et B.B. King, au moins à ses débuts, car plus tard son style tirera plus vers la soul.
Il forme un ensemble en 1953, à 19 ans, les « Playmates of Rhythm ». C’est grâce à l’infatigable Ike Turner que le jeune Little Milton peut enregistrer pour Sun en 1953, 1954. On écoute Somebody Told Me.
On voit bien que Sam Phillips n’hésite pas à enregistrer des artistes qui jouent dans des styles assez différents : des « one-man-band » comme Joe Hill Louis et Doctor Ross, des bluesmen ruraux comme D.A. Hunt ou Jimmy DeBerry, des artistes qui se feront un nom à Chicago comme Howlin’ Wolf, James Cotton ou Earl Hooker, de tout en fait. Tout ce qui lui paraît bien, il essaie.


6/ Elvis Presley
Ca va être différent avec l’opération Presley. Là il s’agit clairement de sélectionner un jeune Blanc qui va avoir assez de savoir-faire et dégager suffisamment de charisme pour faire passer la musique des Noirs auprès du public blanc. 
J’ai raconté la scène lors de la toute première émission de Hot Ariège. Sam Phillips demande à Presley de chanter « tout ce qui lui passe par la tête pendant les trois heures suivantes ». Et Phillips n’est pas convaincu par la prestation de Presley. Il lui demande de répéter pendant une semaine et de revenir. Et Phillips n’est toujours pas convaincu. C’est une pause dans cette session de la dernière chance qui va décider du destin. Pendant la pause, Presley interprète librement le blues d’Arthur Big Boy Crudup, That’s All Right Mama, accompagné par un guitariste Scotty Moore et un contrebassiste Bill Black. Un blues, et non une ballade country sirupeuse, une interprétation décontractée, authentique, et non une récitation devant un jury, plus les qualités de Presley, l’effet est immédiat. Phillips est emballé. Il demande aux techniciens de brancher les micros. Une heure plus tard, le disque est prêt ! Ce sera un triomphe.
Cette scène raconte tout sur la naissance du rock ‘n’ roll et sur la maison Sun. A la base il y a le blues. Ce sont les Noirs qui ont tout inventé : la musique, les paroles, le style et même l’orchestration, qui est issue des morceaux de Crudup et de Junior Parker. Il est simplement essentiel que l’interprète apporte de la conviction d’une manière spontanée, naturelle. Tels sont les ingrédients. L’alchimiste se nomme Sam Phillips, l’artisan Elvis Presley.
On a déjà écouté That’s All Right Mama, on va donc écouter un autre morceau, un blues de Junior Parker cette fois enregistré en février 1955, Mystery Train.
Fantastique morceau de Junior Parker ! Force est de reconnaître que Presley a su restituer la magie du blues de Junior Parker, mais sous une autre forme que le morceau d’origine. ce faisant il a créé le rockabilly qui constitue le noyau dur du rock ‘n’ roll.
Presley est acheté dans le courant de l’année 1955 par RCA Victor pour la somme colossale à l’époque de quarante mille dollars. Durant le temps qu’il est resté chez Sun, Presley a sorti cinq 45 tours mais RCA  éditera plusieurs chansons restées inédites chez Sun.
Les 18 morceaux de Presley chez Sun sont évidemment à recommander. C’est peu dire que le souffle du rockabilly passe vraiment dans ces morceaux. Ce que fera Presley chez RCA sera très différent. Mais c’est une autre histoire que nous conterons un autre jour.


7/ Johnny Cash
Johnny Cash, né en 1932 mort en 2003, est l’une des quatre grandes découvertes de la maison Sun avec Elvis Presley dont on a parlé, ainsi qu’avec Carl Perkins et Jerry Lee Lewis dont on parlera juste après.
Johnny Cash représente un cas à part car ce chanteur guitariste se situe à la lisière de deux styles, le rockabilly et la country music. Ces deux genres sont très proches et de nombreux artistes se sont essayé aux deux, soit alternativement soit en même temps. Le cas de Johnny Cash est particulier, en ce sens qu’il se situe délibérément, dès l’origine, sur la frontière.
Il a décroché ses premiers hits chez Sun en 1956 :I Walk The Line, n°1 au hit-parade country & western . Folsom Prison Blues et So Doggone Lonesome, respectivement face A et face B d’un 45 tours ont atteint la quatrième place des ventes dans le genre.
On écoute la face A, Folsom Prison Blues, une des chansons les plus connues de Johnny Cash.
En 1957, Johnny Cash devient le premier artiste de la maison Sun à sortir un album 33 tours. Mais les relations se gâtent avec Sam Phillips. Johnny Cash voudrait enregistrer du gospel, Phillips refuse. Et ce dernier est plus préoccupé par la promotion de Jerry Lee Lewis, alors que Presley est parti chez RCA, que par la carrière de Johnny Cash. 
En 1958, Johnny Cash quitte la maison Sun pour signer chez Columbia. Son évolution ultérieure sera nettement tournée vers la country music. Mais Johnny Cash possède la particularité d’être une grande figure à la fois pour le rock ‘n’ roll et pour la country. 


8/ Carl Perkins
Chanteur guitariste, né en 1932, mort en 1998. Carl Perkins avait tout pour succéder à Elvis Presley. J’ai déjà raconté dans une émission précédente que cela ne s’était pas passé comme cela aurait dû.
Ses premiers enregistrements sont des ballades dans un style country. Mais c’est bien lui qui est l’auteur du morceau qui va devenir une espèce d’hymne du rock ‘n’ roll, Blues Suede Shoes, enregistré en décembre 1955. Touche pas à mes chaussures de daim bleu et tire toi de là ! C’est un accident de voiture qui va mettre Carl Perkins hors jeu pendant la période cruciale où les premières apparitions des rockers à la télé allaient décider de leur destin.
En décembre 1956, Carl Perkins reprend un vieux blues de Blind Lemon Jefferson, Match Box Blues, sous le titre Matchbox. Le morceau commence de la manière suivante :
« I'm sittin' here wonderin', will a matchbox hold my clothes (2×)
I ain't got no matches but I still got a long way to go. »
« Je suis assis là à me demander si une boîte d’allumettes pourrait contenir mes vêtements
Je n’ai plus d’allumettes mais il me reste un long chemin à parcourir. »
On écoute la version de Carl Perkins de Matchbox, avec Jerry Lee Lewis au piano.
La séance d’enregistrement de Matchbox est restée célèbre car peu après dans l’après-midi Elvis Presley et Johnny Cash sont passés au studio et ils ont improvisé à quatre – Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, Presley et Cash – quelques morceaux. Flairant la bonne affaire, Sam Phillips avait fait brancher les micros d’enregistrement et il éditera plus tard ces morceaux sous le nom du quartet à un million de dollars, The Million Dollar Quartet. Comme quoi la vénération américaine pour le fric n’est pas qu’une légende…
Je l’ai dit : l’artiste choisi par Sam Phillips pour succéder à Presley, ce fut Jerry Lee Lewis. Par la suite, Carl Perkins cédera à l’alcoolisme et au découragement. Il abandonne même le métier. C’est une rencontre avec Johnny Cash qui lui donnera le goût de se remettre dans le bain en effectuant un retour aux sources, celles de la musique country. 


9/ The Kirby Sisters.
L’histoire des sœurs Kirby, Bette chanteuse et pianiste, et Mary chanteuse, est une illustration à la fois du fait que Sam Phillips était intéressé par des auteurs très divers et des pratiques du show business. 
Les sœurs Kirby jouaient dans un night club de Texarkana, une ville située dans le Texas à la frontière de l’Arkansas, d’où son nom. Elles ont envoyé une démo, une cassette de démonstration, à Sam Phillips et ça lui a plu. Il a invité les sœurs Kirby à venir enregistrer dans les studios Sun à Memphis. 
Elles sont venues et elles ont enregistré cinq chansons. Mais la session a été interrompue par un coup de fil de la propriétaire du night club de Texarkana qui a menacé Sam Phillips de poursuites si les enregistrements sortaient. Sam Phillips n’a pas voulu avoir de problèmes et les morceaux sont restés inédits.
Ils ne sont réapparus que bien des années plus tard, dans des compilations de la maison Sun et de rockabilly. On écoute Red Velvet, un morceau dont le titre original des Kirby Sisters était The Blonde In Red Velvet. 
Le coffret édité par Bear Family en 2002, « Memphis Belles The Women of Sun Records »,  toujours disponible, qui présente 40 chanteuses, montre que les femmes n’ont pas été délaissées par la firme. Il y a quand même un problème, c’est qu’aucune n’a vraiment percé, à la différence des artistes masculins.


10/ Jerry Lee Lewis
Surnommé le Killer, le tueur. A ne pas confondre évidemment avec Jerry Lewis, le comique !
Le voilà donc, celui qui était promis à la succession d’Elvis, ce qui ressort bien du film consacré à sa vie intitulé Great Balls Of Fire sorti en 1989..
Jerry Lee Lewis s’est fait connaître en interprétant Whole Lotta Shakin’ Goin’ On dont on a entendu la version originale de Roy Hall au cours d’une précédente émission. Le jeu de piano de Jerry Lee Lewis doit tout au boogie-woogie, aux Noirs, à Fats Domino et Little Richard. Sa touche personnelle, c’est son accent hillbilly, c’est de jouer du piano debout en martelant les touches à coups de poing.
L’ascension de Jerry Lee Lewis est fulgurante. Il s’impose dans les charts et ses prestations scéniques le rendent légendaires. Mais tout s’écroule en décembre 1957 lorsqu’il épouse sa cousine, âgée de treize seulement, alors qu’il est officiellement encore marié. Le scandale est énorme. Les ventes de disques s’effondrent et la cote de Jerry Lee Lewis avec. Les gens qui viennent à ses concerts viennent pour le huer. C’est fini, il ne sera pas le successeur d’Elvis.
On écoute un morceau enregistré durant l’été 1957, Lewis Boogie.
Jerry Lee Lewis est resté sous contrat avec la maison Sun jusqu’en 1963. Cela signifie qu’il a accompagné Sam Phillips lorsque la maison a déménagé en 1960, de la Union Avenue à la Madison Avenue.
Jerry Lee Lewis a quitté Sun pour Smash, une filiale de Mercury. Son disque le plus connu, « Live At The Star Club, Hamburg », date de 1964. Et par la suite, comme beaucoup d’autres, il est revenu à la country.


11/ Charlie Rich
Né en 1932, mort en 1995. Chanteur, pianiste.
Au début Charlie Rich était considéré comme un peu trop jazzy par Sam Phillips. Ses premiers 45 tours n’ont pas eu trop de succès. En 1958, il est surtout un musicien de studio régulier pour Sun.
C’est une chanson enregistrée fin 1959, parue en 1960, Lonely Week-ends, qui est son premier succès. On écoute une autre chanson parue en 1960, Right Behind You.
Charlie Rich a enregistré plusieurs succès chez Sun. Il y reste jusqu’en 1963, date à laquelle il passe chez RCA Victor, comme Elvis huit ans plus tôt, puis chez Smash comme Jerry Lee Lewis à peu près à la même époque.
Charlie Rich a réussi à obtenir des succès jusque dans les années soixante dix.


Fin de la maison Sun.
Sam Phillips a vendu Sun Records en 1969 à Shelby Singleton, producteur de la firme Mercury.
Le logo de la maison Sun, avec son soleil, son coq et ses notes de musique, est devenu une légende. Il est synonyme d’une musique de qualité et il évoque le souvenir de découvertes extraordinaires ainsi que les folles années du blues et du rock ‘n’ roll.



Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

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mercredi 24 janvier 2018

Séance 16 B


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy… et Marc !





Séance 16 bis

La maison Sun


Sam Phillips est d’abord talent scout pour :
- les frères Bihari, marques Modern/RPM/Meteor, Los Angeles ;
- les frères Chess, Chess/Checker, Chicago.
A ce titre, il enregistre Big Walter Horton, Howlin’ Wolf et Sonny Boy Williamson.
Il fonde sa propre maison, Sun, en 1952. Il enregistre alors de nombreux bluesmen. Certains deviendront célèbres, au moins dans le monde du blues : Little Milton, Junior Parker. Il comprend néanmoins que le talent des bluesmen ne suffit pas pour obtenir le succès commercial auquel il aspire. Il y a trop de mépris pour les Noirs à l’époque. Il faudrait un Blanc capable de chanter dans le style des Noirs. C’est Elvis Presley qui jouera ce rôle. La maison Sun crée ce qu’on peut appeler le « Memphis sound », à la base du rockabilly et de la country moderne (via Johnny Cash). 
Sun Records est surtout connue pour son rôle dans le rock ‘n’ roll. Mais évidemment nous allons nous attacher dans cette émission à montrer son rôle dans le blues.
Memphis se situe entre le Mississippi et Chicago. L’histoire du blues est liée à la migration qui a poussé des millions de Noirs du Sud, et notamment du Mississippi, vers Chicago. Memphis, qui possédait déjà avant guerre une solide tradition de blues au plus haut niveau, a constitué une étape importante dans cette remontée vers Chicago.
De très grands bluesmen, parmi les plus importants de l’histoire du blues, ont été enregistrés à Memphis avant de devenir des grands noms du blues de Chicago.
C’est le cas par exemple de Howlin’ Wolf.


1/ Howlin’ Wolf
De son vrai nom Chester Burnett, né en 1910 mort en 1976, Howlin’ Wolf a accompli le parcours classique : il est né dans le Mississippi où il puise son influence principale, il est ensuite disc-jockey à Memphis comme son beau-frère Sonny Boy Williamson deuxième du nom jusqu’en 1952. Il dirige alors une formation qui comprend Ike Turner et le guitariste Willie Johnson. 
Après 1952, Chicago. Le son « Memphis » et le son « Chicago ».
Memphis : son lourd, proche de la saturation, ; musique rude, primitive, hurlements…
Chicago : musique plus profonde, apports de Hubert Sumlin, Willie Dixon, Johnny Jones. 


2/ Rufus Thomas
Né en 1917 dans le Mississippi, mort à Memphis en 2001.
Commence sa carrière dans le comique : les « Rabbits Foot Minstrels ».
Il se produit dans les clubs à Memphis et enregistre pour de petites marques, sans succès. Sam Phillips le fait enregistrer pour Chess en 1951, toujours sans succès.
Il est DJ à la radio WDIA, la radio de Memphis tenue par des Noirs (W= est du Mississippi ; K= ouest).
C’est en 1953 qu’il sort Bear Cat pour Sun Records, une chanson réponse à la chanson interprétée par Big Mama Thornton, Hound Dog. Bear Cat atteint la troisième place au Billboard, le hit-parade rhythm and blues.
A la guitare, Joe Hill Louis dont on parlera après. Pour être complet Tuff Green à la basse et Houston Stokes à la batterie.
Le bestiaire : Tiger Man, Walking The Dog.  Succès, reprises.
Rufus Thomas est ensuite victime de la politique « Elvis Presley ». Sam Phillips oriente la marque vers le rock ‘n’ roll. Rufus Thomas n’enregistre plus rien pendant trois ans. En 1956, un single pour les frères Bihari.
En 1959, Rufus Thomas passe chez Satellite qui deviendra en 1963 Stax. Rufus Thomas entame alors une autre carrière, plus soul funk, avec sa fille Carla.


3/ Joe Hill Louis
« One man band » : homme orchestre, chanteur harmoniciste et guitariste.
Né en 1921 dans le Tennessee, mort en 1957 (ni alcool, ni drogue… : tétanos !). 
Grave  ses premiers disques à Nashville pour Columbia en 1949. 
Succède à B.B. King comme animateur à la WDIA, « The Be Bop Boy », jusqu’au milieu des années cinquante.
Il a été l’un des premiers à être enregistré par Sam Phillips. De 1950 à 1956, enregistre pour diverses marques dont Sun (Modern, Checker, Meteor, Big Town, Rockin’, House Of Sound). 


4/ Jimmy DeBerry
Un choix assez évident pour moi. L’intérêt d’une telle émission est de montrer le rôle historique de Sun en faisant écouter les premiers enregistrements de bluesmen parmi les plus grands, comme Howlin’ Wolf, mais aussi de faire connaître des bluesmen plus obscurs, qui ont souvent peu enregistré mais qui ont joué un rôle sur la scène de Memphis.

C’est le cas de Jimmy DeBerry. Né en 1911 dans l’Arkansas, décédé en 1985.
Arrive à Memphis en 1927. Il apprend l’ukulele, le banjo et la guitare.
Joue avec Will Shade, Jack Kelly, Frank Stokes et le jeune Walter Horton !
Premier enregistrement pour Vocalion en 1939 avec les « Memphis Playboys ».
En 1953, il réalise deux sessions pour Sun Records ; la première avec Big Walter Horton dont il ressort l’instrumental mémorable Easy.
Le morceau qu’on va entendre est issu de la deuxième session, avec Mose Vinson au piano et Raymond Jones à la batterie.
Une veine rurale vraiment authentique et vraiment efficace.


5/ Woodrow Adams
Woodrow Wilson Adams. Né en 1917 dans le Mississippi, décédé en 1988. Harmonica, guitare.
Woodrow Wilson, président démocrate de 1913 à 1921.
Forme les « Boogie Blues Blasters », les « 3 B’s », à la fin des années quarante. 
Trois sessions :
- 1952, dans les studios de Sun mais les faces seront publiées par Checker ;
- 1955, Meteor ;
- 1961, Home of the Blues.
Grâce à David Evans, session pour Flyright en 1967.
Style rural, proche de Howlin’ Wolf.


6/ Junior Parker
« Little » Junior Parker, chanteur harmoniciste, un autre choix évident :
- ses premiers succès, il les a eus avec Sun :  Feelin’ Good,  Mystery Train 
- créateur d’un style, c’est le son de la marque Sun.
Né en 1927 dans l’Arkansas, mort en 1971 à Chicago.
A 15 ans, Sonny Boy Williamson devient son mentor.
En 1950, les « Blue Flames » avec Bill Johnson au piano, Matt Murphy à la guitare et L.C. Dranes à la batterie.
Enregistre pour Modern en 1952 et pour Sun en 1953. Succès.
Chanson « miroir » de Feelin’ Good.
En 1954 il s’établit à Houston et enregistre pour Duke… Il aura beaucoup d’autres succès (Next Time You See Me, That’s Alright, Driving Wheel…).


7/ Pat Hare
Né dans l’Arkansas en 1930, décédé en 1980. Guitariste.
Il a accompagné la plupart des bluesmen de Memphis dans les années 40, 50.
Les deux faces gravées sous son nom pour Sun en 1954 sont restées inédites jusqu’en 1974.
Il a travaillé pour Junior Parker et pour Muddy Waters.
Histoire fantastique et tragique. En 1954 il interprète une version d’un morceau de Doctor Clayton intitulé I’m Gonna Murder My Baby, « Je vais assassiner ma chérie ». Le problème, c’est qu’il ne s’est pas contenté de le jouer, il l’a fait ! Il a flingué sa femme, et puis après le flic venu enquêter. Il a écopé de 99 années de prison et il est mort en taule. Il paraît qu’il avait mis sur pied un orchestre en prison, les « Sounds Incarcerated » !
Précurseur :
- du rockabilly : on cite notamment son break dans Love My Baby en 1953 ;
- du heavy metal : son jeu de guitare dans Cotton Crop Blues de James Cotton en 1954.


8/ Doctor Ross
Isaiah Ross, né en 1925 dans le Mississippi, décédé en 1993. 
Surnom de « Docteur » dû selon les sources, soit « pour son goût pour les livres de médecine » (Arnaudon), soit parce qu’il a été incorporé dans l’armée dans un hôpital militaire. (Wikipedia – Allmusic). La vérité, c’est peut-être les deux…
1949, KFFA, West Helena, « Doctor Ross and His Jump ans Jive Boys ».
1951, premières faces pour Chess. The « King Biscuit Boys ».
1952, 1 session pour Sun (publiée en 1972 par Arhoolie).
1953/1954, nouvelles sessions pour Sun : The Boogie Disease, Chicago Breakdown.
S’installe dans le Michigan. 
1958, devient « one man band ».
1965, tournée de l’AFBF. Sa prestation impressionne le public européen.
Gaucher, emploie son harmonica et sa guitare à l’envers. Harmoniciste percutant, influence profonde de John Lee Sonny Boy Williamson.


9/ Boyd Gilmore
Né en 1905 dans le Mississippi, décédé en 1976.
1952, 1 session pour Modern avec Ike Turner.
1953, session Sun.
I Believe I’ll Settle Down, avec Pinetop Perkins au piano, Earl Hooker à la guitare et Willie Nix à la batterie. Non publié à l’époque.


10/ Willie Nix
Choix d’un batteur.
Rabbits Foot Minstrels. KXLR, Little Rock.
1951, WDIA. Se produit avec Joe Hill Louis, Big Walter Horton, Joe Willie Wilkins.
Un ensemble avec Willie Johnson, James Cotton.
1951/1953, enregistre pour RPM, Checker et Sun.
Impliqué dans une affaire de meurtre, fait de la prison.
Chicago, vie errante.
Musique enracinée dans le blues du Delta.


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mercredi 17 janvier 2018

Séance 16 A


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !



Séance 16




1/ Smokey Hogg
On commence avec un Texan, le chanteur guitariste Smokey Hogg. Andrew Smokey Hogg est né au Texas en 1914 et il est mort en 1960. A ne pas confondre avec Willie Hogg, usurpateur notoire de New York qui était surtout un mauvais imitateur de Lowell Fulson.
Smokey Hogg a joué dans son adolescence avec le guitariste Black Ace. C’est grâce à lui qu’il réalise son premier enregistrement pour Decca à Chicago en 1937. Vers 1945, il joue avec les grandes figures du Texas, Texas Alexander et Lightnin’ Hopkins. En 1947 il enregistre plusieurs faces pour une petite marque de Dallas, Bluebonnet, qui les revend à Modern.
Parmi ces faces, Too Many Drivers, une reprise d’un morceau de Big Bill Broonzy est un succès. Du coup, Modern a fait enregistrer Smokey Hogg dans son studio bien équipé de Los Angeles. Au cours d’une session de 1947, Smokey Hogg grave Worryin’ Mind, qu’on écoute. Smokey Hogg au chant et à la guitare est entouré de Hadda Brooks au piano, Bill Davis à la basse et Al Wichard à la batterie.
A noter le superbe soutien au piano de Hadda Brooks, dont la sensibilité n’est pas pour rien dans la réussite de ce morceau. 
C’est toujours pour Modern que Smokey Hogg grave ses deux plus grands succès : Long Tall Mama en 1949 et surtout Good Morning Little Schoolgirl en 1950, une reprise cette fois d’un morceau de John Lee Sonny Boy Williamson qui atteint la neuvième place au Billboard rhythm and blues.
Par la suite, Smokey Hogg grave abondamment pour de nombreuses marques jusqu’en 1955. Après, sa popularité décroît et il sombre dans l’alcool. Quand il meurt en 1960, il est oublié de tous.
Smokey Hogg est l’un des trois grands bluesmen texans de l’après-guerre, avec Lil’ Son Jackson et le grand Lightnin’ Hopkins, qui lui fait partie des meilleurs bluesmen de tous les temps. Smokey Hogg avait sa formule : jouer à la guitare électrique des thèmes classiques d’avant-guerre. Et il faut reconnaître que cela a très bien marché dans les années quarante et au début des années cinquante. Simplement, il n’a pas su s’adapter à la vague du rhythm and blues et du rock ‘n’ roll qui a déferlé dans les années cinquante, soixante. Dommage, vraiment dommage. Smokey Hogg était bourré de talent, c’est un immense artiste.


2/ Clarence Frogman Henry
Clarence Frogman Henry est né en 1937 à la Nouvelle Orléans. Et comme tout pianiste de la Nouvelle Orléans qui se respecte, c’est un disciple de Professor Longhair et de Fats Domino, les deux grands maîtres du piano. En 1952, Clarence Henry intègre le groupe de rhythm and blues de Bobby Mitchell et les Topers. En 1955, il rejoint l’orchestre du saxophoniste Eddie Smith.
La grande année de Clarence Henry, c’est 1956. Pour être plus précis, septembre 1956. Le talent scout – le recruteur - de la maison Chess, Paul Gayten, le fait enregistrer dans un studio spécialisé pour le produire directement. Le titre est un morceau gadget où Clarence Henry imite la grenouille, frog en anglais, d’où le surnom de « frogman » dont il sera affublé. On l’écoute.
Cette chanson était en fait destinée à n’être qu’une face B. C’est un DJ local, très connu, Poppa Stoppa, qui a diffusé le morceau alors qu’il n’était pas encore publié. L’engouement du public est tel que le titre devient la face A. Il atteindra la troisième place du classement rhythm and blues et la vingtième du classement général pop.
A l’origine, le morceau devait être scindé en trois. En particulier une chanteuse devait assurer la voix féminine. La chanteuse n’étant pas disponible le jour de l’enregistrement, Clarence Frogman Henry a dû assumer les trois voix : la normale, la féminine et la grenouille !
Clarence Frogman Henry a obtenu deux autres succès en 1961 : une reprise de Bobby Charles, (I Don’t Know Why) But I Do ! – à noter que ledit Bobby Charles est également l’auteur de See You Later Alligator dont la reprise de Bill Haley fera un carton ; pas de doute, Bobby Charles n’a pas dû naître sous une bonne étoile !- ; autre succès de 61 pour notre ami Frogman, You Always Hurt The One You Love. 
Il a joué ensuite dans un club de la Nouvelle Orléans. Et aux dernières nouvelles, il joue encore à quatre vingt balais !


3/ Clarence Gatemouth Brown
On termine l’émission avec un artiste complet sous tous rapports puisqu’il était chanteur, guitariste, violoniste et harmoniciste et qu’il était à l’aise aussi bien dans le blues, le jazz ou le country & western ! Il s’agit de Clarence Gatemouth Brown, né en 1924, mort en 2005.
La famille de Clarence Brown s’est établie dans le Texas lorsqu’il avait six ans. C’est au lycée qu’il reçoit le surnom de Gatemouth. Très tôt, il est influencé par T-Bone Walker. Il grave ses premiers disques pour Aladdin en 1947 et Peacock en 1949.
Ses premiers enregistrements ont été réunis sur un album intitulé « San Antonio Ballbuster » d’où est extrait le morceau instrumental qu’on va écouter, Okie Dokie Stomp, enregistré à Houston en 1954.  
Clarence Gatemouth Brown remporte un grand succès au Texas dans les années cinquante avec des morceaux comme Okie Dokie Stomp qu’on vient d’entendre, ou Gate’s Salty Blues, She Wincked Her Eye, ou Boogie Uproar. 
Dans les années soixante, il cesse d’enregistrer et se produit marginalement en club. Il occupe un poste de shérif à Durango dans le Colorado. Sa carrière musicale est relancée en 1971 lorsqu’il accepte de participer à une tournée européenne du Chicago Blues Festival, la tournée qui a pris le relais de l’American Folk Blues Festival en perte de vitesse dans les années soixante-dix. Il fait une grosse impression lors de cette tournée. et participe ensuite à de nombreux festivals, jusqu’en Union Soviétique en 1979 ce qui était assez exceptionnel pour un américain. Il s’est mis à graver des albums dans des genres différents, blues, rhythm and blues, country. Il a continué à se produire et à enregistrer jusqu’à la fin en 2005.
Clarence Gatemouth Brown était un extraordinaire virtuose de la guitare et du violon. Il a su se dégager de l’influence de T-Bone Walker, très prégnante à ses débuts, pour construire un style personnel intense plein d’imagination. C’était aussi un showman très démonstratif qui savait enflammer son public. 
C’était Clarence Gatemouth Brown, le shérif du Texas à ne pas oublier !


4/ Bessie Smith
Place maintenant à une grande dame, une impératrice en fait. C’est ainsi en effet qu’on surnommait Bessie Smith, qui est peut-être encore maintenant la plus connue des chanteuses de blues, grâce au rayonnement qu’elle a eue à travers le jazz.
Bessie Smith appartient à une génération de chanteuses apparue dans les années vingt, après le succès en 1920 du Crazy Blues de Mammy Smith, la première chanteuse de blues enregistrée. Ces chanteuses ont marié dans leur répertoire des blues proprement dits et des chansons de théâtre qui reprenaient souvent les airs en vogue du moment. C’est pourquoi on les a appelées des chanteuses de « vaudeville blues ».
Bessie Smith est née en 1894, elle est décédée en 1937. Très tôt, elle est engagée par une troupe ambulante dont la vedette est la légendaire Gertrude Ma Rainey, auteur du célèbre See See Rider. Bessie Smith enregistre son premier 78 tours en 1923, avec sur la face A Downhearted Blues et sur la face B Gulf Coast Blues. Les deux titres sont un succès. 
Dès lors Bessie Smith ne cessera de se produire et d’enregistrer, même après la crise de 1929, qui a pourtant sonné le glas pour la plupart des chanteuses de vaudeville blues. Elle a pu s’entourer des meilleurs musiciens de jazz de l’époque comme Louis Armstrong, Coleman Hawkins, Fletcher Henderson… Elle a collectionné les succès tout au long de sa carrière et plusieurs de ses morceaux, comme Backwater Blues ou Empty Bed Blues sont devenus des standards du blues.
On écoute l’un de ses hits de l’année 1927, Alexander’s Ragtime Band. Bessie Smith est au chant, Joe Smith au cornet, Jimmy Harrison au trombone, Coleman Hawkins à la clarinette, Fletcher Henderson au piano et Charlie Dixon au banjo. 
La légende de Bessie Smith est liée aux circonstances de sa mort survenue lors d’un accident de la route dans le Mississippi. On a dit que Bessie Smith était morte dans une ambulance alors que les secours n’avaient pas pu la faire admettre dans l’hôpital le plus proche à cause de la couleur de sa peau. Cette histoire figure par exemple dans l’histoire du jazz parue chez Larousse en 1967. En fait, des investigations ultérieures ont jeté un doute sur sa véracité.
Quoi qu’il en soit, Bessie Smith possédait une voix exceptionnelle, hors du commun, et ses disques ont joué un rôle considérable dans la propagation du blues à travers les Etats Unis et le monde entier.


5Lawrence Walker
On change de style à présent avec un accordéoniste cajun, Lawrence Walker. La musique cajun est celle de la Louisiane, autrefois un Etat français avant que Napoléon le vende aux Etats-Unis.. On donne à la musique de Louisiane le nom de zydeco, dont l’origine vient peut être du morceau fétiche Les Haricots – zydeco - E Pas Salé, mais c’est controversé.
Lawrence Walker est né en 1905 ou en 1907 – j’ai trouvé des dates différentes selon les auteurs – mais en tout cas c’était en Louisiane, à Duson. Il a enregistré dès 1929 pour la marque Bluebird. Mais c’est surtout après la guerre que sa carrière a vraiment décollé, d’autant qu’il s’est surtout consacré à la riziculture pour gagner sa vie auparavant.
Après la guerre, il forme un groupe, les Wandering Aces. Sa popularité grimpe très vite. Il enregistre régulièrement pour les marques Khoury et Lyrics. On enregistre un morceau de 1953 intitulé initialement Birthday Cake Boogie rebaptisé Keep Your Hands Off It. 
Pas forcément évident de se procurer des disques de Lawrence Walker. On trouve cependant des vinyls sur le marché, essentiellement des 45 tours. Le morceau qu’on vient d’entendre est tiré d’une excellente série publiée par la marque Ace, « Boppin’ By The Bayou », le n°1 en l’occurrence. J’en profite pour recommander au passage la série de la même marque intitulée « Bluesin’ By The Bayou » qui présente des bluesmen.  
Pour finir l’histoire de Lawrence Walker, en 1957 une brouille éclate au sein des Wandering Aces et le reste de la troupe s’oriente vers le rock ‘n’ roll. Lawrence Walker continue à jouer et à enregistrer de manière prolifique dans le style rockabilly cajun. Il obtient un succès avec le morceau Allons Rock ‘n’ Roll. Lawrence Walker est décédé en 1968. C’est incontestablement une des gloires de la musique cajun.


6Mighty Joe Young
Retour au blues avec un guitariste, Mighty Joe Young
Mighty Joe Young est né en Louisiane en 1927, il est mort en 1999. Il s’établit à Chicago en 1955. Il travaille avec Howlin’ Wolf, Billy Boy Arnold, Otis Rush. Il est un accompagnateur présent sur de nombreuses sessions mais n’enregistre sous son nom que quelques titres pour de petites marques.
Ce n’est qu’à la fin des années soixante, voire au début des années soixante-dix, qu’il sort du rôle d’accompagnateur et entame une carrière personnelle. A cette époque, on cherche de nouveaux noms, de nouveaux styles. Celui de Mighty Joe Young combine de nombreuses influences : T-Bone Walker, B.B. King, Magic Sam, Otis Rush, Buddy Guy… Si les trois derniers incarnent la deuxième génération « moderne » de Chicago, lui appartient en quelque sorte à la troisième, si l’on peut dire…
On écoute un morceau tiré de l’album « Chicken Heads », paru en 1974. Le morceau s’intitule Mighty Man.
A la fin des années soixante-dix, Mighty Joe Young est très demandé, très présent dans les clubs. Il sort plusieurs albums (Ovation, Black & Blue). Il est actif jusque dans les années quatre-vingt.


7/ Lightnin’ Hopkins
C’est d’un autre guitariste de blues que nous allons parler à présent, un grand, un très grand, Sam Lightnin’ Hopkins. 
Sam Hopkins est né en 1912 au Texas. Il a accompagné le légendaire Blind Lemon Jefferson, le pionnier du blues texan, dans les années vingt. Il en a gardé une impression profonde toute sa vie. Durant la semaine il travaille dans les champs de coton et de maïs, le week-end il anime les bals. Dans les années trente il vit d’expédients. Vers 1937 il est condamné à 200 jours de « road gang », un pénitencier dur de Houston. Par la suite, il retrouve les plantations, un emploi dans les chemins de fer. Il tient aussi une loterie clandestine.
En 1944, 1945, il joue avec Texas Alexander, un chanteur texan célèbre. Il fréquente un quartier de Houston où il se fait repérer par une productrice de la firme de Los Angeles Aladdin en 1946. Elle le convainc de faire le voyage avec le pianiste Wilson Smith. A LA, ils sont rebaptisés Thunder Smith le Tonnerre, et Lightnin’ Hopkins l’Eclair. Le morceau Katie Mae remporte un grand succès. La carrière de Lightnin’ est lancée.
Lightnin’ Hopkins revient à Houston. Il enregistre d’abord pour Gold Star puis pour d’autres marques. Il collectionne les succès : Short Haires Woman en 1947, Tim Moore’s Farm en 1948, Fast Life Woman en 1949, Coffee Blues en 1950, Give Me Central 209 en 1951. Il enregistre abondamment jusqu’en 1954. 
Il connaît ensuite une éclipse pendant quelques années. Il est retrouvé en 1959 par les ethnomusicologues Sam Charters et Mack McCormick. C’est la grande vague du blues revival, Lightnin’ en profite à plein. Pendant une quinzaine d’années il est partout, dans des bars, des concerts, des universités, au Carnegie Hall. Il enregistre pour une quantité incroyable de firmes. Il aurait enregistré plus de 1000 titres, parfois à raison de trois disques par semaine ! Sur ce plan, il détient le record absolu. 
En 1964, malgré sa phobie des avions il traverse l’Atlantique pour participer à la tournée de l’American Folk Blues Festival. En 1966, un peu fatigué de l’agitation du revival, il se retire à Houston. Mais il continue à enregistrer bien sûr. C’est d’ailleurs un morceau de 1968 que nous allons écouter, Mojo Hand. Mojo Hand, c’est son morceau fétiche, son succès le plus connu. Dans cette version enregistrée à Houston, il est entouré de Lawrence Evans à la basse, Cedric Hayward au piano et Ben Turner à la batterie.
Dans les années soixante-dix, Lightnin’ sort un ou deux albums par an. Il décède en 1982.
Lightnin’ Hopkins avait une personnalité incroyable. C’était un guitariste d’exception, un poète fabuleux à la voix rocailleuse, un philosophe savoureux, un génie du blues à l’état pur. Il y a une quinzaine d’années, le magazine Soul Bag spécialisé dans le blues et la soul, avait lancé un questionnaire auprès de ses lecteurs pour savoir quel bluesman était le plus populaire. Lightnin’ Hopkins était arrivé largement en tête, devant John Lee Hooker et les autres. J’avoue ne pas avoir participé à ce vote, mais c’est exactement ce que j’aurais voté. Lightnin’, c’était le blues, tout simplement.
Après un tel éloge, je me dois de recommander quelques disques. Le morceau qu’on a écouté, Mojo Hand, était extrait d’un CD intitulé « Rainy Day In Houston » paru chez Indigo. C’est un disque excellent. Je recommande également « Burnin’ In L.A. » édité par Arhoolie, et puis évidemment toute la série des morceaux de l’immédiat après-guerre parue chez JSP sous le titre « Lightnin’ Hopkins – All The Classics 1946-1951 ».


8/ Peetie Wheatstraw
Et maintenant nous allons parler d’un pianiste, Peetie Wheatstraw. Son vrai nom était William Bunch. Il est né en 1902 dans le Tennessee et il est mort en 1941.
Peetie Wheatstraw passe sa jeunesse dans l’Arkansas. Il s’établit à Saint Louis vers 1925. Il joue avec le guitariste Charley Jordan et il devient une figure extrêmement populaire de Saint Louis. C’est en 1930 qu’il commence à enregistrer, pour la marque Vocalion. Il se fait appeler « The devil’s son-in-law », le gendre du diable, et « The high sherif in hell », le grand shérif de l’enfer. 
On écoute un morceau de 1937, Peetie Wheatstraw Stomp. On ne sait pas qui l’accompagne.
Peetie Wheatstraw a mis au point avec Charley Jordan une formule d’accompagnement chant / piano / guitare extrêmement efficace. S’il est vrai que les variations mélodiques de ses chansons sont assez limitées, son succès repose beaucoup sur le contenu des paroles avec son jive (des paroles à double sens, avec bien souvent une connotation sexuelle), ses thèmes érotiques et le personnage de démon sorti de l’enfer qu’il s’était construit et qu’il introduisait dans ses textes.
Peetie Wheatstraw est une figure importante du blues urbain des années trente. Sa grande popularité peut être mesurée par l’abondance de ses enregistrements. Avec 161 faces gravées avant-guerre, y compris dans la période qui a suivi la Grande Dépression ce qui est très rare, il est l’un des bluesmen les plus prolifiques de son  temps.
En 1941 sa voiture a été percutée par un train à un passage à niveau et il est mort le jour de son anniversaire, le 21 décembre. Faut-il y voir la main du diable ? Qui sait ?
Toujours est-il que l’intégralité de ses enregistrements a été publiée en 1994  en 7 CD par la marque Documents. Malheureusement, comme beaucoup de morceaux publiés chez Documents, un certain nombre ne sont pas de bonne qualité en ce qui concerne le son. Heureusement tout de même, il y a suffisamment de morceaux qu’ion peut écouter assez convenablement.


9/ Vikki Nelson
Après ce diable de Peetie Wheatstraw, c’est une voix féminine que nous allons entendre à présent, celle de Vikki Nelson. 
Le morceau qu’on va écouter fait partie des raretés du rhythm and blues et il n’est pas évident de trouver des informations sur la chanteuse Vikki Nelson. Il semble qu’elle ait commencé à enregistrer en 1951 chez Brunswick. Elle a gravé 14 titres entre 1951 et 1961 pour des marques diverses, Pemium, Vik, Dauntless etc. 
On écoute un morceau de 1957 enregistré chez Vik, une sous marque de la firme RCA Victor : A Fool For Leavin’, parfois nommée I Was A Fool For Leaving. Vikki Nelson au chant est accompagnée par le saxo ténor Sam Taylor, les autres accompagnateurs sont inconnus.
 Un morceau rare, bien caractéristique de l’ambiance rhythm and blues qui régnait à New York dans les années cinquante. Là où le blues de Chicago sonnait électrique avec une dominante de guitare, le blues de New York se place dans le rhythm and blues avec des cuivres et des chanteurs, ou des chanteuses, dans la lignée des shouters.
A Fool For Leavin’ est tiré d’un vinyl paru en 1980 chez Moonshine, « New York Knockouts », où Vikki Nelson côtoie des artistes comme Wilbert Harrison ou Chuck Willis. 
Vikki Nelson a enregistré deux morceaux au début des années soixante chez Discovery. On perd sa trace ensuite. Certains de ses morceaux ont été réédités récemment dans des compilations diverses.


10/ Eddy Clearwater 
Nous allons parler à présent d’un guitariste de blues, gaucher, toujours vivant lui aussi. Il s’agit d’Eddy Clearwater, de son vrai nom Edward Harrington, né en 1935 dans le Mississippi.
Eddy Clearwater s’établit à Chicago en 1950. Il rejoint d’abord un groupe de gospel avant de fonder un groupe de blues en 1952-1953. Il joue alors dans des clubs de Chicago et côtoie Howlin’ Wolf, Otis Rush, Magic Sam. Son premier enregistrement date de 1957 et il est réalisé pour la marque Atomic H dirigée par son oncle. C’est en 1959 qu’il obtient un succès avec A Minor Cha-Cha. 
Dès lors, Eddy Clearwater ne cesse plus d’enregistrer. D’abord pour LaSalle, Federal, USA ; en 1980 il sort pour Rooster Blues un album intitulé « The Chief » où il apparaît sur la pochette avec une coiffure d’indien. Il sera dorénavant Eddy « The Chief » Clearwater. 
On va écouter un morceau intitulé Sweet Little Rock And Roller, une reprise de Chuck Berry issue d’un album paru en 2000 chez Bullseye Blues & Jazz, « Reservation Blues ». Eddy Clearwater au chant et à la guitare est entouré de Duke Robillard à la guitare rythmique, Matt McCabe au piano, Patrick McKeever à la basse et Jeff McAllister à la batterie.
 Eddy Clearwater s’est fait une spécialité de reprendre les morceaux de Chuck Berry. Il y parvient à merveille ! C’est un guitariste qui a émergé dans les années cinquante dans un style plutôt West Side, influencé par Otis Rush. Ses reprises de Chuck Berry sont d’une efficacité vraiment redoutable. Pour l’avoir vu sur scène, ça se passait à Cognac il y a quelques années, je peux vous dire que son show est très impressionnant.
A ma connaissance son dernier disque a été réalisé chez Cleartone en 2014. L’album s’appelle « Soul Funky ». 


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!

mercredi 10 janvier 2018

Séance 15


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !




Séance 15


1/ Scott Joplin
On commence l’émission par un peu d’histoire pour aborder un style qui a précédé l’apparition du jazz, le ragtime. A la fin de la guerre civile américaine, c’est-à-dire vers 1875, une musique afro-américaine aux formes multiples s’était constituée. Parmi ces formes diverses, il y avait les spirituals, la forme religieuse avec ses rituels propres, le blues, la musique profane présente dans les zones rurales des Etats du sud, les string bands, ces orchestres à cordes accompagnés d’instruments folkloriques comme le « jug » - une bouteille dans laquelle on souffle- ou le « tub bass » composé d’une lessiveuse retournée et d’un manche à balai reliés par une corde, des orchestres de rue à cuivres qui jouaient essentiellement – mais pas que- des airs d’inspiration européenne comme des marches militaires par exemple, et enfin le ragtime. A noter que les seuls styles propres aux Noirs dans cet ensemble sont les spirituals et le blues. Pour les autres, dès l’origine, ils ont aussi été joués par des Blancs.
Le ragtime est un style de piano non improvisé qui est apparu dans le Missouri, autour de Saint-Louis, à Saint-Louis, puis très vite à Chicago, à Memphis, à Kansas City. Le ragtime est une espèce de patchwork où se mêlent des réminiscences de valses viennoises, de menuets, de lieder à la Schubert, de polkas, de polonaises, de quadrilles et de marches militaires, le tout sur un rythme sautillant, très marqué, très appuyé. Pour reprendre les mots du critique allemand Reimer von Essen dans un article sur le jazz Nouvelle Orléans paru en 1976, ont peut dire que le ragtime la « forme la plus européenne de la musique afro-américaine est issue d’une application des techniques musicales noires aux formes popularisées de la musique de salon européenne de cette époque ». Reimer von Essen  ajoute que l’influence afro-américaine ne fut sensible que dans le rythme. 
Le ragtime a été un des constituants du jazz. En fait, la force des orchestres de danse noirs, comme celui de Buddy Bolden par exemple dès 1890, en comparaison des orchestres blancs de la même époque qui jouaient dans le même style, a été d’intégrer des blues à leur répertoire. Ce qu’un Bolden perdait en technique, il le regagnait plus que largement en expressivité, en swing et en feeling. C’est ce qui explique qu’en une vingtaine d’années les orchestres noirs aient pris le pas sur les orchestres blancs, à tel point que le jazz passe souvent pour une musique noire dès son origine, ce qui n’est pas exact.
Le plus éminent représentant du ragtime est Scott Joplin, né en 1868, décédé en 1917. Ses œuvres les plus célèbres sont Maple Leaf Rag publié en 1899 (le disque n’existe pas encore mais n’oublions pas qu’il s’agit d’une musique écrite et la partition s’est vendue à au moins un million d’exemplaires, mais Scott Joplin n’a pas touché grand chose là-dessus) et The Entertainer publié en 1902. On écoute ce dernier morceau qui est paru en 1909 sous forme de rouleau de piano actionnant un piano mécanique.
The Entertainer a fait l’objet d’une reprise par Joshua Rifkin en 1970. Cette reprise, au rythme beaucoup plus lent que l’original, est passée quasiment inaperçue. En revanche, trois ans plus tard, en 1973, Marvin Hamlisch réalise une nouvelle adaptation proche de celle de Rifkin pour le film l’Arnaque. C’est un immense succès, qui fait redécouvrir le ragtime à toute une génération. Cette version atteint la troisième place au Billboard Hot 100. Par la suite, il y a eu plusieurs autres versions. Le film de Milos Forman paru en 1981 intitulé « Ragtime » est une illustration du regain d’intérêt pour le ragtime dans ces années-là.
En 1916, la santé de Scott Joplin a commencé à se détériorer. Il est hospitalisé dans un hôpital psychiatrique et il y décède à 49 ans. Scott Joplin a joué un rôle considérable dans l’élaboration de la musique afro-américaine au tournant du vingtième siècle. Il a écrit des opéras qui n’ont guère eu de succès. La vraie reconnaissance de son génie est en fait intervenue à titre posthume, bien après sa mort.


2/ Bob Gaddy.
Après le ragtime, on passe au blues avec le chanteur pianiste Bob Gaddy. Bob Gaddy est né en Virginie Occidentale, non loin de la Côte Est des Etats-Unis, en 1924 et il est mort en 1997.
Bob Gaddy est avec quelques uns, comme Larry Dale, Champion Jack Dupree ou les frères McGhee Brownie et Sticks, le pilier de la scène du blues de New York dans les années cinquante, soixante. Le blues de New York est bien moins connu que celui de Chicago qui a largement dominé le genre mais il est bien réel. En fait, l’ethnomusicologue Gérard Hertzhaft explique qu’il constituait en quelque sorte un ghetto à l’intérieur du ghetto, tant le jazz, le swing et le rhythm and blues dominaient à New York
Comme Chicago et les grandes villes industrielles du Nord, New York a bénéficié d’une importante migration des Noirs dans les années trente, quarante. Simplement, au lieu de remonter le Mississippi pour aller du Mississippi à Chicago, ils ont remonté la côte Est, de Virginie, de Géorgie, des Carolines jusqu’à New York. Les bluesmen de New York ont élaboré à la fin des années quarante un mix entre le country blues sophistiqué des Appalaches et de la Côte Est (celui de Blind Blake et Blind Boy Fuller) et le rhythm and blues urbain très en vogue à l’époque. 
Bob Gaddy arrive à New York en 1946.  Son premier enregistrement date de 1952. Il s’agit de Bicycle Boogie, paru chez Jackson records. Bob Gaddy réalise ensuite des enregistrements pour plusieurs petites marques. C’est chez Old Town que sa production est la plus étendue et la plus remarquable, avec des titres comme I Love My Baby, Paper Lady, Rip And Run. 
On écoute un morceau issu d’une session de 1957 chez Old Town, Come On Little Children. Bob Gaddy au chant et à la guitare est accompagné par Joe Ruffin à la guitare, Jimmy Right au saxo ténor, sans doute Al Hall à la basse et Gene Brooks à la batterie.
Bob Gaddy s’est fait accompagner à la guitare par Brownie McGhee pour ses premiers enregistrements et par la suite par Wild Jimmy Spruill ou Joe Ruffin, comme dans Come On Little Children. 
Bob Gaddy n’a pas récolté un succès considérable. Il cesse d’enregistrer vers 1960 mais il a continué à animer la scène de New York tout au long des années soixante et soixante-dix.
Bob Gaddy, voilà un nom qui mérite d’être plus connu que ce qu’il est actuellement.


3/ Tarheel Slim
On reste à New York avec l’artiste suivant, Tarheel Slim. De son vrai nom Allen Bunn, Tarheel Slim est né en Caroline du Nord en 1924. Il est mort en 1977. 
C’est à l’origine un artiste dans la tradition de la Côte Est. Il commence dans le registre du gospel, vire ensuite rhythm and blues. Ses premiers enregistrements datent de 1950. Avec le groupe des Larks, il obtient en 1951 deux succès classés au Billboard, le hit parade du rhythm and blues, dont l’un est une reprise d’un morceau de Sonny Boy Williamson (Rice Miller), Eyesight To The Blind. 
Tarheel Slim entame une carrière solo en 1952. Il enregistre pour Fury, la marque de Bobby Robinson, et Apollo des blues. Ca ne marcha pas trop, il épouse par la suite une chanteuse, Anna Lee Sandford, et ensemble sous le nom des Lovers, les Amoureux, ils remportent un succès avec Darling, It’s Wonderful.
En 1958 Tarheel Slim reprend sa carrière solo. Il enregistre des morceaux comme Wildcat Tammer ou Number Nine Train dans la veine du Chicago Blues, des morceaux qui claquent, sombres et durs. Il reforme ensuite un duo avec sa femme et c’est un morceau de cette époque que nous allons écouter : Lock Me In Your Heart. 
Le couple a connu un succès avec It’s Too Late, resté dix semaines au Top 20 en 1959. Les enregistrements ultérieurs de Tarheel Slim sont assez éclectiques. Après une coupure entre 1964-1965 et 1970, Tarheel Slim remonte sur scène. En 1975 il enregistre un dernier album, dans la veine du style classique de la Côte Est avec une guitare acoustique.
Tarheel Slim est un guitariste de blues complet et subtil qui s’est essayé avec bonheur dans des registres très variés. 


4/ Billy Adams
Place maintenant au rockabilly avec Billy Adams. Attention, ne pas confondre, il y a deux Billy Adams qui jouaient dans le même style à la même époque. L’un est né dans le Kentucky ; il est connu pour son morceau Rock Pretty Mama et il est toujours vivant. Ce n’est pas de lui dont on va parler aujourd’hui. 
Nous parlons d’un batteur né en 1937, décédé en 1984, qui est venu du Mississippi et s’est installé à Memphis où il a fait des enregistrements pour la maison Sun : sept singles exactement entre 1964 et 1966.    
Nous allons écouter un morceau de 1962, enregistré pour une petite marque de Memphis du nom de Home Of The Blues. Le morceau s’appelle Had The Blues (Twist).
Bien significative est cette adjonction entre parenthèses du mot twist après le titre du morceau, Had The Blues. Nous sommes en 1962. La grande époque du rock ‘n’ roll est déjà passée aux Etats-Unis. C’est la mode du twist, avec Chubby Checker et Joey Dee.
Et c’est comme ça qu’un Billy Adams, qui manifestement était capable de produire un rockabilly de très grande classe, comme le montre cet enregistrement, est complètement passé à côté du succès. 


5/ Casey Bill Weldon.
On revient au blues avec un chanteur guitariste d’avant-guerre, Casey Bill Weldon. William Weldon, né en 1909, était surnommé Casey, comme « K.C. », c’est-à-dire comme Kansas City où il a séjourné , alors qu’il venait à l’origine de l’Arkansas.
Casey Bill Weldon a été marié brièvement avec la chanteuse Memphis Minnie. Il s’est fixé à Chicago vers 1933 et il a gravé entre 1935 et 1938 près de 70 morceaux. J’ai choisi de vous faire écouter l’un d’eux, W.P.A. Blues, que je trouve d’une actualité brûlante puisque la WPA, la Work Projects Administration créée après la Grande Dépression en 1935 était l’agence fédérale américaine chargée de recruter des chômeurs pour réaliser les grands travaux décidés dans le cadre du New Deal par le président Roosevelt. Plusieurs bluesmen ont chanté la WPA, seul moyen pour les Noirs de trouver un boulot dans ces temps difficiles.
Casey Bill Weldon utilisait une guitare National en acier. Il a été surnommé le sorcier de la guitare hawaïenne, c’est-à-dire le style joué avec la guitare à plat sur les genoux, sans doute pour concurrencer la grande vedette du style de l’époque, Tampa Red. Son jeu de guitare est proche de celui de certains guitaristes de country.
Casey Bill Weldon est l’auteur de deux grands standards du blues : Somebody Done Changed The Lock On That Door, quelqu’un a changé le verrou sur cette porte, allusion classique aux back door men, les amants qui s’introduisaient chez leurs maîtresses par la porte de derrière et qui pouvaient parfois être confrontés à certaines surprises ; autre standard, We Gonna Move On The Outskirts Of Town. 
Après 1938, Casey Bill Weldon cesse d’enregistrer et on perd sa trace. Il aurait été vu en 1968 à Detroit. Certains auteurs situent sa mort aux alentours de 1970, sans qu’on ait de référence précise. C’était un guitariste au talent énorme qui a eu beaucoup d’influence à Chicago. Dommage qu’il n’ait pas pu profiter du blues revival des années soixante.


6/ Cow Cow Davenport
Nous passons maintenant de la guitare au piano, avec un pianiste de légende, Cow Cow Davenport. 
Charles Davenport est né en 1894 dans l’Alabama. Il est décédé en 1955. Il est l’un des grands créateurs du boogie woogie. Ses premiers enregistrements datent de 1924, pour la marque Okeh. C’est vraiment un pionnier, qui pratiquait au début un curieux mélange de ragtime et de barrelhouse, c’est-à-dire de musique sophistiquée et populaire, avant d’évoluer vers le boogie woogie.
Il doit son surnom, Cow Cow, à son principal succès enregistré en 1928, Cow Cow Blues. On l’écoute.
Cow Cow Davenport a tourné dans des spectacles de vaudeville et il a enregistré de manière prolifique dans les années vingt. Il a fait de nombreuses tournées dans le sud des Etats-Unis, ouvert un magasin de musique à Cleveland (Ohio). A la suite d’une attaque, il perd l’usage d’un bras mais assisté de Sammy Price, un grand pianiste de jazz et de boogie woogie, il a pu réaliser encore quelques enregistrements à la fin de la guerre. 
Cow Cow Davenport est un précurseur original du boogie woogie. Son Cow Cow Blues a été reproduit une quantité innombrable de fois et il est encore interprété de nos jours en concert et sur disque. 


7/ Houston Boines
L’artiste suivant est un peu un homme mystère. L’idée de l’émission est aussi de vous faire découvrir des artistes très peu connus et qui pourtant auraient mérité de l’être. En l’occurrence, il s’agit de Houston Boines, dont on sait en fait bien peu de choses. C’est un joueur d’harmonica né dans le Mississippi en 1918, qui a vécu à Greenville où il se serait marié, à Leland et à Memphis.
Houston Boines a fait partie un temps d’un groupe qui s’appelait les Rhythm Aces, comme le célèbre guitariste Little Milton. Il a enregistré en tout et pour tout huit titres entre 1952 et 1953. Huit titres seulement, mais huit morceaux de grande qualité. On écoute l’un d’eux, Operator.
Voilà bien un morceau qui annonce indiscutablement le rock ‘n’ roll. Houston Boines a réalisé l’enregistrement d’un morceau unique pour Sun avec Little Milton en 1953. Et ensuite on ne sait plus rien de lui sinon qu’il est mort en 1970.
Le morceau qu’on a écouté est disponible sur une série de CD en cinq volumes éditée par la marque Ace. La série s’intitule « The Modern Downhome Blues Sessions ». Le morceau Operator est inclus dans le volume 2, sous-titré « Mississippi et Arkansas, 1952 ». 


8/ Thurston Harris
L’artiste suivant est répertorié comme chanteur de rhythm and blues mais son registre est pleinement celui du rock ‘n’ roll. Il s’agit de Thurston Harris, né en 1931, mort en 1990.
Thurston Harris a commencé sa carrière en 1953. Il était le chanteur d’un groupe dont le nom changera à de nombreuses reprises, mais qui a connu ses succès sous le nom des Sharps. Thurston Harris signe chez Aladdin, la firme de Los Angeles, en 1957. Dès la première session, il décroche la timbale avec un morceau un peu étrange, Little Bitty Pretty One, qui atteint la sixième place au classement Billboard Hot 100.  
On écoute un morceau de 1958 intitulé Hey Baba Leba, qui est en fait une reprise d’un morceau de Helen Humes et Bill Doggett de 1945. Sauf qu’il transforme un rhythm and blues langoureux en dynamite !
Voilà un chanteur qui met de la gomme ! Après Little Bitty Pretty One, Thurston Harris a placé un deuxième titre dans le Top 20, Do What You Did. Malheureusement pour lui, ce sera son dernier succès. Il a continué néanmoins à enregistrer pour de nombreuses marques, dont Imperial la grande marque de la Nouvelle Orléans. Il sombre ensuite dans l’oubli dans les années soixante.
Voilà, c’était Thurston Harris, une vedette du rock ‘n’ roll noir qui a réalisé de grandes choses.


9Frankie Lee Sims
Nous allons parler à présent d’un chanteur guitariste de blues du Texas, Frankie Lee Sims. Frankie Lee est né en 1916 et il est mort en 1970. 
Sa famille s’est établie au Texas alors qu’il avait une dizaine d’années. Vers 1945 Frankie Lee Sims se fixe à Dallas. Il joue avec T-Bone Walker dans des clubs. Il réalise ses premiers enregistrements en 1948. C’est en 1955 qu’il remporte un grand succès avec Lucy Mae Blues, enregistré chez Specialty. Il récidive deux ans plus tard chez Ace avec Walkin’ With Frankie qu’on écoute. Frankie Lee Sims est au chant et à la guitare, Willie Taylor au piano, Jack White au saxo ténor, Ralph Morgan à la basse et Jimmy Mercy Baby Mullins à la batterie.
Frankie Lee Sims a peu enregistré par la suite. Après 1965 il disparaît quasiment de la scène. Il n’a pas réussi à profiter du blues revival des années soixante comme par exemple Lightnin’ Hopkins, la grande star du Texas.
Frankie Lee Sims était néanmoins un grand bluesman. C’était l’un des quatre guitaristes mousquetaires du Texas qui ont remporté de grands succès après guerre et dans les années cinquante : Lightnin’ Hopkins en tête bien sûr, Smokey Hogg, Lil’ Son Jackson et Frankie Lee Sims. Ce dernier a su conjuguer avec bonheur un langage rural et une approche moderne, la rudesse du Texas et un style plein de swing. 
Frankie Lee Sims, un grand nom du Texas !


10/ John Lee Hooker
Allez, pour terminer l’émission on va se passer un John Lee Hooker. John Lee Hooker, je vous l’ai présenté superficiellement lors de la première émission en vous parlant de Shake It Baby, le morceau qui l’a lancé en Europe au début des années soixante.
John Lee Hooker est avec Lightnin’ Hopkins, B. B. King, Muddy Waters et quelques autres peut-être, Jimmy Reed, Sonny Boy Williamson, Howlin’ Wolf, T-Bone Walker, un des monstres sacrés du blues et l’un des plus connus, y compris dans le grand public.
Je ne vais pas retracer ici toute sa carrière, ce serait trop long. On aura l’occasion de reparler souvent de John Lee Hooker. Je vais me centrer sur le morceau qu’on va écouter et le contexte dans lequel il a été enregistré. Le morceau s’intitule Trouble Blues, c’est un morceau de la période Chicago de John Lee Hooker.
Cette période se situe principalement entre 1955 et 1959. En 1953, 1954, la carrière de John Lee Hooker à Detroit marque le pas. C’est l’heure du rock ‘n’ roll et un bonhomme tout seul avec sa guitare, ça ne marche plus. En revanche les orchestres de Chicago tournent à fond. John Lee vient faire un tour dans la ville et après une folle soirée où John Lee Hooker a été accompagné par l’harmoniciste Little Walter, l’idée germe de le faire enregistrer avec l’orchestre de Jimmy Reed, le king du rockin’ blues de Chicago qui sévit sur la marque Vee-Jay. 
Il revient au guitariste Eddie Taylor, le compagnon de toujours de Jimmy Reed, la tâche difficile de discipliner un nouveau leader tout en le laissant s’exprimer ; difficile, car John Lee Hooker a une tendance à dériver à la guitare. Eddie Taylor remarquera avec humour : « C’était beaucoup plus simple qu’avec Jimmy Reed car Hooker, lui, est toujours à jeun quand il enregistre ». 
Dès lors, John Lee Hooker renoue avec le succès. Wheal And Deal, Time Is Marching, Dimples sont des succès. Le public noir achète en masse et John Lee Hooker reprend pied le dans classement national rhythm and blues.
Trouble Blues, enregistré lors de la seconde session en 1956, sans Jimmy Reed, est l’un de ces morceaux qui marchent du feu de Dieu. John Lee Hooker, au chant et à la guitare est entouré d’Eddie Taylor à la guitare, George Washington à la basse et Tom Whitehead à la batterie.
John Lee Hooker a réalisé huit sessions à Chicago entre octobre 1955 et janvier 1959. Les morceaux de cette période sont fabuleux. Ils ont été réédités sous le label Charly dans une série de six CD intitulée « John Lee Hooker – The Vee-Jay Years 1955-1964 », que je vous recommande évidemment.


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!