mercredi 31 janvier 2018

Séance 16 C


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !





Séance 16 C

La maison Sun 2


Après une première émission consacrée exclusivement à des bluesmen qui ont enregistré pour la maison Sun, nous allons aujourd’hui balayer un éventail plus large en nous intéressant à certains bluesmen que nous n’avons pas pu entendre la première fois et aussi à des artistes de rock ‘n’ roll et de country.
Très tôt, Sam Phillips a compris que la musique afro-américaine avait quelque chose de magique et il s’est pris de passion pour le blues. Il a donc commencé en enregistrant des bluesmen, comme Joe Hill Louis ou B.B. King. Mais il a compris aussi assez vite que pour percer vraiment, compte tenu de la ségrégation infernale qui régnait à l’époque, il faudrait s’appuyer sur des musiciens blancs. Il s’est mis à la recherche de Blancs capables de jouer avec conviction la musique noire. C’est tout le sens de l’opération Elvis Presley, qui a assuré sa réussite et qui a fait de la maison Sun une maison prestigieuse, pour l’industrie du disque, pour le grand public et pour les connaisseurs. 
On va toutefois commencer par le début, en revenant sur quelques artistes de blues qu’on n’avait pas eu le temps d’entendre la dernière fois.


1/ Rosco Gordon
né en 1928 à Memphis, décédé en 2002.
Pianiste influencé par Charles Brown, Nat King Cole. Il a fait ses premiers enregistrements pour Sun. En 1952, Booted décroche la première place au Billboard. On l’écoute.
Style intermédiaire entre le rhythm and blues et le rock ‘n’ roll. Un style marqué par la structure syncopée, qui rappelle un peu Professor Longhair. Il a eu d’autres hits dans les années cinquante : No More Doggin’, Just A Little Bit. Mais il n’a touché que dalle comme royalties sur ces morceaux, bien que ses succès aient puissamment contribué à l’essor de la maison Sun. Dans les années soixante, soixante dix, il a enregistré pour d’autres labels. Il a d’ailleurs fini par récupérer ses droits sur ses premiers morceaux.


2/ D.A. Hunt 
Daniel Augusta Hunt, né en 1929 dans l’Alabama, mort en 1958.
On ne sait pas grand chose de ce chanteur guitariste qui jouait sous le nom de Junior Hunt avec divers orchestres dans l’Alabama. En 1953 on le voit fréquemment à Memphis et il enregistre donc pour Sun. 
On écoute Greyhound Blues, un titre qui évoque la marque mythique des autocars qui sillonnaient les « highways », ces interminables routes nationales qui reliaient les grandes villes du sud à travers plusieurs Etats.
A partir de 1955, D.A. Hunt mène une vie vagabonde. On le voit à Chicago, en Arizona. Et un jour, en 1938, on l'a retrouvé mort dans sa voiture.


3/ The Prisonaires
Un groupe de prisonniers du Tennessee State Penitentiary, autrement le pénitencier d’Etat du Tennessee qui regroupait des prisonniers faisant l’objet de longues peines.  
Leur histoire est parfaitement symptomatique de l’état d’esprit de Sam Phillips, qui est à la tête de Sun Records. Un groupe de prisonniers a constitué un ensemble vocal et un producteur les a fait passer sur une radio de Memphis. Sam Phillips les a entendus et il a décidé de les faire enregistrer. On voit bien qu’il était sur la brèche, constamment à l’affût, à la recherche de nouveautés.
Il a donc fait venir le groupe dans les studios de la maison Sun à Memphis avec une escorte fortement armée. Il faut avouer que le pedigree des cinq hommes est impressionnant : le leader, Johnny Bragg, a été reconnu coupable de plusieurs viols, deux autres Ed Thurman et William Stewart  sont là pour meurtre, un quatrième John Drue n’a que des vols à son actif si l’on peut dire, tandis que le dernier Marcell Sanders est incarcéré pour homicide involontaire. Cela se passe en 1953. Le groupe est aussi sec baptisé Les Prisonaires par Sam Phillips et il grave Just Walkin’ In The Rain, qui devient un hit. On l’écoute.
Certains chantent sous la pluie comme Gene Kelly, ces prisonniers-là se contentent de marcher mais ils chantent aussi, et rudement bien !


4/ Earl Hooker
Cousin de John Lee Hooker, né en 1930 dans le Mississippi, mort en 1970. En fait, sa famille s’est établie à  Chicago, assez tôt, en 1931 et très jeune il a fréquenté la fameuse rue Maxwell Street où se retrouvaient les bluesmen de Chicago. Mais il a fait des virées dans le sud, il a rencontré Ike Turner qui l’a fait participer à des émissions de radio.
Il grave son premier disque pour une petite marque en 1952 et c’est l’année suivante, en 1953 donc, qu’il enregistre pour M. Sam Phillips. On écoute un morceau issu de cette session, Hucklebuck. 
Morceau instrumental. A ses débuts, Earl Hooker n’a aucune confiance dans sa voix et il ne chante pas. Il préférera longtemps que ce soit quelqu’un d’autre qui chante. Mais il finira par s’y mettre et cela donnera des morceaux très réussis.
Sur le plan technique, Earl Hooker était considéré comme l’un des meilleurs de son temps. Et on peut dire sans exagération qu’il fait partie des plus brillants guitaristes de l’histoire du blues.


5/ Little Milton
De son vrai nom James Campbell, né en 1934 dans le Mississippi, mort en 2005. Chanteur guitariste fortement influencé par T-Bone Walker et B.B. King, au moins à ses débuts, car plus tard son style tirera plus vers la soul.
Il forme un ensemble en 1953, à 19 ans, les « Playmates of Rhythm ». C’est grâce à l’infatigable Ike Turner que le jeune Little Milton peut enregistrer pour Sun en 1953, 1954. On écoute Somebody Told Me.
On voit bien que Sam Phillips n’hésite pas à enregistrer des artistes qui jouent dans des styles assez différents : des « one-man-band » comme Joe Hill Louis et Doctor Ross, des bluesmen ruraux comme D.A. Hunt ou Jimmy DeBerry, des artistes qui se feront un nom à Chicago comme Howlin’ Wolf, James Cotton ou Earl Hooker, de tout en fait. Tout ce qui lui paraît bien, il essaie.


6/ Elvis Presley
Ca va être différent avec l’opération Presley. Là il s’agit clairement de sélectionner un jeune Blanc qui va avoir assez de savoir-faire et dégager suffisamment de charisme pour faire passer la musique des Noirs auprès du public blanc. 
J’ai raconté la scène lors de la toute première émission de Hot Ariège. Sam Phillips demande à Presley de chanter « tout ce qui lui passe par la tête pendant les trois heures suivantes ». Et Phillips n’est pas convaincu par la prestation de Presley. Il lui demande de répéter pendant une semaine et de revenir. Et Phillips n’est toujours pas convaincu. C’est une pause dans cette session de la dernière chance qui va décider du destin. Pendant la pause, Presley interprète librement le blues d’Arthur Big Boy Crudup, That’s All Right Mama, accompagné par un guitariste Scotty Moore et un contrebassiste Bill Black. Un blues, et non une ballade country sirupeuse, une interprétation décontractée, authentique, et non une récitation devant un jury, plus les qualités de Presley, l’effet est immédiat. Phillips est emballé. Il demande aux techniciens de brancher les micros. Une heure plus tard, le disque est prêt ! Ce sera un triomphe.
Cette scène raconte tout sur la naissance du rock ‘n’ roll et sur la maison Sun. A la base il y a le blues. Ce sont les Noirs qui ont tout inventé : la musique, les paroles, le style et même l’orchestration, qui est issue des morceaux de Crudup et de Junior Parker. Il est simplement essentiel que l’interprète apporte de la conviction d’une manière spontanée, naturelle. Tels sont les ingrédients. L’alchimiste se nomme Sam Phillips, l’artisan Elvis Presley.
On a déjà écouté That’s All Right Mama, on va donc écouter un autre morceau, un blues de Junior Parker cette fois enregistré en février 1955, Mystery Train.
Fantastique morceau de Junior Parker ! Force est de reconnaître que Presley a su restituer la magie du blues de Junior Parker, mais sous une autre forme que le morceau d’origine. ce faisant il a créé le rockabilly qui constitue le noyau dur du rock ‘n’ roll.
Presley est acheté dans le courant de l’année 1955 par RCA Victor pour la somme colossale à l’époque de quarante mille dollars. Durant le temps qu’il est resté chez Sun, Presley a sorti cinq 45 tours mais RCA  éditera plusieurs chansons restées inédites chez Sun.
Les 18 morceaux de Presley chez Sun sont évidemment à recommander. C’est peu dire que le souffle du rockabilly passe vraiment dans ces morceaux. Ce que fera Presley chez RCA sera très différent. Mais c’est une autre histoire que nous conterons un autre jour.


7/ Johnny Cash
Johnny Cash, né en 1932 mort en 2003, est l’une des quatre grandes découvertes de la maison Sun avec Elvis Presley dont on a parlé, ainsi qu’avec Carl Perkins et Jerry Lee Lewis dont on parlera juste après.
Johnny Cash représente un cas à part car ce chanteur guitariste se situe à la lisière de deux styles, le rockabilly et la country music. Ces deux genres sont très proches et de nombreux artistes se sont essayé aux deux, soit alternativement soit en même temps. Le cas de Johnny Cash est particulier, en ce sens qu’il se situe délibérément, dès l’origine, sur la frontière.
Il a décroché ses premiers hits chez Sun en 1956 :I Walk The Line, n°1 au hit-parade country & western . Folsom Prison Blues et So Doggone Lonesome, respectivement face A et face B d’un 45 tours ont atteint la quatrième place des ventes dans le genre.
On écoute la face A, Folsom Prison Blues, une des chansons les plus connues de Johnny Cash.
En 1957, Johnny Cash devient le premier artiste de la maison Sun à sortir un album 33 tours. Mais les relations se gâtent avec Sam Phillips. Johnny Cash voudrait enregistrer du gospel, Phillips refuse. Et ce dernier est plus préoccupé par la promotion de Jerry Lee Lewis, alors que Presley est parti chez RCA, que par la carrière de Johnny Cash. 
En 1958, Johnny Cash quitte la maison Sun pour signer chez Columbia. Son évolution ultérieure sera nettement tournée vers la country music. Mais Johnny Cash possède la particularité d’être une grande figure à la fois pour le rock ‘n’ roll et pour la country. 


8/ Carl Perkins
Chanteur guitariste, né en 1932, mort en 1998. Carl Perkins avait tout pour succéder à Elvis Presley. J’ai déjà raconté dans une émission précédente que cela ne s’était pas passé comme cela aurait dû.
Ses premiers enregistrements sont des ballades dans un style country. Mais c’est bien lui qui est l’auteur du morceau qui va devenir une espèce d’hymne du rock ‘n’ roll, Blues Suede Shoes, enregistré en décembre 1955. Touche pas à mes chaussures de daim bleu et tire toi de là ! C’est un accident de voiture qui va mettre Carl Perkins hors jeu pendant la période cruciale où les premières apparitions des rockers à la télé allaient décider de leur destin.
En décembre 1956, Carl Perkins reprend un vieux blues de Blind Lemon Jefferson, Match Box Blues, sous le titre Matchbox. Le morceau commence de la manière suivante :
« I'm sittin' here wonderin', will a matchbox hold my clothes (2×)
I ain't got no matches but I still got a long way to go. »
« Je suis assis là à me demander si une boîte d’allumettes pourrait contenir mes vêtements
Je n’ai plus d’allumettes mais il me reste un long chemin à parcourir. »
On écoute la version de Carl Perkins de Matchbox, avec Jerry Lee Lewis au piano.
La séance d’enregistrement de Matchbox est restée célèbre car peu après dans l’après-midi Elvis Presley et Johnny Cash sont passés au studio et ils ont improvisé à quatre – Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, Presley et Cash – quelques morceaux. Flairant la bonne affaire, Sam Phillips avait fait brancher les micros d’enregistrement et il éditera plus tard ces morceaux sous le nom du quartet à un million de dollars, The Million Dollar Quartet. Comme quoi la vénération américaine pour le fric n’est pas qu’une légende…
Je l’ai dit : l’artiste choisi par Sam Phillips pour succéder à Presley, ce fut Jerry Lee Lewis. Par la suite, Carl Perkins cédera à l’alcoolisme et au découragement. Il abandonne même le métier. C’est une rencontre avec Johnny Cash qui lui donnera le goût de se remettre dans le bain en effectuant un retour aux sources, celles de la musique country. 


9/ The Kirby Sisters.
L’histoire des sœurs Kirby, Bette chanteuse et pianiste, et Mary chanteuse, est une illustration à la fois du fait que Sam Phillips était intéressé par des auteurs très divers et des pratiques du show business. 
Les sœurs Kirby jouaient dans un night club de Texarkana, une ville située dans le Texas à la frontière de l’Arkansas, d’où son nom. Elles ont envoyé une démo, une cassette de démonstration, à Sam Phillips et ça lui a plu. Il a invité les sœurs Kirby à venir enregistrer dans les studios Sun à Memphis. 
Elles sont venues et elles ont enregistré cinq chansons. Mais la session a été interrompue par un coup de fil de la propriétaire du night club de Texarkana qui a menacé Sam Phillips de poursuites si les enregistrements sortaient. Sam Phillips n’a pas voulu avoir de problèmes et les morceaux sont restés inédits.
Ils ne sont réapparus que bien des années plus tard, dans des compilations de la maison Sun et de rockabilly. On écoute Red Velvet, un morceau dont le titre original des Kirby Sisters était The Blonde In Red Velvet. 
Le coffret édité par Bear Family en 2002, « Memphis Belles The Women of Sun Records »,  toujours disponible, qui présente 40 chanteuses, montre que les femmes n’ont pas été délaissées par la firme. Il y a quand même un problème, c’est qu’aucune n’a vraiment percé, à la différence des artistes masculins.


10/ Jerry Lee Lewis
Surnommé le Killer, le tueur. A ne pas confondre évidemment avec Jerry Lewis, le comique !
Le voilà donc, celui qui était promis à la succession d’Elvis, ce qui ressort bien du film consacré à sa vie intitulé Great Balls Of Fire sorti en 1989..
Jerry Lee Lewis s’est fait connaître en interprétant Whole Lotta Shakin’ Goin’ On dont on a entendu la version originale de Roy Hall au cours d’une précédente émission. Le jeu de piano de Jerry Lee Lewis doit tout au boogie-woogie, aux Noirs, à Fats Domino et Little Richard. Sa touche personnelle, c’est son accent hillbilly, c’est de jouer du piano debout en martelant les touches à coups de poing.
L’ascension de Jerry Lee Lewis est fulgurante. Il s’impose dans les charts et ses prestations scéniques le rendent légendaires. Mais tout s’écroule en décembre 1957 lorsqu’il épouse sa cousine, âgée de treize seulement, alors qu’il est officiellement encore marié. Le scandale est énorme. Les ventes de disques s’effondrent et la cote de Jerry Lee Lewis avec. Les gens qui viennent à ses concerts viennent pour le huer. C’est fini, il ne sera pas le successeur d’Elvis.
On écoute un morceau enregistré durant l’été 1957, Lewis Boogie.
Jerry Lee Lewis est resté sous contrat avec la maison Sun jusqu’en 1963. Cela signifie qu’il a accompagné Sam Phillips lorsque la maison a déménagé en 1960, de la Union Avenue à la Madison Avenue.
Jerry Lee Lewis a quitté Sun pour Smash, une filiale de Mercury. Son disque le plus connu, « Live At The Star Club, Hamburg », date de 1964. Et par la suite, comme beaucoup d’autres, il est revenu à la country.


11/ Charlie Rich
Né en 1932, mort en 1995. Chanteur, pianiste.
Au début Charlie Rich était considéré comme un peu trop jazzy par Sam Phillips. Ses premiers 45 tours n’ont pas eu trop de succès. En 1958, il est surtout un musicien de studio régulier pour Sun.
C’est une chanson enregistrée fin 1959, parue en 1960, Lonely Week-ends, qui est son premier succès. On écoute une autre chanson parue en 1960, Right Behind You.
Charlie Rich a enregistré plusieurs succès chez Sun. Il y reste jusqu’en 1963, date à laquelle il passe chez RCA Victor, comme Elvis huit ans plus tôt, puis chez Smash comme Jerry Lee Lewis à peu près à la même époque.
Charlie Rich a réussi à obtenir des succès jusque dans les années soixante dix.


Fin de la maison Sun.
Sam Phillips a vendu Sun Records en 1969 à Shelby Singleton, producteur de la firme Mercury.
Le logo de la maison Sun, avec son soleil, son coq et ses notes de musique, est devenu une légende. Il est synonyme d’une musique de qualité et il évoque le souvenir de découvertes extraordinaires ainsi que les folles années du blues et du rock ‘n’ roll.



Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!

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