mercredi 20 mars 2019

Séance 63


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !
Séance 63


1/ The Platters                     
Les Platters n’étaient au départ qu’un des nombreux groupes vocaux de rhythm and blues parmi des dizaines et des dizaines d’autres. La plupart de ces groupes d’ailleurs décrochaient un seul hit avant de replonger dans l’obscurité, comme les Crows, les Chords, les Charms, les El-Dorados, les Cadillacs, les Cleftones etc. Quant aux Platters qui se sont formés en 1952 à Los Angeles, ils avaient enregistré quatre titres pour Federal en 1953 sans aucun succès.
La carrière de Tony Williams le ténor soliste, David Lynch ténor, Herb Reed basse, Paul Robi baryton et Zola Taylor, chanteuse contralto, aurait pu suivre le chemin des autres groupes, souvent très bons, quelques uns aussi bons qu’eux (comme les Coasters ou les Isley Brothers par exemple). Leur chance a été de décrocher en 1954 un contrat avec Mercury, une firme faisant partie des majors, les maisons de disques dominant le marché. Une vraie chance, en fait : c’est Buck Ram, le manager d’un autre groupe de Los Angeles qui avait décroché un tube, les Penguins, et qui avait aussi écrit des chansons pour les Platters, qui a obtenu de Mercury un contrat pour les Penguins et qui a imposé à Mercury un autre contrat pour les Platters dans le même lot. Les Penguins n’ont ensuite plus placé une seule chanson au hit-parade alors que les Platters, eux, ont décollé. Il est clair que Buck Ram a eu le nez creux et les Platters beaucoup de bol !
Il faut dire aussi que Mercury a bien joué. La question était de savoir si un groupe jouant de la musique lente, susceptible de répondre aux besoins des cabarets et des clubs, pouvait atteindre en même temps les publics du rhythm and blues et du rock ‘n’ roll, c’est-à-dire en fait tout le monde : les Blancs et les Noirs, les ados et les adultes. La firme a misé sur les qualités vocales de Tony Williams, le ténor soliste du groupe, et a produit des chansons qui le mettaient spécialement en valeur. C’est toujours la même histoire : la vedette, plutôt que le groupe. Only You, bien sûr, en est l’illustration parfaite. A noter cependant : on pense souvent que Only You, qu’on a écouté lors de la toute première émission de Hot Ariège, a été le plus grand tube des Platters. Ce n’est pas le cas. Only You a seulement été leur premier succès en 1955 : Only You est d’abord resté inaperçu pendant trois mois avant de trôner pendant sept semaines en tête du Billboard catégorie rhythm and blues et en cinquième place pour la pop, c’est-à-dire toutes catégories. Ce n’est que par la suite qu’Only You a acquis une dimension internationale exceptionnelle, permettant ainsi de révéler la musique noire au monde entier.
Le plus grand succès des Platters, c’est le disque qui a suivi Only You, The Great Pretender, enregistré pour la firme Mercury en 1955. Et c’est le morceau qu’on écoute.
The Great Pretender a été classé numéro 1 non seulement au classement rhythm and blues du Billboard, mais aussi au classement pop, ce qui est tout à fait exceptionnel. Les Platters ont enchaîné les hits jusqu’en 1960. Après 1960, leur succès décline et la soul music prend le pas sur toute la musique noire.
La fin des Platters est lamentable. Tony Williams et Zola Taylor ont quitté le groupe, puis chacun s’est mis à tourner de son côté. Pendant ce temps-là, un groupe s’appelant les Platters continuait à se produire. A la fin, ils se sont tous mis en procès. Le dernier des Platters « historique », Herb Reed, est décédé en 2012.


2/ Eddie Shaw, 1937-2018
Quand on pense au blues de Chicago, on pense guitare et harmonica. Ce sont effectivement ces instruments qui dominent la scène. Mais il ne faudrait pas oublier les autres ! Eddie Shaw est un saxophoniste de blues (eh oui, ça existe !) né en 1937 à Stringtown dans le Mississippi qui s’est fait un nom dans le blues de Chicago. Adolescent, il a commencé à jouer avec des musiciens locaux ou de passage dans son coin et c’est Muddy Waters qui l’a invité en 1957 à rejoindre son orchestre à Chicago.
Il y reste quinze ans, jusqu’en 1972. A ce titre, il a participé à d’innombrables sessions avec Muddy Waters. Ensuite, il rejoint le groupe de Howlin’ Wolf jusqu’à la mort de ce dernier en 1976. Il a alors repris le groupe de Howlin’ Wolf, le Wolf Gang, (on reste donc dans le blues de Chicago) et il a entamé une carrière personnelle à quarante ans.
Ses premiers enregistrements ont été pour Alligator, le label de Bruce Iglauer. Le label sort en 1978 cinq morceaux d’Eddie Shaw sur le premier volume d’une série devenue culte, « Living Chicago Blues ». On écoute un morceau de cet album, Stoop Down Baby. 
Living Chicago Blues, volume 1. Album partagé par Eddie Shaw avec Jimmy Johnson, Left Hand Frank et Carey Bell. 
Eddie Shaw et le Wolf Gang : Eddie Shaw au chant et au saxo, Lafayette Shorty Gilbert à la basse, Hubert Sumlin à la guitare, Johnny Big Moose Walker au clavier et Chico Chism à la batterie. 
Après cet album de 1978, Eddie Shaw a sorti de nombreux albums pour des marques diverses : Evidence, Isabel, Rooster, Wolf, Delmark. Ces albums sont réussis, on peut les recommander : c’est du bon blues de Chicago et le saxo donne cette pointe de rhythm and blues très agréable à écouter.
Eddie Shaw s’est éteint l’an dernier à quatre-vingts ans.


3/ Darby & Tarlton
Le « Hillbilly Blues », tel est le nom d’un coffret Frémeaux consacré au folksong blanc et à la country joués dans une veine blues des années vingt aux années quarante. Dans Hot Ariège où on s’intéresse au lien entre toutes ces musiques, on ne pouvait pas passer à côté d’un tel phénomène. 
On peut remarquer d’abord qu’il serait plus juste de parler de « Blue Hillbilly » plutôt que de « Hillbilly Blues », car la musique en question est bien du hillbilly, une musique populaire blanche qui vient des Appalaches, une région montagneuse du sud où la vie était plutôt rude. Le livret du coffret explique que le terme de « hillbilly », qui peut se traduire par quelque chose comme « péquenot », est attribué à un violoniste des années vingt à qui un producteur avait demandé le nom de la musique qu’il jouait. Ce violoniste avait alors répondu : nous ne sommes que des hillbillies, des péquenots, de Caroline du nord et de Virginie, appelez-la comme vous voulez !
Aujourd’hui, la country se dissocie totalement du blues et n’a plus rien à y voir. On a tous en tête le film des Blues Brothers qui s’amuse de cette opposition, voire même qui souligne le côté quelque peu raciste de certains amateurs de country. Cette dissociation fait oublier le fait que les musiciens blancs de la country dite « old style », celle des années vingt, ont été profondément influencés par la musique noire et par le blues en particulier ; pas seulement d’ailleurs, le gospel a aussi joué un rôle dans la country.
Darby et Tarlton font partie des plus éminents représentants de ce style de blue hillbilly. Tom Darby, chanteur guitariste, serait né en 1884 (certains disent 1891) en Géorgie tandis que Jimmie Tarlton, chanteur et steel-guitariste, est né en 1892 en Caroline du sud. A noter que Jimmie Tarlton a été l’élève d’un guitariste hawaïen. On évoquera dans une autre émission le rôle capital des guitaristes hawaïens dans la musique populaire américaine.
Darby et Tarlton ont formé un duo qui a commencé à enregistrer en 1927 pour Columbia. Leurs disques se sont bien vendus : un de leurs disques de 1927 s’est vendu à plus de deux cent mille exemplaires. Ça leur a permis d’enregistrer 63 titres entre 1927 et 1933.
On écoute un morceau de 1929, Freight Train Ramble.
On entend distinctement dans la chanson Tom Darby lancer « Sing the blues, Jimmie ! ». Et voilà comment des Blancs ont contribué à forger la country music en jouant du blues dans les années vingt. Ce morceau de blue yodel est évidemment influencé par le légendaire pionnier fondateur du style, Jimmie Rodgers. On le trouve dans coffret « Hillbilly Blues 1928-1946 » paru chez Frémeaux.
Le duo entre Darby et Tarlton s’est défait en 1933. Aucun des deux n’a poursuivi de carrière en solo après 1935. Ils se sont brièvement retrouvés pour jouer ensemble dans les années soixante lors du folk revival. Tom Darby est décédé en 1971 et Jimmie Tarlton en 1979.


4/ Wynona Carr, 1923-1976 
Wynona Carr est une chanteuse née dans l’Ohio en 1923 et elles est décédée en 1976.
Elle a démarré sa carrière dans le gospel. Ses premiers enregistrements, pour la marque Specialty, ont été réalisés à partir de 1949 sous le nom de Sister Wynona Carr. Elle était alors très influencée par Sister Rosetta Tharpe.
Elle obtient un succès en 1952 avec The Ball Game. Mais assez vite elle veut sortir du gospel et elle parvient au bout de quatre ans à convaincre Art Rupe, le directeur de Specialty, de la laisser faire du rhythm and blues. Celui-ci finit par accepter et entre 1955 et 1959 elle enregistre de nombreuses faces dans une veine rhythm and blues, parfois même très rock ‘n’ roll. 
On écoute un de ses premiers morceaux profanes enregistré le 10 juin 1955, It’s Raining Outside. 
Wynona Carr n’a obtenu qu’un seul succès en 1957, Should I Ever Love Again ?. En 1961 elle signe pour Reprise, la firme de Frank Sinatra. Elle réalise un album pop qui ne marche pas vraiment. Elle est alors retombée dans l’obscurité.
A mon sens Wynona Carr n’a pas eu la carrière qu’elle méritait. Gospel, rhythm and blues, rock ‘n’ roll, pop, elle aura pourtant tout essayé. Elle avait pourtant les qualités nécessaires pour suivre le même chemin que LaVern Baker ou Ruth Brown.


5/ Big Lucky Carter, 1920-2002
Est-ce que Levester Carter, chanteur guitariste né dans le Mississippi en 1920, décédé à Memphis en 2002, a eu beaucoup de chance dans sa vie ? Je ne sais pas. Toujours est-il que son surnom était « Big Lucky », le grand chanceux.
Big Lucky Carter commence sa carrière professionnelle en 1949 en rejoignant un groupe qui comprenait le pianiste Ford Nelson. L’année suivante, en 1950, il entre dans un autre groupe à Memphis, les Rhythmaires de son cousin le saxophoniste Ed Kirby, qui changeront leur nom en Millionnaires. Il y reste huit ans.
Kirby enregistre une session sous son nom pour Sun Records en 1957, Big Lucky est présent. Les morceaux ne seront toutefois publiés que dans les années soixante-dix. Ensemble, Ed Kirby et Big Lucky Carter enregistrent pour Savoy, Westside, Bandstand USA. Pendant ce temps-là, Big Lucky anime par ailleurs son propre groupe. 
 C’est seulement en 1969 qu’il sort deux singles sous son nom pour le label MOC de Willie Mitchell. L’un de ces morceaux est Goofer Dust, qu’on écoute.
Ce morceau enregistré en 1969 n’est en fait sorti que deux ans plus tard sur le label River Town Blues.
On ne sait pas trop ce qu’a fait Big Lucky Carter durant la vingtaine d’années qui a suivi cette publication. Il a probablement continué à jouer dans des clubs dans la région de Memphis.
On le retrouve en 1993 lors du festival de Burnley Blues. Burnley est une ville du Lancashire, au Royaume Uni, qui anime un festival de rock et de blues depuis 1989, dont la cote n’a cessé de grimper. 
Big Lucky Carter, à ma connaissance, n’a sorti qu’un seul album. Il s’agit de « Lucky 13 » paru chez Blueside en 1998. A noter que l’album CD s’ouvre sur une version nouvelle de Goofer Dust, assurément le titre fétiche de Big Lucky. Ce dernier est décédé quelques années après, en 2002.


6/ Al Puddler Harris
Séquence rock ‘n’ roll avec un chanteur pianiste de Louisiane né en 1936 Allen W. Harris, surnommé Al « Puddler » Harris. Je ne sais pas d’où lui vient ce surnom étrange : « puddle » en anglais, ça veut dire flaque. Est-ce qu’il liquéfiait ses auditeurs ? Mystère.
Al Puddler Harris a commencé à jouer dans un programme radio de Shreveport. Il a enregistré avec Johnny Horton. Il a formé un trio avec le guitariste James Burton et le bassiste Joe Osborn et ce trio a servi de groupe de soutien à Ricky Nelson dont on a parlé lors d’une précédente émission.
Al Puddler Harris a enregistré sous son nom quelques titres à la fin des années cinquante. On écoute un morceau resté longtemps inédit, Saw My baby Walkin’. Ce morceau n’a été publié qu’en 1978 sur un album vinyl du label Flyright, « Rockin’ Fever », sous le numéro LP 540 pour être précis.
Ce morceau des années cinquante a été réédité dans la série « Boppin’ By The Bayou » du label Ace : il figure au volume 11 de la série, sous-titré « Rock Me Mama ».
Al Puddler Harris a fait partie du groupe de soutien de Conway Twitty, célèbre chanteur de country dont on a déjà parlé dans Hot Ariège, et il a également appartenu au dernier groupe de Jimmie Davis, ex chanteur de old country dans les années trente et ex gouverneur de la Louisiane.
Aux dernières nouvelles, Al Puddler Harris était toujours vivant.


7/ Johnie Lewis, 1908-1992
Johnie Lewis (Johnie, n-i-e) est un chanteur guitariste né en Alabama en 1908, qui jouait aussi de l’harmonica et du kazoo. Son cas est un peu à part puisqu’il a été révélé par le cinéma !
Johnie Lewis a quitté sa famille à quatorze ans ; il est allé en Géorgie où il a appris à jouer de la guitare puis il s’est installé à Chicago à la fin des années trente. Là il a exercé le métier de peintre et il fréquentait les musiciens locaux, notamment Tampa Red. 
En 1969, il est remarqué par un cinéaste, Harley Cokliss, qui le fait participer à un documentaire sur le blues de Chicago intitulé tout simplement « Chicago Blues » sorti en 1970 aux Etats-Unis. Ce documentaire est aussi passé à la télé anglaise en janvier 1971. C’est grâce au film que Johnie Lewis a pu enregistrer pour Arhoolie. Il réalise deux sessions à Chicago : la première, le 13 août 1970 ; la seconde, le 9 janvier 1971. Arhoolie a publié l’essentiel des morceaux enregistrés dans un album vinyl sorti dès 1971 sous le titre « Johnie Lewis, Alabama Slide Guitar ». Arhoolie a publié en 1997 un CD sous le même titre avec six morceaux supplémentaires.  
On écoute un morceau issu de la première session d’enregistrement, celle du mois d’août 1970, I’m Gonna Quit My Baby.
La parution du disque n’a pas conduit Johnie Lewis à entamer une carrière musicale. Il faut dire qu’il avait plus de soixante ans. Il a tout de même participé au festival de l’Université de Chicago en 1972.  
Sur le site d’Allmusic, on peut lire que Johnie Lewis n’était pas un guitariste exceptionnel. Je préfère pour ma part l’appréciation de Jean-Claude Arnaudon dans son Dictionnaire du Blues : « Son jeu de guitare, avec emploi du « slide », est caractérisé par une sonorité très pure et un phrasé mobile. »
Johnie Lewis s’est éteint en 1992.


8/ Billy Hoke
Je ne sais pas grand chose de Billy Hoke, sinon qu’il a sorti sous son nom deux 45 tours de rhythm and blues en 1965 chez D.W. Records, un label étatsunien. Deux de ces quatre morceaux, la face A d’un des 45 tours et la face B de l’autre, ont été réédités d’abord en 1974 sur un album de compilation chez Flyright intitulé « New York Rhythm & Blues », puis en 1979 sur la même compilation chez le label anglais Magpie.
Je vous propose d’écouter I Don’t Want No Other Woman, la face A du premier 45 tours. 
Ce morceau est tiré d’un album vinyl de 1979 paru chez Magpie. Je vous ai signalé que le même album était paru en 1974 chez Flyright. Je n’ai pas trouvé trace d’une réédition en CD.
Et comme les albums de compilation en question ne livrent aucune information sur les musiciens, je n’en sais pas plus sur Billy Hoke.


9/ Julius Daniels, 1901-1947
Julius Daniels est un chanteur de blues originaire de Caroline du sud. Il s’est établi très jeune en Caroline du Nord. Il a commencé à se produire à partir de 1925 en compagnie du guitariste Bubba Lee Torrence. Ensemble, sous le nom de Daniels and Torrence, ils réalisent une première session d’enregistrement le 19 février 1927 à Atlanta pour le label Victor.
Julius Daniels a réalisé une seconde session pour Victor sous son nom, toujours à Atlanta, le 24 octobre 1927, probablement avec le guitariste Wilbert Andrews. Au total, Julius Daniels a gravé huit titres ; pour certains morceaux, plusieurs prises ont été réalisées. Victor en a sorti quatre 78 tours.
On écoute un morceau issu de la seconde session, Can’t Put The Bridle On That Mule This Morning.  
Les morceaux de Julius Daniels ont été réédités en CD : en 1993, par le label Document dans un album intitulé « Georgia Blues & Gospel 1927-1931 » DOCD 5160 ; et en 2005 par le label JSP dans un coffret de quatre CD dont le titre est « Atlanta Blues, Big City Blues from the Heartland », JSPCD 7754.
On sait que Julius Daniels a exercé divers métiers jusqu’à sa mort en 1947 : manœuvre, jardinier, concierge et pompier. On ne sait pas en revanche s’il a continué à se produire après ses enregistrements.
Hot Tuna, le groupe pop de Jorma Kaukonen et Jack Cassady tous les deux membres de Jefferson Airplane, qui s’est fait accompagner à plusieurs reprises par le violoniste de blues Papa John Creach, a repris dans un album de 1972 une chanson de Julius Daniels, 99 Year Blues. 


10/ Eddie Bo, 1930-2009
Qui c’est le plus beau ? C’est Eddie Bo. Bo, b-o, c’est une abréviation. Il s’agit d’un chanteur pianiste de La Nouvelle Orléans dont le véritable nom est Edwin Joseph Bocage, né en 1930. Sa mère était copine avec le grand pionnier du piano blues de La Nouvelle Orléans, Professor Longhair. Mais lui, Eddie, il a appris le piano à l’école, La Grunewald School Of Music, pour être précis. 
Ceci explique peut-être qu’il s’oriente d’abord vers le jazz. Il forme un orchestre, le Spider Bocage Orchestra, qui va servir de soutien à des artistes de renom comme les Platters dont on a parlé en début d’émission, mais aussi Big Joe Turner, Guitar Slim, Lloyd Price, ou encore Ruth Brown…
Dans les années cinquante, Eddie Bo se tourne vers le rhythm and blues, question de fric apparemment. Ça rapportait plus que le jazz. Le premier enregistrement sous son nom est pour Ace en 1955. Il passe chez Chess en 1957, où il grave notamment My Dearest Darling dont Etta James fera un hit en 1960. A partir de 1959, c’est chez Ric Records qu’il obtient plusieurs succès régionaux.
On écoute un morceau de 1960 paru chez Ric, Tell It Like It Is.
Morceau disponible sur le CD « Baby, I’m Wise, The Complete Ric Singles 1959-1962 » paru chez Ace sous le n°1429.
Eddie Bo a enregistré pour plus de 40 labels différents. Dans les années soixante, son style se fait plus soul et funky. Eddie Bo sait s’adapter à son temps. Il obtient même un hit dans le genre en 1969, treizième au Billboard, Hook And Sling. 
Eddie Bo a créé son propre label, Bo-Sound, mais il a continué à graver des titres pour quantité de marques. Dans les années soixante-dix, sa production devient plus épisodique. Il est plus présent dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix ; il fait des tournées, il vient en Europe, il sort des albums : le dernier est paru à ma connaissance en 1998. 
Eddie Bo est décédé en 2009.


Bonus track
11/ Charioteers
Les Charioteers sont un groupe de gospel masculin formé en 1930 dans une université de l’Ohio. Ils tirent leur nom d’un spiritual célèbre : Swing Low, Swing Chariot. 
Ils animent une émission de radio pendant deux ans puis ils se rendent à New York. Ils enregistrent pour des marques diverses : Vocalion, Brunswick, Decca. Ils signent chez Decca en 1935, puis en 1938 chez Columbia où ils vont rester plus de dix ans.
On écoute un morceau de 1939, All God’s Chillun Got Shoes. 
Morceau disponible sur un coffret de 2 CD édité par Sony Music « Les Stars du Gospel ». 
Le parcours des Charioteers est on ne peut plus classique. On peut citer à ce propos Noël Balen, auteur d’une « Histoire du negro spiritual et du gospel » chez Fayard, qui écrit :
« Au tout début, les male quartets – les quartet masculins – ne sont autres que la réduction des chœurs universitaires dont l’attitude est souvent conventionnelle. Mais cette rigueur et cette affectation vont peu à peu glisser vers les nouvelles tendances des pratiques sanctifiées. La spontanéité, la prise de risque et le sentiment de liberté irriguent le formalisme du chant. Les attaques se font plus percussives, les falsettos se débrident, les ondulations et les carences s’assouplissent, les accords s’enrichissent selon certaines innovations profanes ». Pour le dire en bref, le blues et le rhythm and blues ont considérablement enrichi le gospel dans les années trente quarante.
Les Charioteers vont même aller jusqu’à inclure des chansons populaires dans leur répertoire, ce qui était sacrilège à l'époque. 
Wilfred Billy Williams, le chef du groupe, a quitté les Charioteers au début des années cinquante. Les autres ont suivi au cours de la décennie. Le dernier enregistrement des Charioteers date de 1957, c’était pour MGM.
Les Charioteers ont été un grand groupe de gospel. Ils ont eu neuf hits classés au Billboard dans la catégorie pop music, c’est-à-dire tous registres confondus, dont trois dans le Top 10.



Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!

mercredi 6 mars 2019

Séance 62


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !


Séance 62


1/ Dennis McMillon, 1909-1965 ?
Chanteur guitariste originaire de Caroline du sud. Sa date de décès n’est pas connue avec exactitude. En fait, on sait très peu de choses sur lui. Stefan Wirz, qui tient un blog très documenté, indique que Dennis McMillon serait venu en Pennsylvanie pour bosser dans des aciéries. Des années vingt aux années quarante, il y a deux grands courants parallèles de migration des Noirs qui vivaient dans les Etats agricoles du sud des Etats-Unis : du Mississippi et des Etats alentour vers Chicago d’une part, des Etats du sud est vers New York et les Etats industriels du nord est, comme la Pennsylvanie, d’autre part.
Dennis McMillon aurait réalisé deux sessions d’enregistrement en août 1949 à Linden, siège du label Regal. Regal Records était une filiale de DeLuxe Records qui n’a été active qu’en 1949 apparemment. On écoute un morceau issu de la première session, Goin’ Back Home. 
Dennis McMillon, chant et guitare ; Fred Mendelsohn, percussions. Morceau tiré du CD  « Alec Guitar Slim Seward & Louis Jelly Belly Hayes, The Back Porch Boys » édité par Delmark.
Fred Mendelsohn, aux percussions. Fred Mendelsohn, a priori c’était un producteur. Alors, qu’est-ce qu’il foutait là ? Etrangement, le livret du CD se contente d’indiquer à côté de son nom « suitcase », ce qui veut dire valise. Faut-il croire qu’il tapait sur une valise ? Le livret du CD fournit juste une anecdote à son sujet, à propos d’un écrit de Bruce Bastin, qui était un expert dans le blues de la côte est et le directeur d’une société contrôlant plusieurs labels, notamment Flyright. C’est Bruce Bastin qui parle : « Sachant que Mendelsohn avait enregistré des bluesmen à Atlanta un peu plus tôt dans l’année, sa femme de chambre lui a recommandé McMillon, en affirmant que ce dernier avait besoin de dix dollars pour rentrer chez lui en bus. McMillon a reçu de quoi payer son ticket de bus plus quarante dollars pour la session ». Si cela ne nous éclaire pas sur le rôle de Mendelsohn, ce propos en dit long sur la condition des Noirs dans les années quarante...
Les sessions réalisées par Dennis McMillon ont donné lieu à deux 45 tours édités par Regal à l’époque, c’est-à-dire en 1949/1950. Ces quatre morceaux ont fait chacun l’objet d’une prise alternative et les œuvres de McMillon sont aujourd’hui disponibles sur plusieurs compilations, dont celle de Delmark que j’ai citée.


2/ Gil Gilroy  
Encore un artiste dont on ne sait pas grand chose, mais dans le genre du rockabilly cette fois, Gil Gilroy, dont le vrai nom est Gilbert Giroir. Ce n’est pas le seul exemple d’un louisianais au nom français qui prend pour nom d’artiste son propre nom américanisé. Gil Gilroy est originaire de Morgan City, une petite ville côtière de Louisiane.
Le fait de gloire de Gil Gilroy est d’avoir gravé une poignée de titres à la fin des années cinquante, début des années soixante, qu’il a publiée sur son propre label, Moon. Il a réussi à en louer au moins deux au label Demo qui a sorti un 45 tours avec. On écoute un morceau de ce 45 tours, Laura Lee. 
Laura Lee figure sur le premier volume de la série « Boppin’ by the Bayou » publiée par le label Ace. Le livret du CD nous apprend que le 45 tours de Gil Gilroy n’a pas eu de succès et que les vinyls, aussi bien celui de Moon que celui de Demo, ont été longtemps introuvables. Aujourd’hui c’est redevenu faisable, j’ai vérifié, sans doute parce que les morceaux de Gil Gilroy, Laura Lee et Do You Take Me For A Fool, ont depuis été édités en CD sur plusieurs compilations.
Gil Gilroy serait encore en vie. Il jouerait du violon au sein d’un groupe cajun, La Touche, dans une boîte de La Nouvelle Orléans.


3/ LaVern Baker, 1929-1997  
Nous avons maintenant rendez-vous avec LaVern Baker, une grande dame du rhythm and blues.
LaVern Baker est née Dolores Evans en 1929 à Chicago. Aucun rapport donc avec Josephine Baker, qui s’était rendue célèbre entre les deux guerres dans des revues à Broadway puis à Paris et qui symbolise ce qu’on a appelé « les années folles ». En revanche, LaVern Baker est la nièce d’une grande chanteuse de blues d’avant guerre, Merline Johnson, qu’on surnommait « The Yas Yas Girl ». 
LaVern Baker a commencé à chanter dans des clubs à Chicago en 1946. Son premier enregistrement comme accompagnatrice date de 1949 et elle a adopté son nom d’artiste en 1952. Sa carrière solo démarre en 1953 : elle signe chez Atlantic et elle va enchaîner succès sur succès jusqu’en 1960. 
Son premier succès, Tweedle Dee, sort en 1955. Il atteint la quatrième place au Billboard catégorie rhythm and blues, la quatorzième au classement pop. A noter qu’une cover blanche, reproduction note par note de la version originale, a atteint la première place.
Son plus grand succès est Jim Dandy paru à la fin de l’année 1956, numéro 1 au Billboard rhythm and blues, numéro 17 au classement pop. C’est l’histoire d’un homme, Jim Dandy, qui sauve les femmes d’affrontements improbables ou impossibles. Le nom a été inspiré d’une chanson du dix-neuvième siècle. On l’écoute. 
LaVern Baker au chant, Sam Taylor au saxophone, Panama Francis à la batterie et le groupe vocal de soutien d’Atlantic du moment, les Gliders.
L’auteur Charlie Gillett nous dit que LaVern Baker a pris pour cette chanson une voix plus profonde et plus rude que pour ses titres précédents, plus difficile à imiter par les chanteuses blanches, et ce style a joué un rôle dans l’évolution du rhythm and blues vers le rock ‘n’ roll. 
En cinq années, LaVern Baker récolte neuf titres au top 10 du Billboard, ce qui la classe en sixième position, derrière Fats Domino, Elvis Presley, Ray Charles, Little Richard et Chuck Berry. Autant dire qu’elle est une des reines de l’époque, avec Ruth Brown et Dinah Washington. Et Charlie Gillett nous dit encore qu’elle incarne la transition entre ces chanteuses de rhythm and blues et les premières chanteuses soul comme Dionne Warwick. 
LaVern Baker quitte Atlantic en 1964. Par la suite, elle a séjourné pendant 22 ans aux Philippines. Son dernier album date de 1995. Elle est décédée en 1997. 


4/ Jimmy Burns  
Jimmy Burns est un chanteur guitariste né en 1943 dans le Mississippi. Il est moins connu que son frère aîné, Eddie, qui s’est fait un nom dans le blues sur la scène de Detroit, la ville de l’automobile et de John Lee Hooker.
Jimmy Burns est arrivé avec sa famille à Chicago en 1955. Il a commencé dans le doo wop. Son premier enregistrement sous son nom date de 1964 pour le label USA. Dans les années soixante, il sort une poignée de 45 tours pour de petits labels, Erica, Tip Top, Minit, mais le succès n’est pas au rendez-vous. Il sort encore un 45 tours en 1972, il y en aura encore d'autres en 1980, puis Jimmy Burns arrête un temps la musique.
Il réapparaît dans un club à Chicago au début des années quatre-vingt-dix. Le producteur du label Delmark, Bob Koester, est séduit et Jimmy Burns sort un  premier album en 1996, « Leaving Here Walking ». on écoute un morceau de l’album intitulé Miss Annie Lou.
Jimmy Burns - Miss Annie Lou
L’album « Leaving Here Walking » est bien accueilli par la critique : il lui est décerné le titre de meilleur album de blues de l’année. Dès lors, la carrière de Jimmy Burns décolle, à 53 ans. Il effectue des tournées internationales et il a sorti cinq autres albums depuis, tous chez Delmark, le dernier en date en 2015. 
Jimmy Burns a aujourd’hui 76 ans. Bob Koester a vendu Delmark l’année dernière. On peut donc s’interroger : y aura-t-il d’autres disques de Jimmy Burns ? Réponse dans une prochaine émission de Hot Ariège.


5/ Johnny Acey, 1925-2009
Johnny Acey est un chanteur pianiste né en Caroline du sud en 1925. Son vrai nom est John Acey Goudelock. Il a commencé dans le gospel. Dans les années cinquante, il a été cuisinier à New York. 
Il a enregistré des 45 tours entre 1958 et 1974 pour des labels divers : Fire, Fling, Falew, DJL, Arrow, Smog City, Stang. On écoute un morceau de 1962 figurant sur la face B d’un 45 tours de Fling, I Go Into Orbit.   
Ce morceau est disponible sur la compilation intitulée « My Home The Complete Recordings » parue chez Turbo Records. 
Johnny Acey ne doit pas être confondu avec le pianiste de jazz Johnny Acea. A noter aussi qu’on trouve des vinyls de notre Johnny Acey sous des noms divers. Le 45 tours de chez Fire par exemple est sous le nom de Johnny Chef, ce qui est une référence évidente à son boulot de cuistot. 
Les vinyls sont difficiles à trouver. En revanche, on trouve des morceaux de Johnny Acey sur des compilations diverses en CD, Charly ou autres, notamment celles de la maison Fire/Fury/Robinson.


6/ Alexis Korner, 1928-1984
Avec Alexis Korner, chanteur multi-instrumentiste, joueur de guitare, de piano, de mandoline et de plein d’autres choses, grande figure du skiffle surnommé le père du « british blues », le blues britannique, on va ouvrir ici, une page que certains qualifieraient de polémique.
Autant le dire tout de suite, selon moi, ce que l’on désigne sous les appellations de « blues britannique », plus largement de « blues blanc », on parle aussi de « blues boom » à propos de ce courant qui s’est développé à la fin des années soixante, n’est pas du blues dans le sens traditionnel. N’importe qui peut attraper une guitare et jouer comme Muddy Waters comme dans les années cinquante, ce n’est pas pour autant que ce qu’il va produire sera du blues (encore une fois, au sens traditionnel). Pour prendre une image, un Scandinave peut jouer de la musique traditionnelle japonaise du Moyen Age, pour autant ce qu’il va produire ne sera pas de la musique japonaise traditionnelle. C’est pareil pour le blues.
Alexis Korner est parti d’une idée diamétralement opposée. Il a déclaré lors d’une interview en 1968 : « Une manière anglaise  de jouer et de chanter le blues se développe en dehors des conditions sociales négro-américaines qui ont donné naissance à cette musique il y a cent ans. Il n’est plus vrai de dire que les Blancs ne peuvent chanter le blues. Ce n’est plus affaire de race ou de couleur, mais d’attitudes. »  Cité par Philippe Bas-Rabérin dans « Le Blues Moderne 1945-14973 » chez Albin Michel.
Mettons entre parenthèses le fait que plus personne ne s’exprimerait avec les mêmes mots aujourd’hui (négro, race), attachons nous à l’idée. Alexis Korner oublie un élément essentiel : l’art est un reflet de la vie sociale. D’ailleurs lui-même a déclaré deux ans après, en 1970 : « Au bout d’un certain temps, on comprend que le fait de jouer implique un objectif social. Quand le thème n’en est pas directement l’amour, ce que je compose aujourd’hui relève d’une forte conscience sociale… » Cité également par Philippe Bas-Rabérin dans le même ouvrage. 
Dans sa déclaration de 1968, Alexis Korner a juste oublié l’aspect social. Le blues est indéfectiblement lié à la condition sociale des Noirs américains après la guerre de sécession, c’est-à-dire après l’esclavage. Les bluesmen étaient les griots modernes du peuple noir américain. Toute leur expression était liée à ce qu’ils vivaient : le boulot, le chômage, les relations entre les hommes et les femmes, l’alcool, les plantations de coton… ; les mots même qu’ils employaient, le jive, ce langage codé hérité du temps de l’esclavage où il fallait pouvoir se dire les choses seulement comprises par les Noirs en présence des maîtres blancs ; les instruments bien sûr, créés de toutes pièces car ils n’hésitaient pas à recourir à des bassines, des planches à laver, des boîtes de cigare, des dés à coudre, des bouteilles, des capsules de bouteille, des goulots de bouteille pour le bottleneck etc. ; la façon de jouer aussi est bien spécifique : deux notes à peine suffisent pour reconnaître les grands guitaristes, T-Bone Walker, Lightnin’ Hopkins, B.B. King etc., ce qui n’est le cas pour aucun européen ;  et enfin la voix, le timbre, les inflexions, des sons incroyablement gutturaux, des falsettos inimitables… Aucun européen ne peut imiter de façon crédible la voix de Muddy Waters, de Lightnin’ Hopkins ou même celle de Jackie Wilson. Il y a dans le vrai blues noir une spontanéité et une authenticité qui le distinguera pour toujours de ses copies blanches. Des européens peuvent aujourd’hui choisir de s’exprimer dans l’idiome du blues. Les Noirs à l’époque, eux, n’ont pas choisi. C’était leur façon naturelle de s’exprimer. 
Il faut bien comprendre que le choix par Alexis Korner de la contestation sociale – qui peut le rendre sympathique aux yeux de certains, et c’est mon cas ! – place de facto ce courant aux antipodes du blues, musique traditionnelle d’une communauté cherchant à s’insérer dans la société. Alexis Korner cherchait plutôt à s’évader de la société de consommation dans une contestation à caractère radical. D’ailleurs, les Noirs ont beaucoup évolué dans les années soixante, années qui ont débouché sur les marches de protestation, Martin Luther King, les émeutes etc. Et parallèlement les Noirs ont commencé à se sont détacher du blues à la fin des années soixante pour se tourner vers un autre type de musique, qui n’hésitait pas à recourir à la protestation radicale, la soul. C’est James Brown qui va proclamer dans une chanson célèbre : Say It Loud : I’m Black and I’m Proud ; Dites-le haut et fort, je suis noir et je suis fier ! Mais justement, c’est une autre musique. Pour conclure ce long bavardage sur la nature du blues, je dirais qu’il est impossible de faire abstraction du contexte social quand on appréhende une musique quelconque. 
Retour à Alexis Korner, né en 1928 à Paris, qui arrive à Londres en 1940 et entre dans l’orchestre de Chris Barber en 1949. En 1955, il forme un duo avec Cyril Davies, ils sortent leur premier disque en 1957.
On écoute un morceau de 1957 donc, Kid Man. 
Morceau tiré d’un double CD intitulé « Great British Skiffle, The Original Skiffle Recordings 1952-1958 » de la série « Just About As Good As It Gets ! » publiée par le label Smith & Co Sound & Vision.
Alexis Korner a joué un rôle considérable, essentiel, pour la propagation du blues en Europe. Il n’a recueilli aucun succès commercial. Ce sont les jeunes qui venaient l’écouter jouer dans un club de Londres en 1960/1961, Mick Jagger, Keith Richards, Brian Jones, Jimmy Page, qui sont devenus des stars, pas lui. Et cela a tranché d’une certaine manière la controverse évoquée avant d’écouter Kid Man : c’est quand on apporte une touche personnelle, nouvelle, avec de la vraie créativité, qu’on fait avancer l’histoire, pas en recopiant les maîtres à l’infini. Oui, mais alors, on crée une autre musique, en l’occurrence, le rock, la pop music. Exactement comme Elvis Presley avait créé le rockabilly en 1954. En tout état de cause, le rayonnement du groupe d’Alexis Korner, les Blues Incorporated, aura été énorme.
Autre rôle capital joué par Alexis Korner pour le blues. Il a été parmi les premiers à faire venir en Europe de vrais bluesmen noirs, comme Muddy Waters en 1958. Et à partir de là, c’est une autre histoire qui s’est enclenchée.
Alexis Korner est décédé en 1984. On ne peut qu’exprimer son plus profond respect pour son œuvre. Et aujourd’hui le skiffle reste une musique sympathique, le produit d’une époque.


7/ Big Joe Turner, 1911-1985 
Séquence rhythm and blues à présent avec l’une des plus importantes figures de la musique noire d’après-guerre, Big Joe Turner, né en 1911 à Kansas City, décédé en 1985. 
Big Joe Turner a fait une carrière extraordinaire qui a commencé dans les années vingt avec son compère, le pianiste de boogie woogie Pete Johnson, et qui l’a propulsé en haut de l’affiche à partir des années quarante. On l’a surnommé The Boss of The Blues, le patron du blues. Il est l’un des rares chanteurs de blues à avoir fait carrière sans interruption des années vingt jusqu’à sa mort, sans baisse de popularité après la guerre.
On écoute un morceau intitulé Rebecca. Big Joe Turner en a interprété plusieurs versions. Celle-ci est celle qu’il a enregistrée le 30 octobre 1944 à Chicago avec Pete Johnson au piano, Ernest Ashley à la guitare et Dallas Bartley à la basse.
Morceau tiré du volume B du coffret de cinq CD « Big Joe Turner 1938-1952 » paru chez JSP sous le numéro 7709.
Le style de Big Joe Turner lui permet d’être à l’aise au sein de tous les orchestres, blues, jazz ou rhythm and blues, qu’il soit accompagné par un pianiste comme Count Basie ou par un guitariste comme Elmore James. Et le fait que ce chanteur d’avant-guerre ait pu devenir une vedette du rock ‘n’ roll dans les années cinquante constitue une performance unique et pour tout dire, incroyable ! Mais il ne faut pas oublier que dès les années quarante il était un pionnier du genre, un de ses créateurs en fait.


8/ Will Batts, 1904-1956
Dans son Dictionnaire du Blues, Jean-Claude Arnaudon écrit que Will Batts était « considéré comme le meilleur violoniste noir de Memphis » ; et ça, dans les années vingt, trente, c’était vraiment quelque chose ! Memphis était à ce moment-là une espèce de capitale du blues, surtout pour les instruments à cordes, les string bands et les jugs bands, pour lesquels le violon était un instrument essentiel.
Fils d’un métayer, Will Batts est né dans le Mississippi. Il a appris tôt la guitare et le violon et il a commencé à jouer dans le string band de son père. En 1919, il se fixe à Memphis, la capitale du Tennessee, et il se produit dans les rues. En 1925, il constitue un orchestre avec le chanteur guitariste Jack Kelly, le Beale Street Jug Band. Beale Street était la légendaire rue de Memphis où se produisaient les bluesmen à l’époque. Occasionnellement des guitaristes comme Dan Sain (ou Sane) ou Frank Stokes, le pionnier du blues local, se joignaient à eux. A noter cette particularité : leur orchestre a obtenu parfois des engagements pour jouer devant un public blanc, ce qui était tout à fait exceptionnel à l’époque.    
Will Batts et Jack Kelly travaillaient ensemble donc, mais c’est Jack Kelly qui a décroché un contrat avec une compagnie pour aller enregistrer à New York en 1933. Le livret du coffret Frémeaux indique que la compagnie serait l’ARC, l’American Record Company, alors que les auteurs indiquent en général que les sessions réalisées l’ont été pour Vocalion, qui dépendait de l’autre trust, Columbia. Quoi qu’il en soit, c’est ce contrat qui explique que les 23 titres gravés lors des trois sessions des 1er, 2 et 3 août 1933, soient crédités au Jack Kelly’s South Memphis Jug Band. Will Batts est cependant le chanteur sur cinq morceaux. On écoute l’un d’eux, Highway n°61 Blues, gravé lors de la dernière session, le 3 août. 
 Morceau tiré du volume A du coffret JSP de cinq CD « Memphis Shakedown, More Jug bands Classics ».
En 1934, Jack Kelly a quitté la formation et Will Batts a formé un nouvel orchestre. Il semble cependant que Will Batts ait accompagné Jack Kelly lors d’un enregistrement réalisé à Memphis en 1939. 
Will Batts a réalisé des enregistrements dans les années cinquante. Certains auteurs mentionnent une session avec Big Walter Horton en 1952. Arnaudon et Sheldon Harris, chacun d’eux auteur d’un dictionnaire du blues, font état d’un enregistrement à Cleveland pour Flyright en 1954. 1954, c’est l’année du décès de Will Batts.


9/ Wibby Lee 
Wibby Lee est un chanteur guitariste country sur lequel je n’ai pêché aucune information. Tout ce que peux dire c’est qu’il a sorti au moins trois 45 tours : deux pour Jalyn, le premier en 1960 le second en 1965, et un pour Bonus en 1966.
On écoute un morceau tiré du premier single de 1960, I’m Lost Without Your Love. 
Un morceau qui relève autant de la country que du rockabilly, ce qui était courant dans les années cinquante, et qu’on trouve sur le CD n°10 du coffret de 10 CD « Rock-a-Billy Cowboys » édité par The Intense Media.
L’écart entre les deux premiers 45 tours, 1960/1965, pour le même label Jalyn, laisse penser que Wibby Lee a d’abord tenté sa chance dans une veine rockabilly, mais c’était un peu tard en 1960 et qu’il a retenté plus tard dans un style country plus traditionnel et que ça n’a pas marché non plus. Voilà pourquoi on ne trouve aucune information sur lui.
On trouve cependant quelques morceaux de Wibby Lee sur des compilations diverses, dont celle que j’ai citée. 


10/ Lil’ Ed
Edward Williams, surnommé Lil’ (abréviation de Little) en raison de sa petite taille, est né en 1955 à Chicago. C’est un neveu du guitariste J.B. Hutto. Comme son oncle, Lil’ Ed s’inscrit dans la lignée des guitaristes de slide émules d’Elmore James tels que Homesick James, J. B. Hutto et Hound Dog Taylor.
Lil’ Ed forme a réalisé son premier enregistrement pour Alligator en 1986. On écoute un morceau issu de son cinquième album « Heads Up ! » paru en 2002. Le morceau s’appelle I Love My Baby. Le groupe de Lil’ Ed, Les Blues Imperials, est composé de James Pokie Young à la basse, Mike Garrett à la guitare rythmique et Kelly Littletown à la batterie. 
Morceau extrait de l’album, « Heads Up ! » paru chez Alligator. Lil’ Ed a sorti tous ses albums chez Alligator. Le dernier est paru en 2016, « The Big Sound Of… (Lil’ Ed) ». 
On attend le prochain album avec impatience !


Bonus track
11/ Charlie Sangster, 1917-1983 
Charlie Sangster est un chanteur guitariste né en 1917 à Brownsville dans le Tennessee. Son père a joué avec les gloires locales de la scène du blues, Sleepy John Estes et Hambone Willie Newbern. Il a appris tôt la mandoline et la guitare. Lui-même a joué et enregistré avec Hammie Nixon, l’harmoniciste qui accompagnait Sleepy John Estes.
Charlie Sangster a été découvert par un chercheur italien, Gianni Marcucci, à la fin des années soixante-dix, sur une indication de Hammie Nixon. Marcucci a pu enregistrer Charlie Sangster à Brownsville au cours de huit sessions réalisées entre 1976 et 1980. 
Dans un premier temps, il en est sorti quelques morceaux sur le label L+R Records, L et R étant les initiales de Lippmann (Horst) et Rau (Fritz), les deux producteurs allemands qui ont fait connaître le blues en Europe au début des années soixante grâce aux tournées de l’American Folk Blues Festival.
Plus récemment, il est paru en 2013 un super album dans la série « Blues At Home » du label Mbirafon. Il s’agit du volume 9, exclusivement consacré à Charlie Sangster. C’est un album magnifique. On écoute un morceau intitulé Hesitation Blues. 
Le CD « Blues At Home 9 » comporte 30 morceaux ; 25 titres en fait, car certains morceaux ont fait l’objet de plusieurs prises.
On va dire que Gianni Marcucci est arrivé à temps, puisque Charlie Sangster est décédé en 1983, soit trois ans seulement après la dernière session d’enregistrement. Encore une fois, les amateurs de blues ne peuvent qu’exprimer une grande reconnaissance à ces chercheurs qui ont réalisé un travail magnifique pour aller enregistrer sur place dans les années soixante, soixante-dix, des artistes véritablement extraordinaires qui, sans eux, seraient restés ignorés à jamais.



Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

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