HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !
Séance 22
1/ Blind Lemon Jefferson
C’est avec un bluesman de légende qu’on commence l’émission, Blind Lemon Jefferson. Pourquoi « de légende » ? Parce que c’est le créateur du blues texan dans les années 1910 - 1920, l’un de ces pionniers comme Blind Blake sur la côte Est ou Charley Patton dans le Mississippi qui ont eu une influence décisive sur les artistes de leur région et qui ont contribué à structurer, codifier et développer le blues à partir d’influences diverses : spirituals, field hollers (sortes d’appels à mi-chemin entre le cri et le chant lancés par les travailleurs agricoles pour leurs congénères), work songs (chants de travail très rythmés pour accompagner l’effort sur les grands chantiers comme la construction des voies ferrées, les barrages, les routes…
Blind Lemon Jefferson appartient à la légende parce que son influence s’est traduite par des références dans de nombreuses chansons, bien au-delà du blues. Il est par exemple impossible de dénombrer les bluesmen qui ont évoqué la préoccupation que leur tombe soit bien entretenue, ce qui constitue une référence directe à une chanson de Blind Lemon See That My Grave Is Kept Clean, veille à ce que ma tombe reste propre. Et au-delà des bluesmen, Bob Dylan, Jefferson Airplane un groupe pop qui est allé jusqu’à prendre son nom en hommage.
Légende encore parce que Blind Lemon Jefferson a enregistré 80 titres entre 1926 et 1929 et il est mort en 1930. J’ai entendu parler de Blind Lemon, dans les chansons de Lightnin’ Hopkins ou via Jefferson Airplane, bien avant d’entendre un des morceaux qu’il avait enregistrés quarante ans auparavant. Et encore, les premiers vinyls disponibles étaient d’une qualité exécrable : le crachotement était si fort que le son de la voix et de la guitare étaient à peine audibles.
Heureusement des morceaux de meilleure qualité ont été édités sur CD dans les années quatre-vingt dix. On va écouter un des morceaux les plus célèbres de Blind Lemon Jefferson enregistré à Atlanta en 1927, Match Box Blues. Le fond crache un peu.
Songez que cette chanson a été interprétée par des artistes comme Carl Perkins, Bob Dylan ou Paul McCartney ! Quand je dis que le blues est la matrice de la musique moderne ce n’est pas qu’une image. Dommage seulement que le nom de Blind Lemon Jefferson ne soit pas plus connu.
Blind Lemon Jefferson peut reposer en paix. Une fondation a recueilli en 1967 la somme nécessaire pour retrouver l’emplacement de sa tombe et veiller à ce qu’elle reste clean.
2/ Jimmy McCracklin
Nous affections à présent un saut dans le temps. Nous allons parler du chanteur et pianiste Jimmy McCracklin, de son vrai nom James David Walker Jr, né en 1921, décédé en 2012, qui est venu s’établir en Californie à la fin des années trente.
Il réalise son premier enregistrement pour la firme Globe en 1945. C’est en 1946 qu’il forme son groupe, Jimmy McCracklin ans His Blues Blasters ». Durant les années suivantes il enregistre pour plusieurs petits labels jusqu’en 1949 où il signe chez Modern, grande marque de Los Angeles jusque dans les années soixante. Les morceaux qu’il enregistre alors font partie des meilleurs de la Côte Ouest. On peut citer Reelin’ And Rockin’, qu’on trouve aussi sous le nom de Rockin’ All Day, ou bien Deceivin’ Blues.
Dans les années 1957-1958, il enregistre pour Checker, filiale de Chess, dans une veine délibérément orientée vers le rock ‘n’ roll. The Walk, paru en 1957, atteint la cinquième place du hit-parade rhythm and blues. On écoute un morceau de cette période intitulé I Know. On ne connaît pas le nom de tous les artistes qui accompagnent Jimmy McCracklin, mais ce qui est sûr c’est que Lafayette Thomas tient la guitare.
Je signale que les morceaux de Jimmy McCracklin enregistrés pour Chess sont disponibles en CD paru dans le numéro 34 de la série « Les Génies Du Blues » éditée par Atlas. Le CD s’appelle « Jimmy McCracklin San Francisco Blues ».
Après sa période Chess, Jimmy McCracklin est revenu à un style plus classique de la Côte Ouest. Just Got To Know, en 1962, un morceau enregistré pour Art-Tone, le label qu’il a lui-même fondé, se classe numéro 2 au hit-parade rhythm and blues. Jimmy McCracklin fait paraître son premier album en 1967. Il a fait paraître des albums jusque dans les années quatre-vingt dix et il s’est éteint en 2012.
Jimmy McCracklin est l’un des musiciens qui comptent parmi les bluesmen de la Côte Ouest.
3/ Hound Dog Taylor
Nous allons écouter à présent un morceau d’un artiste que nous connaissons déjà, Hound Dog Taylor, superbe guitariste de Chicago blues, l’un des meilleurs disciples du grand Elmore James, un bluesman qui sait faire sonner sa guitare et son slide d’une manière incroyablement excitante.
On va écouter un morceau enregistré en public en 1974, édité par Alligator en 1975, Give Me Back My Wig. Ce morceau est extrait de l’album « Beware Of The Dog ». Attention, chien méchant !
C’est vrai, quoi ! Rendez lui sa perruque ! Pas la peine de s’énerver autant, le chien ! Eh bien voilà du blues de Chicago, bien râpeux, bien sauvage, bien comme il faut en fait !
Un mot sur les Houserockers, le groupe qui accompagne Hound Dog. En fait de groupe, ils ne sont que deux : Brewer Phillips, seconde guitare et Ted Harvey à la batterie. C’est une formule qui peut sembler originale, deux guitares une batterie, mais en fait les groupes qui tournaient à Chicago dans les années cinquante, soixante, dans les rues notamment, ils faisaient avec ça.
Les trois 33 tours de Hound Dog Taylor parus chez Alligator entre 1970 et 1975, « Hound Dog Taylor », « Natural Boogie » et « Beware Of The Dog », ont été réédités en CD. Avis aux amateurs, vous pouvez y aller, c’est que du bon !
4/ Les Swallows
On revient au rhythm and blues avec un groupe de doo wop, les Swallows. On peut noter qu’énormément de groupes de doo wop ont choisi des noms d’oiseaux. Je pense aux Larks (les alouettes), aux Robins (les rouges-gorges), aux Swallows donc (les hirondelles), mais il y a aussi les Flamingos (les flamants), les Crows (les corbeaux), les Penguins (les pingouins), les Pelicans ou encore les Jayhawks (les geais)…
A l’origine se trouvent quelques adolescents qui ont fondé un groupe les Oakaleers. Il y avait Lawrence Coxson, Irving Turner, Earl Hurley, Norris Bunky Mack. Ils sont devenus les Swallows en se joignant à Eddie Rich (ténor) et Frederick Johnson (baryton et guitare).
Ils sont parmi les premiers groupes de doo wop à avoir enregistré et à avoir eu du succès. Leur premier hit, c’est Will You Be Mine en 1951, numéro 9 au hit-parade rhythm and blues. L’année suivante, en 1952, c’est Beside You, numéro 10.
On écoute un morceau de 1958 enregistré chez Federal, Itchy Twitchy Feeling.
Les Swallows n’ont pus obtenu de succès national après 1952. Il se raconte néanmoins que certaines de leurs chansons, impeccables au niveau harmonie et orchestre, étaient trop osées pour être acceptées. Cela aurait notamment été le cas pour It Ain’t The Meat, It’s The Motion, Ce n’est pas la viande, c’est le mouvement.
Allez, les Swallows, c’était un bon groupe de doo wop ! Promis, on en réécoutera, notamment It Ain’t The Meat, It’s The Motion.
5/ Bea Booze
Et voici maintenant une chanteuse guitariste de blues, Bea Booze. Beatrice Booze est née en 1912 à Baltimore et elle est décédée en 1986.
Elle réalise son premier enregistrement en 1942 pour la marque Decca. Elle est surtout connue pour son interprétation du grand classique de Ma Rainey, See See Rider. Sa version, See See Rider Blues, parue en 1943, atteint la première place au hit-parade du rhythm and blues. On l’écoute. Bea Booze est accompagnée au piano par Sammy Price.
La voix, le piano, tout est sublime dans cette version. Dans les années quarante, Bea Booze virera au jazz. Elle se produira avec Andy Kirk et Fats Navarro. Elle a de nouveau enregistré avec Sammy Price en 1962, puis elle s’est retirée.
Bea Booze était incontestablement une grande chanteuse. Elle aurait pu faire une autre carrière, c’est clair. Elle a choisi le jazz plutôt que le rhythm and blues. Il y a des choix qui orientent dans la vie. Ce qui est sûr, c’est que sa version de See See Rider, même si on en apprécie beaucoup d’autres, de Lightnin’ Hopkins à Chuck Willis, reste comme la grande version classique de ce morceau inoubliable de Ma Rainey.
6/ Sammy Price
Nous venons de parler du pianiste Sammy Price comme accompagnateur de Bea Booze. Il était évidemment bien plus qu’un accompagnateur et nous allons parler maintenant de Sammy Price en tant qu’artiste vedette.
Sammy Price est né au Texas en 1908, il est mort en 1992. C’est un pianiste et un chef d’orchestre exceptionnel, qui se situe au carrefour du jazz, du boogie woogie et du jump blues. Il fait partie de cette cohorte de pianistes de Kansas City qui ont créé et développé le boogie woogie dans les années vingt, trente. Sammy Price fait partie des meilleurs.
Sammy Price est venu en France dès 1948 avec Milton Mezz Mezzrow. Il est revenu en 1957 et il a alors réalisé un enregistrement. On écoute un morceau de l’album « Sammy Price à Fontainebleau », Boogie A Bomb. Sammy Price est accompagné notamment par le trompettiste Emmet Berry et le bassiste George Pops Foster.
L’ambiance jump blues survoltée de ce morceau est assez extraordinaire. Tous les musiciens se déchaînent comme des dingues avec un talent fou. Sammy Price est vraiment l’un des meilleurs spécialistes du boogie woogie, capable de produire des morceaux très différents, sans donner l’impression de se répéter, comme cela peut parfois être le cas dans le genre.
7/ Joe Simon
On change de style. Place à la soul music avec Joe Simon ! Curieusement Joe Simon est moins connu que d’autres vedettes de la soul comme Sam Cooke ou Percy Mayfield alors qu’il a fait une carrière comparable. Entre 1964 et 1981, Joe Simon a en permanence un morceau classé au hit-parade. Et j’ai bien dit jusqu’en 1981, ce qui est loin d’être le cas pour tous les kings de la soul music.
Joe Simon est né en 1943 en Louisiane. Classiquement, il a commencé dans le gospel. Le groupe auquel il appartenait a enregistré un disque en 1955. C’est pour lui l’occasion de se faire repérer par un producteur et il a entamé ensuite une carrière solo. C’est en 1964 qu’il décroche son premier tube chez Vee-Jay, à Chicago, My Adorable One. Il récidive l’année suivante en 1965, toujours chez Vee-Jay, avec Let’s Do It Over, qui atteint la treizième place du classement rhythm and blues. On l’écoute.
La faillite de Vee-Jay n’a pas empêché Joe Simon d’enchaîner les succès pendant dix-sept ans. Je vais juste citer les trois qui ont atteint la première place du hit-parade : The Chokin Kind en 1969, Power Of Love en 1972 et Get Down, Get Down (Get On The Floor) en 1975. Evidemment, il a vendu plusieurs disques à plus d’un million d’exemplaires.
Vers la fin des années soixante-dix il se fait prédicateur évangéliste. Il a même sorti un album de gospel à la fin des années quatre-vingt dix, effectuant ainsi un retour aux sources.
Joe Simon, un grand nom de la soul music.
8/ Larry Dale
L’artiste suivant c’est Larry Dale, dont le nom sonne en français comme un mauvais jeu de mot genre Harry Cover ou Alonzo Bouduquai, mais Larry Dale n’était pas présent sur les champs de course : il faisait partie de la scène du blues à New-York dans les années cinquante, soixante.
Le vrai nom de Larry Dale est Ennis Lowery. Il est né au Texas en 1923 et il est mort en 2010. Larry Dale a commencé sa carrière de musicien professionnel en jouant de la guitare dans des orchestres de jazz. Dans les années cinquante, il tourne dans les clubs de New York avec le pianiste Bob Gaddy et il est musicien de studio.
C’est au tournant des années soixante qu’il se met à enregistrer sous on nom. On écoute Big Muddy enregistré en 1960.
Le blues de Chicago, c’est le blues du Delta avec l’amplification électrique. Cette formule a dominé le blues d’après-guerre de façon écrasante. Il ne faut pas en déduire que la scène de New York était pitoyable. Il y avait là nombre d’artistes brillants et inspirés : des pianistes comme Champion Jack Dupree, Bob Gaddy ; des harmonicistes comme Sonny Terry ou Buster Brown ; des guitaristes, Wild Jimmy Spruill, Mickey Baker, Sticks McGhee, et Larry Dale en faisait partie.
Contrairement à Chicago, New York n’a pas développé de style propre spécifique. New York a attiré des musiciens de la Côte Est mais le jeu de guitare en finger picking d’avant guerre ne se prêtait guère à ce que le public attendait dans les clubs dans les quarante, cinquante. Et c’est assez naturellement que le blues de New York s’est développé en intégrant des influences assez diversifiées issues du blues et du rhythm and blues.
9/ J.B. Lenoir
Retour à Chicago avec l’artiste suivant, le chanteur guitariste J.B. Lenoir.
J.B. Lenoir est né dans le Mississippi en 1929. Pour gagner sa vie, il sillonne le sud des Etats-Unis en se faisant cueilleur de coton, bûcheron, employé de chemin de fer. C’est en 1949 qu’il émigre à Chicago où il trouve un emploi dans une conserverie de viande. Il fréquente les clubs locaux à ses heures de loisir et avec l’aide de Big Bill Broonzy il peut jouer avec Roosevelt Sykes. Puis en 1950 il constitue un trio avec Sunnyland Slim et Alfred Wallace. A partir de 1951 il enregistre abondamment pour des marques diverses.
Il forme un nouveau groupe en 1954 et décroche un grand succès en 1955 avec Mama Talk To Your Daughter. On écoute ce morceau. J.B. Lenoir est au chant et à la guitare, Lorenzo Smith au saxo ténor, Joe Montgomery (le frère cadet de Little Brother Montgomery) au piano et Al Galvin à la batterie.
Ce morceau est devenu un standard du blues. J. B. Lenoir est l’un des premiers à avoir l’idée d’adjoindre des cuivres à un orchestre de Chicago blues. C’est une grande réussite. Comme quoi aussi toutes les influences finissent par se mélanger.
J.B. Lenoir a continué à se produire et à avoir du succès, avec sa voix aiguë et ses figures de basses élégantes à la guitare. Il participe à la tournée européenne de l’American Folk Blues Festival de 1965. Il est mort d’un accident de voiture le 1er avril 1967. Ca devait être un gars vraiment super sympa car tous les témoignages confirment qu’il était apprécié de tout le monde. En tout cas il nous a laissé plein de morceaux de grande qualité.
10/ Stray Cats
on termine l’émission avec les Stray Cats, vedettes au début des années quatre-vingt d’un étonnant rockabilly revival. Les revivals sont la concrétisation du mythe de l’éternel retour. Histoire de mode, histoire aussi de succès commercial sur fond de nostalgie. Il y avait eu le revival New Orleans initié par Hugues Panassié en 1938 qui avait remis à la mode Tommy Ladnier et Sidney Bechet ; on a abondamment parlé du blues revival des années soixante qui a permis de retrouver des bluesmen oubliés qui avaient enregistré une poignée de disques dans les années trente et qui a mis sur le devant de la scène le folk et la guitare acoustique. Il s’agit là du rockabilly revival, parti d’une vague californienne à la fin des années soixante-dix. Les Stray Cats ont été incontestablement le groupe emblématique de cette période. On écoute leur grand succès, Rock This Town, paru en 1981.
Brian Setzer, chant et guitare ; Slim Jim Phantom, batterie et Lee Rocker, contrebasse. Le succès de Rock This Town, assez incroyable au moment où triomphaient Boney M., Michael Jackson et autres rois du disco, mais néanmoins numéro 1 tout l’été 1981, fait pousser des groupes de rockabilly partout en Europe.
Cela ne durera pas et en 1984 le groupe des Stray Cats s’est séparé. N’empêche, les Stray Cats auront été une étoile filante qui aura illuminé la nuit qui s’est abattue sur le rock ‘n’ roll au début des années soixante.
Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE
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Merci pour votre visite & Bon Blues !!
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