HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme avec Bruno Blue Boy !
Séance 23
1/ Sleepy John Estes
On démarre l’émission avec du blues. Notre premier artiste est un chanteur guitariste, c’est Sleepy John Estes. Mais pourquoi donc l’a-t-on surnommé l’endormi ? Sans doute à cause de son style. Sa voix plaintive vient mourir à la fin de chaque phrase et l’effet de torpeur est renforcé par le contre-chant de l’harmonica ou de la mandoline. Certains ont pu dire qu’il ne chantait pas le blues mais qu’il le « pleurait ».
John Adam Estes est né dans le Tennessee en 1904 et il est mort en 1977. Tout au long des années trente, Sleepy John Estes a tourné dans la région de Memphis, tantôt en compagnie du joueur de mandoline Yank Rachell, tantôt avec l’harmoniciste Hammie Nixon. Ensemble, ils sont les créateurs d’un véritable style régional. En 1929 et 1930, ils ont pu enregistrer pour la firme Victor.
Ensuite Sleepy John Estes et Hammie Nixon poussent jusqu’à Chicago, où ils jouent dans les rues. De 1935 à 1941, Sleepy grave de nombreuses faces pour Decca puis Bluebird, la grande marque de Chicago de l’époque. Il remporte un vif succès dans le sud avec le morceau Someday Baby Blues. On l’écoute.
Sleepy John Estes est au chant et à la guitare, Hammie Nixon à l’harmonica.
Ce morceau, enregistré à Chicago en juillet 1935, est devenu un blues classique. Les deux compères, Sleepy et Hammie, ont continué leurs pérégrinations. Ils reviennent dans le sud, enregistrent de nouveau à Chicago en 1947. Peu de temps après, Sleepy John Estes qui avait perdu l’usage de l’œil gauche dans sa jeunesse suite à un match de football – américain, cela va de soi -, devient totalement aveugle. Il a vécu à Memphis pendant plus de dix ans dans des conditions misérables.
Heureusement il a été redécouvert en 1961 par un cinéaste et il a pu profiter pleinement du blues revival des années soixante. Il a pu alors faire des tournées, renouant son association avec Hammie Nixon et Yank Rachell. Il est notamment venu en Europe avec les tournées de l’American Folk Blues Festival de 1964 et 1966 et il a recommencé à enregistrer
Sleepy John Estes et Hammie Nixon ont joué un grand rôle dans l’histoire du blues. En premier lieu, ils ont fait partie des grandes figures de la scène de Memphis dans les années trente, à côté de Frank Stokes, le grand ancien, Jim Jackson, Memphis Minnie et les jug bands ; à l’époque on ne parlait pas de stars, mais pour le public noir ils en étaient. Tous ces artistes ont contribué à faire émerger le blues moderne et à jeter les bases d’une musique dont s’inspirera le futur rockabilly.
Ensuite leur influence indirecte a été considérable. C’est par exemple Hammie Nixon qui a enseigné l’harmonica à John Lee Sonny Boy Williamson, qui est l’un des principaux artisans du blues moderne de Chicago.
Oui, Sleepy John Estes a été une star qui a brillé par son originalité, son invention et son sens poétique. Puisse-t-elle continuer à briller longtemps grâce au disque et à la radio !
2/ Lonesome Sundown
On reste dans le blues, je vais vous faire patauger dans les marécages. Je vous emmène en Louisiane, le pays du swamp blues, le blues des marais. Ce qu’il faut éviter dans le coin, ce sont les alligators. La musique, vous pouvez y aller ! C’est super. Swamp blues, swamp pop, cajun, zydeco, jazz Nouvelle Orléans, piano rhythm and blues, tout ce que la Louisiane a produit, c’est du meilleur !
Notre artiste du jour, c’est Lonesome Sundown. Ce chanteur guitariste s’appelait en fait Cornelius Green. Il est né en Louisiane en 1928 et il est mort en 1995. Il a commencé sa carrière de musicien professionnel en 1955 en entrant dans l’orchestre de Clifton Chenier, le roi du zydeco. Il tient la seconde guitare, la première étant assurée par un autre bluesman, Phillip Walker. Comme quoi, vous voyez, il n’y a pas de frontière absolue entre les genres musicaux !
Lonesome Sundown quitte les Zydeco Ramblers de Chenier dès la fin de l’année et il adresse l’année suivante une démo – un enregistrement de démonstration – à J.D. Miller, le grand manitou du coin qui fait enregistrer les musiciens pour la marque Excello. Miller est emballé. C’est lui qui baptise Lonesome Sundown de son surnom et il publie un 45 tours. Lonesome Sundown réaliser a des enregistrements pour Miller pendant huit ans, jusqu’en 1964.
On écoute un morceau de cette période, You Know I Love You. Lonesome Sundown est au chant et à la guitare, Lazy Lester à l’harmonica, Guitar Gable à la guitare, Tal Miller au piano et Clarence Etienne à la batterie.
Morceau enregistré en 1957. Ce morceau est tiré d’un CD intitulé « Lonesome Sundown – I’m A Mojo Man » édité par Ace en 1994. Je le recommande aux amateurs.
Le problème de Lonesome Sundown, c’est qu’il n’est jamais parvenu à obtenir un hit au classement du rhythm and blues. Faute d’engagements, son orchestre est dissous et en 1965 il renonce à la musique. Et en voilà un de plus qui s’est fait prédicateur apostolique ! C’est assez courant chez les bluesmen : quand ils sont écœurés du fait que leurs efforts ne sont pas couronnés de succès, ils prennent le chemin de l’église !
Mais bon, il y en a qui reviennent à la musique après. Cela a été le cas de Lonesome Sundown qui a repris du service en 1977. Il a sorti un bon album, il a fait des tournées dans le monde entier. Mais les ventes ont été décevantes et il a arrêté pour de bon peu après.
Alors, ce type de parcours, c’est extrêmement frustrant. Il est évident que si Lonesome Sundown avait décroché un ou deux hits, il aurait fait une super carrière et on aurait eu droit à de nombreuses merveilles. C’est raté ! Dommage.
3/ Eddie C. Campbell
On enchaîne avec un troisième guitariste de blues, Eddie C. Campbell. Eddie C. Campbell est né en 1938 dans le Mississippi. Il a dix ans quand il arrive à Chicago. Il fait ses débuts de musicien professionnel en accompagnant des bluesmen comme Howlin’ Wolf, Little Walter ou Jimmy Reed.
Mais Eddie C. Campbell n’est pas qu’un sideman. Il sort un premier album, « King Of The Jungle », en 1977, chez une petite marque Mr Blues, mais le disque a été réédité par la suite par Rooster Blues. L’album King Of The Jungle est une grande réussite ; il a été salué unanimement par la critique.
On écoute un morceau de l’album intitulé Santa’s Messin With The Kid. Eddie C. Campbell au chant et à la guitare est remarquablement bien accompagné puisqu’il s’agit de Carey Bell à l’harmonica, Lafayette Leake au piano, Bob Stroger à la basse et Clifton James à la batterie.
Eddie C. Campbell a sorti d’autres albums par la suite. En 1984 il est venu en Europe. Il y est resté plus de dix ans, aux Pays-Bas et en Allemagne. Son dernier album date de 2012 et aux dernières nouvelles sa santé n’était pas florissante.
Eddie C. Campbell fait partie de cette génération de guitaristes de Chicago – Luther Allison, Magic Slim, Jimmy Dawkins…- qui ont renouvelé la scène de Chicago dans les années soixante-dix, dans la foulée de ceux de la vague du West Side, Magic Sam, Otis Rush, Buddy Guy. Il est l’un des derniers ; souhaitons qu’il résiste longtemps encore.
4/ Teddy Humphries
On change de style à présent, avec du rock ‘n’ roll. Nous allons parler à présent du chanteur pianiste Teddy Humphries. Autant dire que Teddy Humphries est un parfait inconnu, alors qu’il provient d’une famille de musiciens de Pittsburgh. L’un de ses cousins, batteur, avait travaillé avec Ray Charles.
Tout ce qu’on sait de Teddy Humphries, c’est qu’il est l’auteur de deux 45 tours pour la marque King : le premier en 1959, le second en 1961.
On écoute un morceau issu du premier single intitulé Guitar Pickin’ Fool.
Evidemment, un disque en 1959, puis en 1961, c’était un peu tard pour faire carrière dans le rock ‘n’ roll. Dommage ! Il savait y faire, le Teddy !
On peut trouver ce morceau, comme l’autre face du 45 tours, What Makes You So Tough, sur diverses compilations. Le morceau qu’on vient d’entendre est issu d’une compilation intitulée « King Rock ‘n’ Roll » éditée par Ace en 2003.
5/ Johnny Guitar Watson
On passe maintenant à un genre différent avec Johnny Guitar Watson. Bon, comme son surnom l’indique, c’est un guitariste. D’où vient le surnom d’ailleurs ? D’un film, avec Joan Crawford, « Johnny Guitar ». Il a flashé sur le film, il a gardé le surnom.
M. John Watson Jr, surnommé donc Johnny Guitar, est né en 1935 au Texas. Il commence sa carrière très jeune, dans le jump blues, fortement influencé par T-Bone Walker et Clarence Gatemouth Brown. Il commence à enregistrer en 1952, à dix-sept ans. Il remporte son premier succès avec Space Guitar en 1954.
On écoute un morceau de 1961, Looking Back.
Un mot sur les paroles. Des auditeurs m’ont demandé plus de traductions. Un gars croise une fille et que croyez vous qu’il advient ? Voilà ce qu’il dit :
« Je regardais en arrière
Pour voir si elle regardait en arrière
Pour voir si je la regardais en arrière. »
C’est pas subtil, ça ?
Johnny Guitar Watson n’a pas cessé d’évoluer durant trente ans. Il a joué du blues, du rock, de la soul, du funk. Sur scène, il jouait la provocation à outrance, avec des habits clinquants, des bagouses plein les doigts, des lunettes noirs mode surdimensionnées, en poussant des cris, bref le grand jeu.
On a dit que son morceau Telephone Bill de 1980 était une anticipation du rap, mais lui démentait. Je n’ai pas anticipé le rap, je l’ai inventé, disait-il.
Tel est le personnage qui meurt sur scène. Il s’effondre le 17 mai 1996. Ce garçon avait reçu sa première guitare à onze ans en échange de la promesse de ne pas jouer la musique du diable. Il n’a pas tenu sa promesse, ça c’est clair. Mais c’est heureux pour nous !
6/ Kinnie Morgan
L’artiste suivant est totalement inconnu, y compris pour les amateurs de blues et de rock ‘n ‘roll. C’est le genre d’artiste qui a dû enregistrer une session qui est restée sans suite. Il s’appelle Kinnie Morgan et il joue manifestement dans un style qui date de la même époque que le morceau de Johnny Guitar Watson qu’on vient d’entendre. C’est tout ce qu’on peut en dire.
Le morceau s’appelle We’re goin’ out to rock tonight. Allez, nous sortons pour le rock du soir !
Super morceau, super voix, super guitare et super mystère ! Ce morceau est tiré d’une compilation intitulée « Rare & Hot Singles ». et c’est vrai que les morceaux sont vraiment rares, la plupart d’artistes totalement inconnus à part deux ou trois. Comme plusieurs sont de bonne qualité, nous aurons l’occasion d’en entendre d’autres !
7/ Mississippi Fred McDowell
Après ce passage dans l’obscurité, nous retrouvons de la lumière avec une valeur sûre, une star comme je disais au début de l’émission. Il s’agit de Mississippi Fred McDowell que nous connaissons déjà. Nous avons écouté la version originale de You Got To Move, qui avait fait l’objet d’une reprise célèbre par les Rolling Stones. Nous avons aussi eu l’occasion de l’entendre lors de la séance consacrée aux séances d’enregistrement de George Mitchell dans un morceau qui fait partie des classiques, Shake ‘Em On Down.
Ce soir nous allons écouter un morceau extrait d’un album paru en 1969 « Fred McDowell & His Blues Boys » chez Arhoolie, réédité en 1995 sous le titre explicite « This Ain’t No Rock ‘N’ Roll », Ceci n’est pas du rock ‘n’ roll. Pour les producteurs, c’est un peu un clin d’œil vis-à-vis d’un certain public. On notera que l’utilisation de la guitare électrique en 1969 n’est pas anodine. C’était un signe des temps : le blues revival commencé au début des années soixante, qui avait remis la guitare acoustique à l’honneur pour plaire au public folk, entamait son dernier virage alors que le blues boom blanc était lui au zénith. Les guitares hurlantes revenaient à la mode !
Quant à Fred McDowell, au lieu d’être seul avec sa guitare comme il avait fait pendant quelques années, il est entouré par un groupe et du coup, c’est différent. Je ne vous donne pas le nom du morceau que nous allons écouter. Je pense que vous le trouverez facilement. Mississippi Fred McDowell au chant et à la guitare est accompagné de Mike Russo, seconde guitare, John Kahn à la basse et Bob Jones à la batterie.
Vous aurez reconnu When The Saints Go Marchin’ In, le célèbre spiritual. On a ici un bon exemple de mélange entre musique sacrée et musique profane, entre la musique de Dieu et celle du diable. De même que certains chanteurs de gospel ne rechignent pas à interpréter des blues, inversement il n’est pas rare que des bluesmen incluent des spirituals dans leur répertoire.
La façon dont Fred McDowell fait sonner sa guitare et ce truc qu’ont parfois les Noirs, aussi bien dans le jazz que dans le blues, de ne pas finir leurs phrases et ici c’est souvent la guitare qui achève le début de la phrase chantée, tout cela est absolument stupéfiant. Fred McDowell, c’est vraiment un grand ! C’est d’ailleurs un pur produit du blues revival : il avait été découvert en 1959, soit dix ans avant l’album « Fred McDowell & His Blues Boys », par l’infatigable ethnomusicologue Alan Lomax. Gloire à lui !
Grâce à lui en effet, on peut entendre et réentendre Mississippi Fred McDowell, un bluesman d’exception comme on n’en fait plus.
8/ Al Dexter
Voici maintenant de la country music avec le chanteur compositeur Al Dexter. Son vrai nom est Clarence Albert Poindexter. Il est né au Texas en 1905 et il est mort en 1984.
Dans les années trente, il tient un bar et il contribue à populariser la musique country. Il forme un groupe, les Texas Troopers. C’est en 1936 qu’il réalise son premier enregistrement pour ARC Records, Honky Tonk Blues. Mais c’est en 1943 qu’il sort le morceau qui le fait entrer dans l’histoire, Pistol Packin’ Mama. Le morceau atteint la première place au hit-parade de la country et il s’en vend trois millions d’exemplaires. On l’écoute.
Enorme hit, devenu un grand standard de country et de rock ‘n’ roll. Mais Al Dexter ne s’est pas arrêté là, loin s’en faut. Entre 1944 et 1948, il place sept morceaux en tête du hit parade country et quantité d’autres dans les meilleures places.
Un morceau comme So Long Pal est resté 13 semaines numéro 1 ; Guitar Polka, en 1946, presque quatre mois ! Al Dexter est crédité de pas moins de 12 disques d’or !
Bref, Al Dexter a fait une carrière sensationnelle. Il est l’artiste country le plus populaire à la fin de la guerre. C’est un très grand nom de la country music.
9/ Joe Liggins
D’un grand artiste à un autre, on passe au rhythm and blues avec le chef d’orchestre pianiste chanteur Joe Liggins. Le nom de Joe Liggins reste associé à son plus grand succès, The Honeydripper, qui donnera même le nom de son groupe Joe Liggins and His Honeydrippers. En réalité l’œuvre de Joe Liggins a une tout autre dimension.
Joseph Christopher Jr est né Theodoro Elliott. Il a pris par la suite le nom de son beau-père, Liggins. Il est né en Oklahoma en 1916. Sa famille s’installe en 1939 à Los Angeles.
The Honeydripper atteint en 1945 la première place au hit-parade du rhythm and blues et il reste 18 semaines numéro 1. Encore aujourd’hui, c’est le record, codétenu avec Choo Choo Ch’boogie de Louis Jordan. On écoute The Honeydripper.
Joe Liggins a obtenu bien d’autres succès après The Honeydripper : Left A Good Deal In Mobile, numéro deux au hit-parade R&B en 1945 ; Got A Right To Cry, numéro trois en 1946 ; Tanya, numéro trois en 1946, Blow, Mr Jackson, numéro trois en 1947.
Il obtient même un nouveau super hit, numéro 1 pendant treize semaine, Pink Champagne.
Le succès a décru au cours des années cinquante mais Joe Liggins a continué à se produire jusqu’à sa mort en 1987. C’est l’un des grands créateurs du rhythm and blues et de ce genre qu’on a appelé le jump blues.
10/ Lynn August
On termine l’émission avec du zydeco. Voici Lynn August, né en 1948 à Lafayette, qu’on peut qualifier de capitale du pays cajun. Lynn August a perdu la vue dans son enfance.
Il ne s’est pas tourné tout de suite vers le zydeco. Il joue pendant quelques années avec Esquerita. Il sort son premier single en 1966, Little Red Rooster. Il se produit ensuite essentiellement dans des clubs.
C’est en 1988 qu’il opte pour le zydeco. Il faut dire que la popularité du zydeco, relativement faible dans les années soixante, s’est beaucoup accrue. Il sort alors un album intitulé « Zydeco Groove ». Il en sortira beaucoup d’autres par la suite. On peut citer plus spécialement « Sauce Piquante », paru en 1993.
Nous allons écouter un morceau tiré d’un album de 1999, « Creole People ». Le morceau s’appelle Going Back To Big Mamon.
Le dernier album de Lynn August est paru en 2012.
Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE
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Merci pour votre visite & Bon Blues !!
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