HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !
Séance 24
1/ Blind Willie Johnson
On commence l’émission avec un « guitar evangelist », Blind Willie Johnson. Les « guitar evangelists », souvent aveugles, comme Blind Gary Davis ou Blind Joe Taggart, ne se distinguent des bluesmen que par le caractère sacré de leur répertoire. Le blues, c’est la musique du diable. Le gospel, c’est la musique du ciel.
Willie Johnson est né au Texas vers 1902. La date de sa naissance n’est pas connue avec exactitude. La seconde femme de son père lui balance du vitriol à la figure alors qu’il n’est âgé que de sept ans. Il en reste aveugle.
Blind Willie Johnson est un chanteur de rue. Il se produit du côté de Dallas en compagnie de sa femme. Il réalise un premier enregistrement pour Columbia en 1927. Ca marche, du coup il peut réaliser d’autres sessions et entre 1927 et 1930, il grave trente morceaux dont beaucoup sont des chefs d’œuvre.
On écoute l’un d’eux, Praise God I’m Satisfied.
Blind Willie Johnson, c’est une voix incroyablement basse et rocailleuse ; c’est aussi un superbe guitariste qui utilise avec virtuosité un canif de poche pour produire un bottleneck saisissant.
Après 1930, Blind Willie Johnson subsiste en jouant dans les rues. Sa fin est dramatique. Sa maison est détruite dans un incendie. Il est atteint d’une pneumonie. L’hôpital local refuse de le prendre en charge car il n’a pas de quoi payer. Et il en meurt.
Blind Willie Johnson est un immense artiste qui a eu une influence considérable sur la génération des guitaristes folk des années soixante. L’un de ses morceaux qu’on aura bien sûr l’occasion d’écouter lors d’une prochaine émission, Dark Was The Night, a été choisi parmi d’autres chefs d’œuvre pour être emporté dans le satellite Voyager comme témoignage de la culture humaine, au cas où le satellite pourrait être recueilli par des extra-terrestres.
2/ Willie Egan
Après cette grande figure des guitar evangelists d’avant guerre, nous passons maintenant à un pianiste bien moins connu, Willie Egan.
Willie Lee Egan est né en 1933 en Louisiane. Il a enregistré sous des noms divers, comme cela se pratiquait souvent à l’époque, pour contourner les contrats d’exclusivité avec les maisons de disques. C’est ainsi qu’on trouve des morceaux de lui sous le nom de Egans, avec un s à la fin, ou de Eggins.
A l’âge de neuf ans, Willie Egan part vivre chez sa grand-mère à Los Angeles. Il y avait un vieux piano qui traînait par là et c’est en essayant de reproduire ce qu’il entendait à la radio, avec l’aide d’un voisin, que Willie Egan va devenir un super pianiste de boogie woogie.
Il réalise son premier enregistrement pour la marque Elko en 1949. Mais c’est en 1954 qu’il décroche un succès avec Wow Wow, pour la marque Vita/Mambo. On écoute l’un de ses titres de 1954 pour Vita/Mambo, Don’t Know Where She Went où la guitare est tenue par Lloyd Rowe.
On est en 1954 et ce morceau de Willie Egan peut clairement être classé dans le rock ‘n’ roll. Ce n’est guère étonnant, dans la mesure où la formule de base, boogie woogie rapide, plus chant, plus soutien rythmique, conduit naturellement au rock ‘n’ roll. Les pianistes de la côte Ouest ont joué un rôle dans cette affaire. Et Willie Egan, en s’inspirant d’Amos Milburn, de Hadda Brooks, de Camille Howard, y a pris sa part.
Willie Egan a continué à enregistrer. En 1958, il obtient même un deuxième succès avec une reprise de Rock ‘n’ roll Fever, accompagné par l’orchestre de Johnny Otis. Willie Egan enregistre encore en 1963 puis il se retire pendant vingt ans. Il a déclaré avoir été écœuré par les jalousies et tout ce qu’il y avait à faire pour maintenir un groupe.
Il réapparaît en 1983. Il fait un concert avec Chuck Higgins et Big Jay McNeely. Il est mort en 2004 à Los Angeles.
Bien que son nom ait plongé dans l’obscurité, je considère que Willie Egan est un pianiste important pour la transition entre le rhythm and blues et le rock ‘n’ roll.
3/ Arthur Williams
Et on reste dans le blues avec l’harmoniciste Arthur Williams. Arthur Lee Oscar Williams est né dans le Mississippi en 1937.
Dans la première partie de sa carrière de musicien professionnel dans les années cinquante, il accompagne à Chicago des musiciens comme Elmore James ou Eddie Taylor. Puis il revient dans le Mississippi en 1958, démarche peu courante, où il joue avec le guitariste Frank Frost et le batteur Sam Carr. Il est présent sous le nom d’Oscar Williams sur les enregistrements réalisés alors, notamment sur Harpin’ On It, le succès de Frank Frost.
Il entame ensuite une carrière solo sous le nom d’Arthur Williams et réalise en 1972 des enregistrements pour Fedora et Rooster. On écoute un morceau de cette période paru chez Fedora, Ain’t Goin’ Back To East St. Louis.
Ce morceau est disponible sur le CD « Harpin’ On It » édité par Fedora en 1999. Arthur Williams a continué à jouer. Dans les années quatre-vingt-dix, il était associé avec Big Bad Smitty.
Arthur Williams est un accompagnateur solide et sa carrière solo est de très bonne tenue. Ses morceaux sont disponibles en CD. Outre celui que j’ai cité, il y a également le CD Fedora de 2000 « Ain’t Goin’ Down » et le CD Rooster de 2001 « Midnight Blue ».
4/ Ted Daffan
Cap sur la country à présent avec le chanteur Ted Daffan. Ted Daffan est né en Louisiane en 1912, il est mort en 1996.
C’est Milton Brown, un roi du western swing dont nous avons déjà parlé, qui pousse Ted Daffan sur la scène. Il a l’idée géniale en 1939 de sortir un morceau, Truck Drivers Blues, le blues des camionneurs, qui deviendra une sorte d’hymne pour les chauffeurs routiers. Il avait remarqué que la première chose que faisait un camionneur en entrant dans un bar, c’était de mettre une pièce dans le juke box. Truck Drivers Blues devient la chanson de l’année 1939, vendue à plus de cent mille exemplaires.
Ted Daffan ne s’arrête pas là. Il forme un groupe, Ted Daffan and The Texans, qui produit une série de hits pendant plusieurs années.
On écoute l’un de ces hits, énorme succès en 1943 avec plus d’un million d’exemplaires vendus, Born To Lose, né pour perdre.
Ray Charles a repris Born To Lose en 1962 et il en a fait un super hit. Ted Daffan a obtenu de nombreux succès : Worried Mind, Those Blue Eyes Are Not Shining Anymore, She Goes The Other Way, No Letter Today.
Ted Daffan a quitté la scène dans les années soixante. Il a fondé une maison d’édition musicale avec un autre chanteur de country music, Hank Snow.
Ted Daffan n’était pas né pour perdre. Il ne fut certainement pas un loser de la country, mais l’un de ses grands noms.
5/ Luther Johnson Jr.
Retour au blues à présent avec le guitariste Luther Johnson Jr. Attention, il y a deux guitaristes de blues du nom de Luther Johnson, il ne faut pas les confondre ! L’un d’eux s’appelait de son vrai nom Lucius Brinson et il est mort en 1976. Celui dont on va parler maintenant s’appelait bien Luther Johnson et il avait pris le surnom de Guitar Junior.
Luther Johnson Jr est né en 1939 dans le Mississippi et il a commencé dans le gospel. Il s’est installé à Chicago en 1955 et il s’est rapidement fait engager comme chanteur et danseur. Après un séjour à Saint Louis, il travaille pendant deux ans avec Magic Sam puis avec Bobby Rush. En 1965 il forme son propre groupe. Il enregistre son premier single pour Big Beat en 1972. L’année suivante il entre dans l’orchestre de Muddy Waters.
C’est à l’occasion d’une tournée européenne de l’orchestre de Muddy Waters en 1976, qu’il réalise une session d’enregistrement sous son propre nom. On va écouter un morceau issu de cette session et je dis cela avec un petit pincement au cœur car cela me rappelle le premier concert de blues auquel j’ai assisté : c’était l’orchestre de Muddy Waters, cela se passait à la Halle aux Grains à Toulouse en 1976 et c’est là que j’ai découvert le guitariste leader qui était en même temps le chanteur sur pas mal de morceaux, Luther Johnson Jr.
On écoute Little Queenie, reprise d’un morceau célèbre de Chuck Berry. Luther Johnson Jr, à la guitare et au chant est accompagné de Jerry Portnoy à l’harmonica, de Pinetop Willie Perkins au piano, de Bob Margolin à la seconde guitare, de Calvin Jones à la basse et de Willie Smith à la batterie. Je peux vous assurer que lorsqu’ils ont balancé ce morceau, la Halle aux Grains était en délire.
Luther Johnson Jr est resté dans l’orchestre de Muddy Waters jusqu’en 1980. Il est ensuite parti pour la Côte Est. Il a fondé un groupe, les Magic Rockers. Il a sorti plusieurs albums, dont trois pour la marque Telarc Records. Le dernier est paru en 2001.
Aux dernières nouvelles Luther Johnson Jr vit toujours, il est actuellement en Floride.
6/ U.P. Wilson
L’artiste suivant est un autre guitariste de blues, U.P. Wilson. Huary Perry Wilson, parfois surnommé Texas Tornado, est né en 1934 en Louisiane. Sa famille a déménagé très jeune au Texas.
U.P. Wilson a fait de la tôle en 1967, 1968, à cause de la coke. Il tourne à Fort Worth, au Texas. Il est concierge dans une école le jour, il joue dans des clubs la nuit. On retrouve souvent ce genre de double vie chez les bluesmen, parce qu’il est difficile de gagner sa croûte avec la musique.
C’est en 1987 qu’ont lieu les premiers enregistrements en solo de U.P. Wilson. Il rejoint ensuite un groupe, les Amants, avec le chanteur Robert Ealey. Et puis il va sortir toute une série d’albums intéressants.
On va écouter un morceau extrait du premier album de U.P. Wilson chez JSP Records, paru en 1994 « Boogie Boy », sous-titré « The Texas Guitar Tornado Returns ! », la guitare tornade du Texas revient. Le morceau porte tout simplement le nom de l’album, Boogie Boy.
U.P. Wilson, à la guitare et au chant, est accompagné par Johnny Coranado, à la guitare rythmique, Pat Trimble à la basse, Ronnie Wilson aux claviers et Joe Coranado à la batterie.
Boogie Boy, du CD du même nom paru chez JSP. U.P. Wilson a sorti 5 CD en tout chez JSP Records et d’autres pour différentes marques.
U.P. Wilson ne fait certainement pas partie des bluesmen de premier plan, mais c’était tout de même un excellent guitariste, bien représentatif du Texas.
7/ Irma Thomas
Nous allons maintenant avoir le plaisir d’écouter une chanteuse, et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit d’Irma Thomas ! Cette dernière est née Irma Lee en Louisiane en 1941. Elle a pris par la suite comme nom de scène celui d’un de ses ex maris. Elle s’est essayée à plusieurs genres, blues soul, funk ; mais elle est surtout connue comme chanteuse de soul music.
Elle a commencé dans le gospel. Son premier single sort en 1959 chez la marque Ron. C’est un morceau de rhythm and blues intitulé Dont Mess With My Man. On l’écoute.
Après Don’t Mess With My Man, elle passe chez Minit, une petite marque qui sera rachetée par Imperial. A partir de 1964, Irma Thomas enchaîne les succès : With Someone Would Care, Breakaway, Anyone Who Knows What Love Is (Will Understand), Time Is On My Side (qui sera repris par les Rolling Stones). Tous ces morceaux sont classés au hit-parade pop.
Seulement voilà, Irma Thomas ne décrochera pas de hit comme Aretha Franklin ou Etta James. Le succès décline à la fin des années soixante. Elle enregistre pour Chess. Elle parvient encore à placer un morceau au hit-parade rhythm and blues. Elle enregistre ensuite pour de petits labels. Au début des années 1980 elle achète un club à la Nouvelle Orléans et se retire.
Elle refait surface en 1991. Elle se met de nouveau à enregistrer et elle sort des albums. Le dernier est paru en 2014. Aux dernières nouvelles elle était toujours active.
Irma Thomas, c’est une super chanteuse à laquelle il a juste manqué un léger coup de pouce. Elle aurait tout à fait pu devenir une star, comme Diana Ross ou Dionne Warwick.
8/ Bobby Lee Trammell
Place maintenant au rock ‘n’ roll. Allez, ça va déménager avec le chanteur Bobby Lee Trammell ! Bobby Lee Trammell est né en 1934 dans une ferme dans l’Arkansas. Ses parents sont cultivateurs de coton et musiciens.
Après avoir vainement tenté sa chance auprès de Sam Phillips, le producteur de la maison Sun, il déménage en Californie. Il se met alors à enregistrer pour de petits labels. C’est en 1958 qu’il sort le morceau pour lequel il est connu, Shirley Lee. On l’écoute. Bobby Lee Trammell au chant est entouré de musiciens de studio, James Burton à la guitare et James Kirkland à la basse.
Voilà du rockabilly sauvage, agressif ! Le disque se vend bien. Tommy Lee Trammell sort un deuxième single, sans succès. Il revient alors dans l’Arkansas et continue à enregistrer entre 1960 et 1968.
Il a une réputation exécrable. Il a cassé le piano de Jerry Lee Lewis et depuis se serait fait blacklisté un peu partout. Dans les années soixante-dix, il se tourne vers la country. Ca ne marche pas plus fort. Début quatre-vingt, il profite de la vague de rockabilly revival initiée par les Stray Cats en Europe. Et pour finir, il se lancera dans la politique. Il est mort en 2008.
Bobby Lee Trammell ne fait pas partie des stars du rockabilly, mais Shirley Lee c’est une bonne chanson.
9/ Little Walter
Après ce détour par un chanteur obscur de rockabilly, je vous propose un retour à une valeur sûre du blues avec l’harmoniciste Little Walter.
Nous connaissons déjà Little Walter, Marion Walter Jacobs de son vrai nom, pour avoir entendu le morceau My Babe dans une émission précédente. Little Walter a joué dans l’orchestre de Muddy Waters, a placé en 1952 un morceau, Juke, en tête du hit-parade du rhythm and blues. Il a ensuite accumulé les succès pendant plusieurs années. Parmi ces succès, il y a Mean Old World que nous allons écouter. Little Walter au chant et à l’harmonica est accompagné par Louis et Dave Myers aux guitares et Fred Below à la batterie.
Il n’y a pas de mot pour décrire la profondeur du style de Little Walter à l’harmonica. Il a d’ailleurs influencé tous ceux qui sont venus après lui. C’est vraiment un maître pour vous coller le frisson. Je considère le morceau qu’on vient d’entendre comme un des sommets du blues de Chicago.
Little Walter fait partie du Top Ten du blues, de cette dizaine d’artistes qui ont dominé le blues d’après-guerre. Il est avec John Lee Sonny Boy Williamson et Muddy Waters l’un des artisans du Chicago blues moderne. Il est l’auteur d’un grand nombre de standards et puis surtout c’est un génie de l’harmonica.
Dommage qu’il soit mort brutalement. Il est mort à la suite d’une bagarre de rue à Chicago en 1968. Et comme il n’est pas le seul – je viens d’évoquer John Lee Sonny Boy Williamson ; lui s’est fait assassiner en 1948…-, cela veut sans doute dire que la réputation de violence à Chicago n’est pas totalement usurpée, notamment pour ceux qui vivent la nuit, comme les musiciens de blues dans les clubs…
Mais bien sûr, on n’oublie pas le petit Walter et on en réécoutera, c’est promis !
10/ Kid Thomas
On va terminer l’émission avec du « wild » extrême, de la musique sauvage, histoire de détromper ceux qui s’imaginent que le blues n’est qu’une musique languissante et plaintive. Ceux-là se trompent évidemment lourdement ! Celui qui va se charger de leur ouvrir les yeux et les oreilles, c’est Kid Thomas !
Attention ! Ne pas confondre notre Kid Thomas, qui joue du blues, voire du rock ‘n’ roll, avec le trompettiste de jazz Kid Thomas Valentine. Notre Kid Thomas est né en 1934 dans le Mississippi sous le nom de Louis Thomas Watts. Sa famille emménage à Chicago alors qu’il n’est âgé que de six ans.
Il s’initie à la batterie puis à l’harmonica. Il fréquente Little Walter et Junior Wells, grâce auxquels il perfectionne sa technique. Il joue ensuite avec James Cotton et se produit dans des clubs, parfois avec Muddy Waters, Eddie Boyd ou Bo Diddley. C’est en 1957 qu’il sort son premier 45 tours chez Federal. En 1958 il se fixe à Los Angeles.
En 1959, il sort un morceau d’anthologie, complètement déjanté, pour un petit label, Transcontinental, Rockin’ This Joint Tonite (tonite écrit tonite et non tonight).
On ne sait pas qui accompagne Kid Thomas dans ce morceau qui a indiscutablement laissé une impression profonde sur des groupes de rock pop tels que Ten Years After, Mountain, Led Zeppelin et sur les premiers groupes de hard rock ou de heavy metal. On ne répétera jamais assez que le blues est la matrice de quasiment toute la musique qui a émergé dans la seconde moitié du vingtième siècle.
Kid Thomas a enregistré plusieurs singles sous le nom de Tommy Louis. En 1969, alors qu’il est au volant, il renverse un jeune garçon qui n’en réchappe pas. Le père du garçon l’a assassiné à la sortie du palais de justice le jour du procès. Une fin tragique de plus pour un bluesman de plus.
Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :
https://www.radio-transparence.org/
Merci pour votre visite & Bon Blues !!
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