HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !
Séance 34
1/ Robert Johnson
On commence l’émission avec Robert Johnson, une figure légendaire du blues, né en 1911, mort en 1938. Nous avons déjà évoqué Robert Johnson dans Hot Ariège, un personnage fascinant, dont on dit qu’il aurait vendu son âme au diable en se rendant de nuit à un certain carrefour, un être tourmenté, instable, qui cherchait un peu trop d’affection chez les femmes des autres. Son mentor, pionnier du blues du Delta, l’immense Son House, l’aurait dit-on mis en garde contre ce penchant dangereux, surtout dans le monde dans lequel vivaient les bluesmen à l’époque. Et la vie de Robert Johnson s’est arrêtée à 27 ans, empoisonné par un mari jaloux.
Remarqué par un agent recruteur de la compagnie ARC Vocalion, Robert Johnson a enregistré 29 faces au Texas pour cette compagnie en deux séances d’enregistrement : la première en 1936 dans une chambre d’hôtel à San Antonio, la seconde en 1937 à Dallas.
On écoute, que dis-je ?, on déguste la seconde prise de Come On In My Kitchen.
« Tu ferais mieux de venir dans ma cuisine, il va pleuvoir dehors. » C’est une histoire de femme volée à son meilleur ami qui l’a reprise et qui ne reviendra pas.
29 morceaux, voilà ce que nous a laissé Robert Johnson ! 29 morceaux, c’est avec cela qu’il s’est bâti une réputation extraordinaire déjà de son vivant et qu’il est entré dans l’histoire du blues. Il faut dire que ces 29 morceaux sont exceptionnels. Un chant farouche, une intensité émotionnelle incroyable, des basses ambulantes vigoureuses, un jeu de bottleneck impressionnant ; ajoutez à ces ingrédients une touche de poésie sublime et vous aurez la recette de Robert Johnson pour changer l’histoire du blues ! Tous les grands noms du blues de Chicago de l’après-guerre, de Muddy Waters à Elmore James en passant par Howlin’ Wolf, sont les héritiers de Robert Johnson.
2/ Koko Taylor
Et voici du blues encore, mais du blues d’après-guerre cette fois, avec une chanteuse, Koko Taylor. Son vrai nom est Cora Walton, elle est née en 1928 à Memphis et elle est décédée en 2009.
Elle commence en chantant du gospel à l’église. Elle se fixe à Chicago en 1953 et fréquente les clubs de blues au début des années soixante. Elle devient la protégée du pape du blues de Chicago à l’époque, Willie Dixon qui lui obtient en 1963 un enregistrement pour un petit label, USA. L’année suivante, en 1964, c’est plus sérieux, elle signe chez Chess, la grande maison du blues à Chicago (avec sa concurrente Vee-Jay).
On écoute un de ses premiers enregistrements, en 1964 : What Kind Of Man Is This ?. Elle est accompagnée par la crème des musiciens de Chicago : Big Walter Horton à l’harmonica, Lafayette Leake au piano, Buddy Guy et Robert Nighthawk à la guitare, Jack Myers à la basse et Clifton James à la batterie.
En 1965, Koko Taylor décroche un hit avec Wang Dang Doodle, une reprise d’un morceau de Howlin’ Wolf, qui atteint la quatrième place au Billboard rhythm and blues et se vend à un million d’exemplaires.
Koko Taylor se fait alors connaître par des tournées dans les Etats-Unis. Elle participe également à la tournée de l’American Folk Blues Festival de 1967, avec Hound Dog Taylor et Little Walter.
En 1975, elle signe chez Alligator chez lequel elle sortira neuf albums. On la voit apparaître dans le film de John Landis Blues Brothers 2000, la suite du premier Blues Brothers. Elle ouvre un club de blues qui tournera une dizaine d’années. Son dernier album est sorti en 2007.
Koko Taylor est l’une des rares chanteuses de blues pur à avoir émergé après-guerre. Son style rageur colle à merveille au blues de Chicago. Dommage peut-être qu’elle utilise un peu trop le « growl » vocal.
3/ Eddie Hope
Et voici du blues encore, dans le style Chicago. L’auteur est totalement inconnu, il s’appelle Eddie Hope et il a sorti un 45 tours en 1956 sur un petit label, Marlin. On écoute l’un de ces morceaux, A Fool No more.
En fait, le disque vinyl indique comme interprète Eddie Hope & The Mannish Boys. Mais qui était-ce ? Mystère. En tout cas, c’est du bon Chicago blues.
D’ailleurs la compilation d’où ce morceau est tiré est elle-même excellente. On y trouve d’ailleurs l’autre face du 45 tours d’Eddie Hope, Lost Child. Et on y trouve aussi quantité de bluesmen connus ou moins connus, mais tous les morceaux sont au top. Le CD s’appelle « Gonna Rock The Blues », il est paru chef Official en 1995, il est apparemment toujours disponible. Je le recommande donc. Il existe d’ailleurs un deuxième CD intitulé « Gonna Rock The Blues Again », toujours chef Official, tout aussi recommandable.
4/ Mahalia Jackson
Nous allons maintenant parler d’une grande dame du gospel, Mahalia Jackson. Elle est née en 1911 à La Nouvelle Orléans et elle est décédée en 1972.
A l’âge de sept ans, elle travaille comme bonne dans des familles blanches. En 1927 elle rejoint une tante à Chicago et se joint aux Johnson Gospel Singers, un des premiers groupes mixtes de l’époque. Jusqu’en 1935 elle est ouvrière et domestique tout en fréquentant le monde du gospel. Elle fait la connaissance de Thomas Dorsey, ancien chanteur de blues partenaire de Tampa Red devenu un grand promoteur du gospel, qui l’accompagne au piano pendant une dizaine d’années.
Elle réalise ses premiers enregistrements pour la compagnie Decca en 1937 : quatre faces qui ne défraient pas la chronique. Elle ne reprend le chemin des studios qu’en 1946 pour la firme Apollo. C’est l’année suivante qu’elle décroche le succès avec Move On Up A Little Higher qui se vend rapidement à plus d’un million d’exemplaires. C’est le morceau qu’on écoute.
1947, c’est le décollage. Mahalia Jackson chante dans un stade de football, elle se produit au Carnegie Hall, elle fait une tournée européenne. Elle signe un contrat chez CBS en 1954.
Elle devient alors une espèce d’icône. Elle chante à la maison Blanche pour les funérailles de Kennedy. Elle participe à la marche pour les droits civiques à Washington le 28 août 1963 où Martin Luther King a pris la parole et elle chante aux funérailles de ce dernier.
Quoi qu’on pense de la religion, Mahalia Jackson, qui est considérée comme la reine du gospel, incarne la fierté et la dignité des Noirs des Etats-Unis.
5/ Albert Ammons &Pete Johnson
Et voici maintenant un genre qui appartient au blues et au jazz, le boogie-woogie. Nous avons déjà parlé dans Hot Ariège de celui que je considère comme le meilleur interprète de ce style au piano, Albert Ammons, même si d’autres, comme Pete Johnson ou Jimmy Yancey, pourraient contester cette appréciation. Mais en fait qui pourrait nier que la puissance des basses ambulantes d’Albert Ammons est irrésistible et inégalée ? Et quand les deux meilleurs, Albert Ammons et Pete Johnson réunissent leur talent, le résultat est forcément un chef d’œuvre.
La preuve par le document : on écoute un morceau intitulé Sixth Avenue Express.
La puissance d’Ammons et l’inventivité de Johnson, quel régal !
Ce morceau a été enregistré à New-York en 1941. Albert Ammons et Pete Johnson étaient accompagnés à la batterie par James F. Hoskins. Ce morceau figure dans une quantité innombrable de compilations dédiées au boogie-woogie.
6/ Tom James
Et voici maintenant un tout autre style qui présente la même caractéristique de se situer à la jonction de deux genres, la country et le rockabilly. Nous allons écouter un chanteur guitariste du nom de Tom James.
Tom James, c’est un peu comme Eddie Hope le bluesman dont on a parlé tout à l’heure, on ne sait pas grand chose de lui à part sa discographie. Il a commencé à enregistrer quatre titres en 1954 chez RCA Victor, apparemment à Nashville.
La seconde session a lieu en 1957 (ou en 1958, la date n’est pas connue avec exactitude), à Nashville, pour le label Klix. C’est cette session qui nous intéresse. Il enregistre un seul 45 tours, avec sur la face A Track Down Baby, qu’on écoutera dans une autre émission, et sur la face B Hey Baby, qu’on écoute tout de suite.
Après la session pour Klix, Tom James enregistre en 1958 une session pour une autre marque de Nashville, Pleasant Valley, dont il sort un 45 tours.
Enfin, dans les années soixante-dix, Tom James a enregistré dans un registre plus country que rockabilly une session pour une marque qui était peut-être basée à Nashville, ce n’est pas sûr, Country Sound.
Et voilà, c’est tout ce qu’on sait sur Tom James. Ses morceaux pour le label Klix, dont Hey Baby qu’on a entendu, figurent sur le volume 5 du coffret intitulé « Rock-a-Billy Cowboys » édité par The Intense Media. Le coffret contient 10 CD, soit 250 morceaux en tout, excellents. Le titre du coffret est explicite : les morceaux font ressortir le lien très fort entre country et rockabilly.
7/ Tiny Bradshaw
Place maintenant au rhythm and blues avec le chanteur, compositeur, pianiste et batteur Tiny Bradshaw. Il est né en 1905 dans l’Ohio et il est mort en 1958.
En 1932, Tiny Bradshaw se fixe à New-York, où il joue de la batterie dans un groupe de jazz. C’est en 1934 qu’il forme son propre groupe avec lequel il enregistre 8 titres, toujours jazz. Il ne reprend les enregistrements que dix ans plus tard, en 1944, chez le label Manor et cette fois dans le style rhythm and blues. En 1947 il signe chez Savoy puis en 1949, chez King.
Il reste chez King entre 1949 et 1955, c’est sa meilleure période. Il obtient un premier succès en 1950 avec Well Oh Well qui se classe numéro 2 au Billboard rhythm and blues. La même année, I’m Going To Have Myself A Ball, se classe en cinquième position. L’année suivante, en 1951, il récidive avec Walkin’ The Chalk Line, numéro dix.
Son morceau le plus connu aujourd’hui date de la même année, 1951. Curieusement ce n’est pas un hit à l’époque, le morceau ne se classe pas au Billboard, le hit-parade du rhythm and blues. Ce morceau s’appelle The Train Kept A Rolling et s’il est si connu aujourd’hui, c’est parce qu’il a joué un rôle dans l’émergence du rock ‘n’ roll. On l’écoute.
On est en 1951 et c’est du rhythm and blues, mais la voix, le rythme martelé par une batterie d’enfer et le hurlement du saxo dans le break, tout cela annonce le rock ‘n’ roll. Outre le fait que ce morceau devenu un classique n’ait pas été un hit en son temps, on doit relever comme autre curiosité qu’il ait fait l’objet de nombreuses reprises de la part de groupes rock / pop comme les Yardbirds, Aerosmith ou Motorhead. Il se raconte que Jimmy Page, le leader de Led Zeppelin, le citait comme un des premiers morceaux qu’il ait joué. Le monde est fantastique et plein de mystères, cela en fait partie !
En 1953 Tiny Bradshaw obtient un nouveau succès avec Soft, numéro trois au Billboard, puis avec Heavy Juice, numéro neuf. Ensuite, Tiny Bradshaw connaît de sérieux ennuis de santé deux attaques cardiaques le laissent paralysé) et il ne fait pas, partie des gloires du rhythm and blues qui sont montés dans le wagon du rock ‘n’ roll. Il meurt peu après en 1958 à 53 ans.
Tiny Bradshaw reste comme une figure importante du rhythm and blues.
8/ Dickie Bishop
On change encore de style, on va retrouver du skiffle, ce genre musical anglais de la deuxième moitié des années cinquante, issu du mouvement « trad » initié par Chris Barber, entre autres, qui avait pris son essor au lendemain de la seconde guerre mondiale avec un revival européen du jazz Nouvelle Orléans.
Outre Chris Barber l’initiateur et Alexis Korner le pionnier militant de la cause du blues en Europe, la grande figure du skiffle est Lonnie Donegan, qui s’appelait en fait Tony Donegan et qui avait troqué son prénom contre celui de Lonnie en hommage au bluesman Lonnie Johnson. Lonnie Donegan a eu un grand succès en 1958 avec la reprise d’un morceau de Leadbelly, bluesman et folksinger des années trente quarante, Rock Island Line. Les adeptes du skiffle étaient friands de ce genre de morceaux, comme ceux de Woody Guthrie ou de Peete Seger.
On va s’intéresser ici à Dickie Bishop , joueur de banjo et de guitare qui a remplacé en 1956 Lonnie Donegan dans le Chris Barber skiffle group, le groupe de Chris Barber. Dickie Bishop a enregistré avec ce groupe et plus tard rejoint la formation de Lonnie Donegan. Il a participé à l’album « Donegan on stage » qui est paru en 45 tours à 4 morceaux. Il forme ensuite son propre groupe et signe chez Decca qui a fait paraître quatre 45 tours.
On écoute l’un de ces morceaux, Shorty George, un morceau crédité à Alan Lomax, célèbre ethnomusicologue producteur de Leadbelly et de Woody Guthrie qui jouait aussi de la guitare..
Morceau disponible sur le CD intitulé « Great British Skiffle », volume 3 de la série « Just About As Good As It Gets » éditée par le label Smith & Co.
Dickie Bishop n’a pas eu beaucoup de succès. Plus tard il a rejoué avec Chris Barber et Lonnie Donegan.
L’histoire du skiffle est assez symptomatique de celle des revivals. Le skiffle britannique a d’ailleurs des points communs avec le blues revival américain qui démarre à peu près en même temps. Il n’y a pas d’avenir à rejouer les trucs du passé. Et les méchants ajouteraient : surtout en moins bien !
D’une manière générale, mieux vaut écouter Leadbelly et Woody Guthrie que les artistes de skiffle, même si certains de ces derniers comme Dickie Bishop, ont fait des choses sympathiques.
En fait le principal mérite du skiffle c’est d’avoir été l’une des sources du rock anglais qui émergera au début des années soixante. Les Shadows d’abord, puis les Beatles et les Rolling Stones, sont les héritiers de ce courant.
9/ Detroit Junior
Retour au blues avec un chanteur pianiste, Detroit Junior. Son vrai nom est Emery H. Williams Jr, il est né en 1931 dans l’Arkansas et il est mort en 2005.
Il fait ses débuts dans un club du Michigan en 1950 sous le nom de Little Junior Williams. En 1951 il enregistre pour un petit label, Great Lakes. Je ne pense pas que ces morceaux aient été édités. En 1953 il forme son premier groupe, les Blue Chaps. En 1956 il se fixe à Chicago et fréquente J.T. Brown, Eddie Taylor, Little Mack Simmons.
En 1960 il enregistre pour la firme Bea & Baby. Il en sort un 45 tours, avec sur la face A Money Tree, qu’on écoutera prochainement, et sur la face B So Unhappy Detroit Jr qu’on écoute tout de suite.
Detroit Junior est au chant et au piano, Eddie King à la guitare, Bob Anderson à la basse et Robert Whitehead à la batterie. Le critique Gérard Herzhaft mentionne aussi Little Mack Simmons et Eddie King au chant, mais comme sur ce morceau on n’entend qu’un seul chanteur, je pense que ces autres voix ne font partie que de l’ensemble présent sur la face A du 45 tours, Money Tree.
L’année suivante, en 1961, Detroit Junior forme un nouveau groupe. Il enregistre pour Chess, Foxy, Palos, C.J., USA, Tip-Top. A partir de 1967, il devient le pianiste attitré de Howlin’ Wolf jusqu’en 1975, date à laquelle la maladie contraint le loup hurlant à l’inactivité.
Detroit Junior travaille alors avec les autres costauds de Chicago James Cotton, Little Mack Simmons, Jimmy Reed. En 1971 il enregistre un album pour Blues On Blues. Par la suite il sortira des albums chez Alligator, Blue Suit, Sirens Records et Delmark.
Detroit Junior est un solide pianiste de Chicago, dont le jeu se rapproche de celui d’Otis Spann, le pianiste vedette de Muddy Waters. Il a travaillé avec brio avec les plus grands.
10/ Hal Paige
Et nous passons à du rhythm and blues new-yorkais avec Hal Paige. Il est difficile de trouver des renseignements sur Hal Paige qui est pourtant l’auteur d’une discographie abondante et plusieurs de ses morceaux se retrouvent sur des compilations diverses dédiées soit à des marques, soit au blues de New-York, soit au rhythm and blues.
Il semble qu’il ait débuté chez Atlantic. C’est ce label qui édite deux 45 tours, le premier en 1953 avec Drive It Home et Break Of Day Blues, le second en 1954 avec Big Foot May et Please Say You Do.
Il enregistre ensuite pour Paradise en 1955 puis pour J & S en 1957. Il passe ensuite chez Fury, la marque de Bobby Robinson, pour lequel il enregistre dès 1957. C’est en 1959 pour Fury encore qu’il grave le morceau qu’on va écouter : Going back To My Hometown.
Curieusement le nom du groupe de Hal Paige, The Wailers, s’orthographie de façon différente suivant les marques et les auteurs. On trouve parfois « The Wailers », comme pour le groupe de Bob Marley, les pleurnicheurs ; on trouve aussi « The Whalers », les baleiniers, ce qui n’a franchement aucun rapport et est plutôt étrange.
Les vinyls originaux de chez Fury mentionnent « The Whalers », les baleiniers. C’est la bonne orthographe. Charlie Gillett, auteur d’une splendide histoire du rock ‘n’ roll donne aussi cette bonne orthographe dans son bouquin. Il s’agit donc probablement d’une erreur grossière de certaines marques qui ont réédité les titres plusieurs décennies plus tard sans vérifier.
Voilà ce que je pouvais dire sur Hal Paige qualifié par Charlie Gillett de très bon chanteur inconnu auteur d’excellentes chansons de rhythm and blues. C’est son avis et je le partage !
Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE
Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :
https://www.radio-transparence.org/
Merci pour votre visite & Bon Blues !!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire