mercredi 9 mai 2018

Séance 26


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !



Séance 26 


1/ Ray Charles
On va commencer l’émission avec un géant de la soul music, Ray Charles ! 
Ray Charles a commencé à enregistrer chez Atlantic à partir de 1951. C’est en 1959 qu’il grave What’d I Say, son immense succès mondial que nous avons déjà écouté dans Hot Ariège. La firme ABC Paramount, avide de recruter des artistes de talents, n’a pas laissé le temps à Atlantic de s’organiser pour sortir un deuxième tube de Ray Charles ; elle l’a engagé aussi sec. Les maisons de disques, c’est comme les clubs de foot : les seconds se piquent les joueurs, les premières se chipent les artistes, avec des gros cachets à la clé.
Au début, ABC Paramount n’a pas pris de risques et a enregistré Ray Charles dans un style similaire à ce qu’il faisait chez Atlantic, avec notamment la formule magique : la chanson à réponse dans le style gospel, qui avait si bien marché avec le chœur des Raelets. 
On écoute une chanson bâtie dans ce style, Hit The Road Jack, parue en 1961.Le thème est simple : le mari essaie de s’accrocher aux basques de la femme, mais celle-ci n’en peut plus. Elle lui reproche de ne pas rapporter de money à la maison et elle lui ressasse : casse toi de là, Jack !
Voilà un morceau superbe, qui tient tout autant du rhythm and blues, du rock ‘n’ roll et de la soul. Avec tous ces publics visés et le talent de Ray Charles, le titre ne pouvait être qu’un succès. Ce fut le cas, puisque Hit The Road Jack a été numéro un au hit-parade rhythm and blues pendant cinq semaines et qu’il a dominé le Hot 100 , c’est-à-dire toutes musiques confondues, pendant deux semaines.
C’est chez Paramount que Ray Charles a enregistré des chansons telles que Georgia On My Mind. Mais en 1962, on lui a fait enregistrer une chanson de country and western, I Can’t Stop Loving You, dans l’idée d’élargir encore le public et si cette chanson-là a encore été plutôt bien foutue le style de Ray Charles a commencé à dégénérer par la suite. Il s’est passé exactement ce qui est arrivé à Elvis Presley, à qui RCA a fait enregistrer une version frissonnante de O Sole Mio, et qui est tombé dans la guimauve pour midinettes… Mais bon, il y a eu tout ce qu’ils ont enregistré avant et qui a fait d’eux des artistes majeurs de notre temps.


2/ Johnny Shines 
Retour au blues ; on va parler maintenant d’une victime de l’industrie du disque et du système. Il s’agit du chanteur guitariste Johnny Shines, né en 1915, mort en 1992.
Johnny Shines a pas mal bourlingué autour de Memphis dans sa jeunesse. Il a côtoyé pas mal d’artistes, comme Will Shade, le leader du Memphis Jug Band, l’harmoniciste Big Walter Horton, Howlin’ Wolf et surtout Robert Johnson qui a considérablement influencé son style. En 1941 il s’est fixé à Chicago. C’est en 1946 qu’il commence à enregistrer pour Columbia. On ne sait pas pourquoi, bien que les morceaux soient extrêmement réussis, la firme choisit de ne pas les éditer ! Quatre ans plus tard, en 1950, il grave deux faces pour Chess en compagnie de Little Walter, deux chefs d’œuvre, et là, rebelote : Chess ne publie pas les morceaux, sans doute parce que Johnny Shines s’exprime dans un style proche de celui de Muddy Waters et la firme ne veut pas créer de la concurrence pour son artiste vedette !
On ne soulignera jamais assez le mal que peut produire la concurrence dans le cadre du système. On nous dit que la concurrence est source d’émulation. En réalité, c’est l’art lui-même qui produit la volonté de dépasser ce qui a été accompli jusqu’alors, et donc l’émulation ; la concurrence commerciale, elle, qui ne parvient même pas toujours à écarter les productions les moins bonnes et qui parfois efface des talents, ne produit que de la frustration…
C’est finalement une petite marque, JOB, qui va sortir les premiers disques de Johnny Shines en 1952. Ce sont des faces superbes, époustouflantes ! On écoute l’une d’elles, Ramblin’. 
JOB n’a pas beaucoup de moyens. En 1959, sans contrat, Johnny Shines renonce à la musique. Il redémarre en 1965 grâce au blues revival, à la suite de quoi il a fait une carrière honorable.
Gérard Hertzhaft a écrit en 1979 que Johnny Shines était « reconnu par tous les amateurs comme un des plus grands bluesmen vivants ». J’estime qu’il n’a pas exagéré en écrivant cela. Johnny Shines n’a pas eu de chance, c’est tout. Il était taillé pour avoir une carrière comme celle de Muddy Waters. La vie lui en a réservé une autre.


3/ Skip James
Voici à présent un autre guitariste de blues, inclassable et grandiose, Skip James. 
Lors d’une émission précédente, Marc vous a présenté ce bluesman profond et original, né en 1902, décédé en 1969.
Bien qu’il soit né dans le Mississippi, Skip James ne joue pas du tout comme les bluesmen du Delta. Avec Skip James, pas de bottleneck rageur, pas de voix qui arrache, pas de rythme qui emporte. Skip James produit un blues subtil, fortement émotionnel, avec une voix douce qui part souvent en falsetto et une guitare qui déverse des notes étranges. Les experts se perdent en conjectures sur l’origine de ce blues tout à fait personnel et original qui laisse une empreinte profonde sur ceux qui y sont sensibles.
On écoute l’un de ses 17 titres gravés en 1931, Devil Got My Woman.
Devil Got My Woman, le diable a eu ma femme, Incroyable Skip James ! La chanson raconte l’histoire d’un homme qui préférerait être le diable qu’avec sa femme, qu’il a volée à son meilleur ami qui la lui a reprise.
My mind got to rambling like the wild geese from the west,
Mon esprit divague comme une oie sauvage de l'Est.
On ne retrouve ce genre d’image nulle part ailleurs dans le blues, alors que les paroles des blues utilisent très souvent des stéréotypes, des morceaux de phrase qu’on retrouve un peu partout.
Son phrasé, sa guitare, son style, ses paroles, tout faisait de Skip James un bluesman brillant et exceptionnel.


4/ Jackie DeShannon
On change complètement de style et d’époque avec une chanteuse de rock ‘n’ roll, Jackie DeShannon, de son vrai nom Sharon Lee Myers.    
Née en 1941, Jackie DeShannon a commencé à enregistrer en 1956 sous des noms divers : Sherry Lee, Jackie Dee, Jackie Shannon. Elle n’a jamais eu de succès en tant que chanteuse de rock ‘n’ roll, ce qui était largement immérité comme on va pouvoir en juger tout de suite. On écoute un morceau de 1958, enregistré sous le nom de Jackie Dee, Buddy.
Officiellement, ce morceau a été classé dans la musique country. La frontière entre la country et le rockabilly est parfois floue, mais honnêtement ce morceau a toutes les caractéristiques du rockabilly, je dirais même du meilleur rockabilly. Il paraît que c’est ce morceau qui a attiré l’attention d’Eddie Cochran, grâce auquel Jackie DeShannon a pu entrer chez Liberty Records. 
En 1962, Jackie DeShannon obtient deux gros succès et à partir de là commence pour elle une nouvelle carrière chez Liberty. Elle sera par la suite essentiellement compositrice. Elle a eu une liaison avec Elvis Presley, elle a participé à des films, elle a fait un groupe avec le guitariste Ry Cooder, elle a fait du folk et de la pop, bref sa carrière a été bien remplie. 
Rétrospectivement, on peut se dire que cela ne devait pas être facile de percer en tant que chanteuse de rock ‘n’ roll aux Etats-Unis, comme si la place d’idole avait été  réservée à un monde masculin, avec des héros à l’image de bad boys en blousons de cuir et au jeu de scène sexuellement provocateur ce qui scandalisait les esprits puritains de l’époque. Dommage pour quelqu’un comme Jackie DeShannon qui avait tout ce qu’il fallait pour réussir !


5/ Louis Jordan
On ne quitte pas complètement l’univers du rock ‘n’ roll, car le joueur de clarinette et de saxo dont on va parler maintenant, Louis Jordan, l’un des rois du rhythm and blues, est aussi l’un des grands précurseurs du rock ‘n’ roll.
J’ai eu l’occasion de dire au cours d’une émission précédente que Louis Jordan avait mis au point un style de rhythm and blues incroyablement efficace, à base de jump blues et de boogie. Il est l’auteur d’une dizaine de morceaux qui sont devenus des standards du blues et du rock ‘n’ roll. Louis Jordan est LA star des années quarante !
Louis Jordan, joueur de clarinette et de saxophone, est un musicien inclassable parce qu’il se situe au carrefour de plusieurs styles : blues, rhythm and blues, jazz, rock ‘r’ roll…. Avec Big Joe Turner et Fats Domino, il est un des grands précurseurs du rock ‘n’ roll. Le morceau qu’on va écouter, Caldonia Boogie, en est une preuve irréfutable.
Un tempo impeccable, un rythme irrésistible, des riffs ciselés par un orfèvre, un grain de folie, il y a de la magie chez Louis Jordan ! Louis Jordan, en tête des ventes de disques de rhythm and blues pendant une décennie, a joué un rôle immense dans l’histoire de la musique populaire américaine.


6/ Junior Brooks
Le musicien suivant est loin de posséder sa renommée. Il s’agit du chanteur guitariste Junior Brooks. Attention, ne pas le confondre avec un autre Brooks, Lonnie Brooks, qui se faisait aussi appeler Guitar Junior !  
En fait, on ne sait pas grand chose de Junior Brooks, sinon ce qu’en a dit le guitariste Drifting Slim avec lequel il a joué au début des années cinquante à Little Rock, dans l’Arkansas, au sein d’un petit groupe qui comprenait aussi Baby Face Turner, Sunny Blair et le batteur Bill Russell.
Tous ces bluesmen ont été enregistrés sur les recommandations d’Ike Turner pour la firme RPM/Modern des frères Bihari, basée à Los Angeles.
Junior Brooks, parfois surnommé Cripple Red, n’a enregistré qu’un seul single en 1951. On écoute l’un des morceaux de ce single, Lone Town Blues.
Selon Drifting Slim, Junior Brooks serait mort d’une crise cardiaque environ deux ans après les enregistrements pour Modern.
Les enregistrements pour Modern de toute la bande, Junior Brooks, Drifting Slim, Baby Face Turner, Sunny Blair et d’autres encore, sont disponibles dans une série de CD en 5 volumes édités par la marque Ace sous le titre « The Modern Downhome Blues Sessions ». Le morceau Lone Town Blues est inclus dans le premier volume sous-titré « Arkansas et Mississippi 1951-1952 ». 


7/ Byther Smith
Nous passons maintenant à un autre guitariste de blues, Byther Smith. 
Byther Smith, cousin du grand J.B. Lenoir, né  dans le Mississippi en 1932 est un bluesman de talent, révélé sur le tard dans les années quatre-vingt, à plus de cinquante ans. 
Arrivé à Chicago en 1956, il apprend la guitare avec Freddy Robinson et Hubert Sumlin. Il se produit dans les clubs du West Side de Chicago. Pendant cinq ans, il fait partie de l’orchestre de Junior Wells. Il enregistre des 45 tours, mais sur des petites marques, sans vrai succès, même si ses morceaux passent bien sur les radios noires.
Il faut attendre l’année 1983 pour qu’il trouve le succès avec un album intitulé « Tell Me How You Like It », issu de sessions pour la marque Grits. On écoute un morceau issu d’une de ces sessions paru ultérieurement dans un CD intitulé « Hold That Train ». le morceau s’appelle Hold That Train Conductor. C’est une reprise d’un titre de B.B. King, qui a eu une grosse influence sur lui, comme d’ailleurs sur tous les guitaristes d’après-guerre.
Après son succès de 1983, Byther Smith sort régulièrement des albums. Son dernier date de 2008, chez Delmark.
Byther Smith, c’est un guitariste de grande classe, du très bon blues de Chicago.


8/ Golden Gate Quartet
On change de style et on revient aux années d’avant-guerre avec le Golden Gate Quartet, un des plus célèbres ensembles de gospel.
Le groupe a été fondé en 1934, sous le nom initial des Golden Gate Jubilee Singers, par quatre étudiants de Norfolk : deux ténors Henry Owens et William Langford ; un baryton Willie Johnson et une basse Orlandus Wilson. 
Le groupe se signale rapidement par ses qualités qualifiées de « révolutionnaires » par Noël Balen, dans son histoire du negro spiritual et du gospel : « entrelacs d’harmonisations vocales, bruitages évocateurs, imitations d’instruments, présence d’un narrateur, méandres de ténor enchevêtrés aux lignes de basse, rythmes saccadés et toniques, tempos rapides, réponses au cordeau, preaching vibrant et syncopes précises ».
On écoute un morceau intitulé Josha Fit De Batthe Of Jericho.. 
Le groupe a connu un succès considérable. Ils se sont produits à la Maison Blanche en 1941 lors de l’inauguration du mandat du président Roosevelt, ils ont fait des films etc. Et il est arrivé après la guerre au Golden Gate Quartet exactement ce qui s’est passé pour Big Bill Broonzy dans le blues. : ils ont été dépassés par de nombreux groupes qui ont apporté une instrumentation, un jeu d’orchestre moderne, y compris électrifié etc. Et comme Big Bill Broonzy, ils se sont tournés vers l’Europe – ils se sont installés en France -, où ils ont joué le rôle d’ambassadeurs du gospel. Ce sont eux qui ont largement contribué à faire connaître le gospel en Europe et dans le monde.
Aujourd’hui, il y a toujours un groupe qui s’intitule Golden Gate Quartet. Evidemment, il n’y a plus aucun des quatre fondateurs. Et comme Noël Balen, même si les prestations du groupe actuel sont de bonne tenue, on peut s’interroger sur la possibilité de conserver indéfiniment un nom comme une espèce de label, détaché en fait du groupe d’origine et de l’esprit que ce dernier a incarné à l’époque.
Toujours est-il que le Golden Gate Quartet original a joué un rôle considérable dans l’histoire du gospel.


9/ Jackie Wilson
Le chanteur dont on va parler à présent compte, comme William Langford ou Orlandus Wilson des Golden Gate Quartet, parmi les très grandes voix de la musique noire. Il s’agit de Jackie Wilson. 
Jack Leroy Wilson Junior est né en 1934 dans le Michigan, il est mort en 1984. Il a commencé dans le gospel. Sa carrière professionnelle démarre en 1953, lorsqu’il remplace Clyde McPhatter au sein des Dominoes. Il assure parfaitement son rôle et en 1957 il entame une carrière solo.
Son premier titre, Reet Petite, ne remporte qu’un succès modeste au Billboard. Cela deviendra par la suite un hit mondial. On l’écoute.
Incroyable performance vocale de Jackie Wilson, dans un morceau écrit par Berry Gordy Jr, ex boxeur et futur fondateur de la marque Motown qui jouera un rôle considérable dans la soul music ! Jackie Wilson continue à travailler avec lui et cela donne en 1958 la chanson Lonely Teardrops qui atteindra le sommet du hit-parade rhythm and blues. 
Jackie Wilson a accumulé les succès dans les années cinquante et soixante. Il sort quasiment un album chaque année. Son style plutôt rock ‘n’ roll incarne la transition entre le rhythm and blues première manière et la soul music.
Son dernier grand succès, Higher And Higher, sort en 1967. En 1975, il est frappé d’une crise cardiaque sur scène et il tombe dans un coma dont il ne se relèvera pas.
Jackie Wilson était non seulement une grande voix mais il a joué un rôle dans l’évolution du rhythm and blues.


10/ Billy Branch
On termine l’émission avec du blues moderne., avec l’harmoniciste Billy Branch, qui était venu en Ariège il y a quelques années, lors du festival country de Prat-Bonrepaux. Pourquoi dans un festival country ? Mystère, en tout cas cela nous avait permis de l’entendre.
Il est né en 1951 dans l’Illinois, pas loin  de Chicago. Son premier enregistrement date de 1975, pour une petite marque, Barrelhouse Records. Sa carrière démarre vraiment quand il se fait engager par Willie Dixon dans le Chicago Blues All Stars aux côtés de Carey Bell, qui en est l’harmoniciste attitré. 
Il a fait ensuite une carrière solo, a fondé le groupe des « Sons of the Blues », les fils du blues, notamment avec Lurrie Bell, le fils de Carey, et il a multiplié les albums. Depuis une trentaine d’années, il est présent sur d’innombrables enregistrements.
On écoute un morceau enregistré en 1992, Everything Gonna Be Alright. 
Billy Branch - Everything Gonna Be Alright
 Carl Weathersby et Johnny B. Moore aux guitares, Ken Barker au piano, Willie Kent à la basse et Tim Taylor à la batterie.
Le morceau est disponible sur une compilation intitulée « Best of harmonica blues » parue chez Wolf.
Billy Branch allie une excellente technique à la tradition pure du blues de Chicago. Il est toujours en activité.


Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!

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