HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !
Séance 27
1/ Blind Blake
On commence l’émission avec un des pères fondateurs du blues classique, le chanteur guitariste Blind Blake. De même que Charley Patton est le fondateur du Delta blues, que Blind Lemon Jefferson est celui du blues du Texas, Blind Blake est la grande figure à l’origine d’un style qu’on appelle le Piedmont blues, ou l’east coast blues, le blues de la côte est.
Arthur Blake est né en Floride vers 1895 et il serait mort vers 1932. On ne sait pas grand chose de sa vie. Malgré sa cécité, il a pas mal voyagé dans les années dix et vingt : Géorgie, Kentucky, Texas, Oklahoma, Mississippi, Missouri, avant de gagner Chicago. C’est là qu’il enregistre pour Paramount entre 1926 et 1930 une centaine de titres pour la firme Paramount. Sa popularité était vraiment immense pour que Paramount sorte quasiment un disque de lui chaque mois !
On écoute Georgia Bound, un morceau enregistré en 1929.
Le blues de la côte est se caractérise par son caractère léger, son élégance et la virtuosité instrumentale de ses représentants. Blind Blake en est à la fois un pionnier et un de ses plus éminents.
Son influence sur les artistes de la Côte Est, et au-delà, est considérable. Blind Boy Fuller, Blind Gary Davis, Buddy Moss lui doivent beaucoup. Cette influence se fait même sentir sur les guitaristes de la génération d’après, comme John Jackson ou Larry Johnson. Le guitariste de country Merle Travis, sans doute l’un des plus grands virtuoses de l’histoire de la country, a reconnu l’influence qu’avait exercé Blind Blake sur son jeu.
A noter que Blind Blake a accompagné pas mal d’artistes, comme Gus Cannon, le joueur de banjo fondateur du string band des Cannon’s Jug Stompers, la grande chanteuse Ma Rainey auteur notamment de la chanson See See Rider, ou encore le pianiste Charlie Spand.
Blind Blake a laissé une œuvre discographique abondante disponible aujourd’hui sous plusieurs labels. Je recommande la série publiée par JSP Records en 2003 en cinq CD sous le titre « Blind Blake, All The Published Sides ».
2/ Big Joe Turner
Place maintenant à l’une des plus importantes figures de la musique noire d’après-guerre, Big Joe Turner, né en 1911 à Kansas City, décédé en 1985. On a déjà parlé de Big Joe Turner à propos de Roll ‘Em Pete, fantastique morceau de boogie woogie de 1938 où le pianiste Pete Johnson est accompagné au chant par Big Joe Turner et cette composition endiablée peut à mon avis être considérée – déjà ! – comme le premier rock ‘n’ roll de l’histoire, bien avant That’s All Right Mama interprété par Presley en 1954 évidemment, bien avant Rocket 88 de Ike Turner attribué de façon illégitime à Jackie Brenston en 1951 et considéré par certains experts comme le prototype du rock ‘n’ roll, bien avant les morceaux à base de boogie de Fats Domino à commencer par The fat Man sorti en 1949, bien avant aussi les tubes de Louis Jordan dont certains préfigurent clairement le rock ‘n’ roll comme Caldonia Boogie qui date de 1945.
Les deux compères, Big Joe Turner et Pete Johnson, se sont connus à Kansas City où ils travaillaient dans le même bar. Big Joe Turner essuyait les verres au fond du bar, tandis que Pete Johnson caressait les touches du piano. Et Big Joe Turner poussait, non pas la chansonnette mais des blues d’une voix forte, sa voix de shouter, de hurleur, entre deux consommations qu’il servait.
Big Joe Turner a fait une carrière extraordinaire qui a commencé dans les années vingt et dans les rues et qui l’a propulsé en haut de l’affiche à partir des années quarante. On l’a surnommé The Boss of The Blues, le patron du blues. Il est l’un des très rares chanteurs de blues, avec le pianiste Roosevelt Sykes, a avoir fait carrière sans interruption des années vingt jusqu’à sa mort dans les années quatre-vingt.
Son style lui permet d’être à l’aise au sein de tous les orchestres, blues, jazz ou rhythm and blues, qu’il soit accompagné par un pianiste comme Count Basie ou par un guitariste comme Elmore James. Et il est quand même assez incroyable que ce chanteur d’avant-guerre ait pu devenir une vedette du rock ‘n’ roll dans les années cinquante !
C’est pourtant ce qui s’est passé. la preuve par le son. On écoute ce qui est sans doute le titre le plus connu de Big Joe Turner, Shake, Rattle And Roll, enregistré en février 1954 pour la marque Atlantic.
A noter que Jesse Stone, le compositeur, faisait partie des chœurs, tout comme les cadres du labels, Jerry Wexler et Ahmet Ertegun, ce qui est quand même assez dingue ! A noter aussi que parmi les accompagnateurs, outre Sam Taylor au saxo ténor, on trouve des artistes comme Mickey Baker à la guitare et Connie Kay à la batterie, futur membre du célèbre MJQ, le Modern Jazz Quartet.
C’est donc cet assemblage assez incroyable qui a produit l’un des plus grands standards de l’histoire du rock ‘n’ roll. Evidemment la version la plus connue est celle de Bill Haley, enregistrée quelques mois plus tard en juin 1954, avec des paroles débarrassées du contenu sexuel de la version originale. Evidemment aussi, pour tout amateur de blues qui se respecte, il n’y a aucune comparaison possible entre la version puissante, syncopée, somptueuse de Big Joe Turner et la version nasillarde et sautillante de Bill Haley, même si ça reste un morceau sympa.
3/ Long John Hunter
Et voici maintenant un guitariste de blues, Long John Hunter, né en 1931 en Louisiane, décédé en 2016.
Long John Hunter forme un orchestre au Texas en 1953, avec le guitariste Phillip Walker. Il grave son premier disque pour la marque Duke en 1953. Il tourne ensuite dans des clubs au Texas, en Arizona. En 1960 il fait une tournée à travers les Etats-Unis puis il joue dans un bar à El Paso.
A partir de 1985 il sort une longue série d’albums. On écoute un morceau intitulé Border Town Blues issu d’un album de 1988.
Le CD d’origine ne semble plus disponible actuellement. En revanche le morceau qu’on vient d’entendre, Border Town Blues, est présent sur une compilation parue chez Norton en 1999 intitulée « Ooh Wee Pretty Baby », toujours disponible et hautement recommandable.
4/ Bob Dylan
A présent nous allons parler d’une figure de légende, Bob Dylan. Robert Allen Zimmerman, c’est son vrai nom, né en 1941 est évidemment une figure majeure de la musique populaire.
Je ne vais pas retracer toute la carrière de Bob Dylan, qui est assez largement connue. Je vais essayer plutôt de parler de son rapport au blues. Au départ, ses héros sont ceux du folksong blanc, Woody Guthrie bien sûr, Pete Seeger, Cisco Houston. Mais sans doute a-t-il écouté assez tôt des enregistrements de bluesmen. Son premier répertoire est déjà éclectique. On y trouve des ballades celtiques comme Pretty Peggy-O, du folk « old time » comme Stealin’, de la country, du gospel et du blues : Keep Your Hands Off Her, In The Evening, Baby Please Don’t Go.
D’une manière générale, l’influence du blues est présente chez Dylan. C’est quelque chose dans le style, dans la façon de laisser traîner sa voix en cherchant un son rauque qui rappelle plus certaines voix noires que celles des héros du folksong, dans les mots qu’il emploie pour trouver des images saisissantes. Ainsi il se situe quelque part entre d’une part les folksingers traditionnels des années trente et leurs héritiers du skiffle des années cinquante et d’autre part ceux qui, aux Etats-Unis et en Angleterre, cherchaient consciemment à retrouver les racines du blues comme John Hammond ou Alexis Korner.
Cette influence se traduit chez Dylan par des réminiscences issues du folk blues, du country blues, c’est-à-dire de Leadbelly, Henry Thomas, Jim Jackson, voire Mance Lipscomb.
La carrière de Dylan commence en 1961. Son premier engagement c’est de faire la première partie d’un spectacle de John Lee Hooker, ce qui apporte une pierre de plus à l’édifice car Dylan a déclaré avoir été séduit. Pour son premier enregistrement chez Columbia, toujours en 1961, il est soutenu par John Hammond et Johnny Cash.
On écoute un morceau de son deuxième album paru en 1963, « Freewheelin’ ». J’ai choisi un morceau qui est, non pas Blowin’ In The Wind que tout le monde connaît, mais une composition de Dylan qui est une chanson engagée en pleine crise des missiles de Cuba, A Hard Rain’s A Gonna Fall.
Dans la carrière de Bob Dylan, il y a une brisure. Cela se passe en 1965. Le héros du folk et de la musique acoustique sort un album avec une guitare électrique, en l’occurrence celle de Mike Bloomfield, qui deviendra plus tard une figure du blues boom de la fin des années soixante aux côtés de l’harmoniciste Paul Butterfield.
Le public folk ne suit pas. Pour les amoureux de la musique de Woody Guthrie et Leadbelly, c’est tout simplement de la trahison. Pourtant Dylan récidive peu après en sortant un nouvel album à la sonorité plus électrique et plus rock ‘n’ roll que jamais. Il restera dans l’histoire comme celui qui aura osé fusionner le folk et le rock.
Bob Dylan, c’est évidemment un symbole de l’engagement avec celle qui a été un temps sa compagne, Joan Baez. Il chante le 28 août 1963 lors de la marche pour les droits civiques à Washington, le jour où Martin Luther King a prononcé son fameux discours « I have a dream… » Tout ça pour finir par un prix Nobel de littérature controversé mais finalement accepté.
5/ K.C. Douglas
Retour au blues à présent avec le chanteur guitariste K. C. Douglas. Né dans le Mississippi en 1913, mort en 1975.
Au début des années quarante, K.C. Douglas a joué pendant plusieurs années avec le pionnier du Delta blues, Tommy Johnson. L’influence de Tommy Johnson sur K. C. Douglas restera profonde. Pourtant en 1945, il quitte le Mississippi et va travailler dans les chantiers navals de San Francisco. Il n’aura donc pas suivi l’exode classique vers Chicago mais le blues du Mississippi est ancré en lui. Même sur la côte ouest où règne un blues urbain et sophistiqué, quand il commence à enregistrer en 1948 c’est dans un style rural hérité du Delta.
Par la suite, K. C. Douglas a enregistré de nombreux albums, tous excellents. On écoute un morceau présent sur une compilation parue en 1998 chez Arhoolie intitulée Mercury Blues. Le morceau s’appelle Woke Up This Morning.
Le CD Mercury Blues chez Arhoolie est toujours disponible.
K.C. Douglas a passé les années soixante et soixante dix à jouer dans des clubs d’Oakland et de San Francisco. Il a aussi bien profité du blues revival et participé à de nombreux festivals.
Un bluesman authentique dont le jeu plonge dans les racines, une voix sereine, une guitare souple légère, la musique de K.C. Douglas est vraiment agréable à écouter.
6/ Billy The Kid Emerson
Nous restons dans le blues, mais avec un pianiste cette fois ; enfin, un chanteur pianiste et organiste. Il s’agit de Billy The Kid, pas le bandit de western mais Billy the Kid Emerson, né en 1939 en Floride.
C’est grâce à l’infatigable découvreur de talents Ike Turner que Billy The Kid Emerson peut venir à Memphis pour enregistrer chez Sun Records en 1954. On écoute un morceau de cette période, Something For Nothing
En 1955 Billy The Kid arrive à Chicago. Il signe d’abord chez Vee-Jay, le label de Jimmy Reed ; en 1958 il passe chez Chess, celui de Muddy Waters et de Chuck Berry.
Billy The Kid Emerson n’a jamais eu de grand succès. En revanche Elvis Presley a repris son When It Rains, It Really Pours et Billy Lee Riley ainsi que d’autres encore son Red Hot. Et ça a bien marché pour eux, merci. « Something For Nothing » vraiment, quelque chose pour rien…
Billy The Kid Emerson a créé sa propre marque de disques, Tarpon, et il a composé avec bonheur des blues pour d’autres.
7/ Johnny Bond
Séquence country à présent avec le chanteur guitariste Johnny Bond, né en 1915 dans l’Oklahoma, décédé en 1978.
En fait Johnny Bond a eu deux carrières : la première comme acteur de cinéma, la seconde comme musicien de country. Comme acteur, il a joué dans plus de 40 films, des westerns, dont « Duel au soleil » de King Vidor et la série Durango.
Comme musicien, il a commencé à enregistrer pour Columbia dès 1937. Après « Duel au soleil », il s’est concentré sur la musique. Et il a obtenu des succès ; notamment Ten Little Bottles en 1965 resté quatre semaines numéro deux au hit-parade country.
On écoute un morceau enregistré à Hollywood en 1950 intitulé Mean Mama Boogie.
Une prestation du groupe de Johnny Bond, les Red River Valley Boys, avec notamment Johnny Bond au chant et à la guitare, Jack Rivers seconde guitare et l’excellent harmoniciste Jerry Adler.
Johnny Bond a composé de nombreux standards de la country music, notamment Hot Rod Lincoln en 1960 ; une anecdote à ce sujet : pour pouvoir passer à la BBC, la radio nationale anglaise, le morceau a été rebaptisé Hot Rod Jalopy, car la BBC était intransigeante sur la publicité clandestine et le morceau qui vantait les mérites de la Cadillac Lincoln aurait pu passer pour un coup de pub.
8/ Fontella Bass
Un peu de soul music à présent avec la chanteuse et pianiste Fontella Bass, née en 1940 dans le Missouri, décédée en 2012.
Elle a commencé sa carrière professionnelle en 1958 en chantant dans un club dans le Missouri. Elle a ensuite rejoint le groupe de Little Milton comme pianiste. Puis elle a enregistré des morceaux produits par Ike Turner pour la marque Bobbin Records. Au début des années soixante elle se fixe à Chicago et signe chez Chess.
Le morceau Don’t Mess Up A Good Thing paru en 1965 lui assure un succès immédiat. Il atteint la cinquième place au hit-parade rhythm and blues. Elle récidive peu après, la même année en 1965, avec Rescue Me. C’est le morceau qu’on écoute.
Rescue Me se classe en première position au hit-parade rhythm and blues, en quatrième pour le classement général pop music. C’est la première fois que Chess vend un disque à plus d’un million d’exemplaires depuis les succès de Chuck Berry dix ans auparavant.
Rescue Me est un exemple typique de la politique d’une marque comme Chess. L’heure est à la soul music et au son de la Motown, la firme de Berry Gordy. Selon le critique Charlie Gillett, Rescue Me fut l’une des meilleures tentatives de Chess de reproduire le son Motown, sous la houlette du producteur Oliver Sain et du directeur artistique Billy Davis qui avait travaillé avec Berry Gordy, avant la création de la Motown.
Chess n’est cependant pas allé très loin dans cette voie-là. Quant à Fontella Bass, elle a quitté Chess assez rapidement. Elle a enregistré plusieurs albums pour d’autres marques, sans jamais retrouver le succès. Son dernier album est paru en 2001.
9/ Charlie Rich
Nous avons déjà parlé de Charlie Rich, surnommé « The Rockin’ Genious », chanteur pianiste qui a fait ses débuts avec la maison Sun à Memphis, né en 1932, mort en 1995.
Il est essentiellement un musicien de studio jusqu’à ce qu’une chanson enregistrée en 1959, parue en 1960, Lonely Week-ends, dans un style vocal très proche de celui d’Elvis Presley, atteigne le Top 30 dans les charts. On l’écoute.
Charlie Rich est resté chez Sun jusqu’en 1963, date à laquelle il passe chez RCA Victor, comme Elvis huit ans plus tôt, puis chez Smash, comme Jerry Lee Lewis à peu près à la même époque.
Charlie Rich a décroché un succès chez Smash, qualifié par le critique Charlie Gillett de « tube anachronique de rock ‘n’ roll ». il est vrai que c’était en 1965 et qu’à ce moment là le rock ‘n’ roll ne faisait plus guère recette. Le morceau s’appelait Mohair Sam et c’était une reprise d’un titre de Slim Harpo. Deux ans auparavant, il avait également repris le hit de Jimmy Reed, Big Boss Man.
A vrai dire son plus grand succès n’a rien à voir avec le rock ‘n’ roll, c’est une ballade enregistrée en 1973, The Most Beautiful Girl.
10/ Washboard Sam
On termine avec du blues, avec l’une des grandes vedettes d’avant-guerre, Washboard Sam. De son vrai nom Robert Brown, né en 1910, mort en 1966, ce joueur de washboard, une planche à laver sur laquelle on martèle le rythme avec des dés en métal, avait élaboré un style incroyablement efficace qui avait fait de lui l’un des artistes les plus populaires de Chicago.
Washboard Sam a gravé quelque 180 titres pour la marque Bluebird entre 1935 et 1949. Il était accompagné par les musiciens du label qui étaient aussi parmi les meilleurs de l’époque, comme Big Bill Broonzy à la guitare, Memphis Slim au piano ou encore Ransom Knowling à la contrebasse.
C’est justement dans cette configuration, avec Big Bill Broonzy, Memphis Slim et Ransom Knowling, que Washboard a enregistré en 1942 le morceau qu’on va entendre, Do That Shake Dance.
Morceau issu du volume 6 de la série « Washboard Sam - Complete Recorded Works In Chronological Order » publiée par le label Documents, soit 7 CD en tout pour les œuvres de 1935 à 1949.
Washboard Sam a peu enregistré après 1949, si ce n’est une séance mémorable avec Big Bill Broonzy pour Chess en 1953 et dont on parlera dans une autre émission.
Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE
Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :
https://www.radio-transparence.org/
Merci pour votre visite & Bon Blues !!
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