HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy
Séance 30 A
1/ Kokomo Arnold
On va pas mal voyager dans l’émission d’aujourd’hui et on commence avec du blues : nous allons parler d’un guitariste important des années trente, Kokomo Arnold. Son vrai nom est James Arnold. Il est né en Géorgie en 1901 et il est mort en 1969. Il doit son surnom à l’un de ses premiers succès, Original Old Kokomo Blues.
C’est un guitariste gaucher qui emploie la technique dite du « knife style », littéralement « style au couteau », qui se rapproche de la technique hawaïenne. La guitare est tenue à plat sur les genoux et le déplacement d’un couteau sur les cordes produits des effets de glissando très « chantants ».C’est un virtuose du genre.
On écoute un morceau enregistré en 1935 intitulé The Twelves (Dirty Dozens)
The twelves = les douze. Les « dirty dozens », littéralement sales douzaines, constituaient une espèce de rituel en vogue à l’époque. L’origine du mot est controversée. La première hypothèse se fonde sur le verbe « to dozen » qui, en vieil anglais, voulait dire étonner. D’autres avancent le fait que des chants de douze couplets étaient utilisés au XIXème siècle pour l’apprentissage de la bible. Quoi qu’il en soit, l’origine de la chose elle-même, elle, ne fait pas de doute. Elle est africaine. Dans le rituel des dirty dozens pratiqués par les adolescents noirs des classes populaires, les protagonistes insultent la famille de l’autre en présence de leurs pairs qui les excitent et apprécient les coups portés. C’était un véritable spectacle de duel de tchatche. C’est tout simplement l’origine du rap : d’ailleurs le « rapp » (avec deux p), ou le rapping en anglais étatsunien, c’est de la tchatche plus ou moins violente, assez insidieuse et manipulatrice où l’idée est d’amener l’autre là où on veut l’amener ; c’est l’une des techniques utilisées dans les dirty dozens, à côté du shucking, jiving, down running, capping, mounting (manipulation, mots à double sens, foutage de gueule, provocation). Alors le must, c’est le signifying où on provoque et on insulte carrément l’interlocuteur. Celui qui est réduit au silence a perdu et doit exécuter une conduite ritualisée qui marque l’allégeance au vainqueur. On ne le répétera jamais assez : toutes les musiques modernes puisent leur origine dans le blues !
Après cette digression sociologique, revenons à notre Kokomo ! Kokomo Arnold a réalisé ses premiers enregistrements à Memphis en 1930. Il se fixe à Chicago en 1932 et occupe un emploi dans une aciérie. A partir de 1934, il a enregistré pour Decca une abondante série de disques. L’un de ses grands succès est très connu : il s’agit de Milk Cow Blues, qui est en fait une reprise d’un morceau de Sleepy John Estes et qui deviendra un standard du blues, de la country et du rock ‘n’ roll.
Kokomo Arnold a accompagné beaucoup d’artistes de Decca jusqu’en 1940. Par la suite il s’est brouillé avec Decca et il a refusé de continuer à enregistrer. Il a repris son emploi à l’aciérie. Et quand il est retrouvé en 1959 à l’occasion de la vague du blues revival, il refuse encore de participer. Il existe toutefois une légende selon laquelle il aurait enregistré des bandes pour Willie Dixon, le pape du blues de Chicago dans ces années-là.
Alors si vous tombez sur une de ces bandes, sachez que vous avez déniché le gros lot ! Et venez en parler à Hot Ariège…
2/ Billy Boy Arnold
Nous quittons un Arnold pour en retrouver un autre. Il s’agit cette fois de Billy Boy Arnold, chanteur harmoniciste très populaire à Chicago dans les années cinquante.
Billy Boy Arnold, de son vrai nom William Arnold, n’est pas né dans le Mississippi, ni en Louisiane ou dans un quelconque Etat du sud. Il est né à Chicago en 1935. Il a commencé très jeune, puisque c’est à l’âge de douze ans qu’il s’initie à l’harmonica auprès de John Lee Sonny Boy Williamson, au moment où ce dernier est l’une des figures dominantes de la scène locale. Et à 16 ans il joue dans les rues avec Bo Diddley. A 18 ans, il grave son premier disque pour une petite marque, Cool.
Il joue ensuite avec des grands noms du blues de Chicago, Earl Hooker, Elmore James, Otis Rush. Il enregistre pour Chess aux côtés de Bo Diddley et signe en 1955 pour la marque concurrente, celle de Jimmy Reed, Vee-Jay. Dès la première année il obtient un succès important avec I Wish You Would.
Entre 1955 et 1957 il sort une dizaine de titres chez Vee-Jay, tous excellents. On écoute l’un d’eux I Ain’t Got You.
Les morceaux de Billy Boy Arnold ont été repris par de nombreux bluesmen, mais aussi par des artistes pop, comme les Yardbirds (le groupe d’Eric Clapton) ou David Bowie.
Billy Boy Arnold a fait de nombreuses tournées européennes. A ma connaissance, son dernier CD est sorti en 2014 et aux dernières nouvelles, il était toujours vivant.
3/ George Jones
Place au rock ‘n’ roll à présent, voici le chanteur George Thumper Jones, né au Texas en 1931 et mort à Nashville en 2013.
Le cas de M. Jones est un peu spécial puisqu’il n’a fait qu’une petite incursion dans le domaine du rockabilly et que cette incursion a produit au moins un morceau culte chez les amateurs.
En fait George Jones était un artiste de country music. Il a commencé à enregistrer en 1954 chez une petite marque, Starday, et a commencé à avoir des succès country à partir de 1955. Son mépris pour le rock ‘n’ roll est connu. Mais sous la pression des producteurs, en 1956, à l’heure où les succès d’Elvis Presley ravagent le paysage de la musique populaire, il enregistre quelques titres de rockabilly. Il demande seulement à réaliser les morceaux sous un pseudonyme pour ne pas entacher sa carrière d’artiste country. Voilà pour l’ambiance ! On lui trouve alors le pseudo de Thumper, l’écraseur. C’est donc sous le nom de Thumper Jones qu’il enregistre Rock It, avec Hal Harris à la guitare, qu’on écoute.
En fait, le morceau ne marche pas trop fort et le mépris de Jones pour le rock ‘n’ roll sort renforcé de cette aventure. Il retournera à la country music, style dans lequel il continuera d’enregistrer jusqu’en 2010. Signalons au passage que la marque Starday doit beaucoup aux succès, au pluriel, de George Jones dans la country. Quant au morceau Rock It, il est présent sur d’innombrables compilations de rockabilly.
4/ Joe Tex
Et nous continuons notre promenade à travers les différents styles de musique populaire dérivés du blues avec une star de la soul music, Joe Tex.
Son vrai nom est Joseph Arrington Jr. Il est né en 1933 au Texas et il est mort en 1982. Il a commencé sa carrière par dix ans de galère. Quand il a commencé à décrocher des succès en 1965, il avait enregistré une trentaine de morceaux pour différentes marques, King, Ace, Anna, et dans des styles différents – proche de Little Richard, gospel blues, gadget – mais aucun n’avait marché.
Il s’était cependant construit une solide réputation, notamment sur scène. Certains disent que c’est lui qui a inventé le jeune scène que James Brown aurait repris, tout ce cinéma avec le micro, la danse, les sauts… Autre sujet d’inimitié avec James Brown, son pire ennemi, la chanson Baby You’re Right enregistrée par Tex en 1962 qui n’a connu aucun succès alors que, reprise par James Brown, elle atteindra la même année la deuxième place au Billboard. On peut comprendre que ces deux-là se soient détestés…
C’est alors qu’arrive l’année 1965 et Joe Tex qui signe chez Atlantic place trois titres numéro 1 au Billboard : Hold What You Got, I Want To Do Everything For You et A Sweet Woman Like You. Trois numéros un la même année, c’est une bombe ! 1965 est l’année Joe Tex ! On écoute la deuxième chanson, I Want To Do Everything For You.
Joe Tex avait sans doute trouvé son style : des arrangements moins chargés, un rythme plus affirmé, des paroles moins moralisantes, une voix plus sensuelle. A partir de 1965 Joe Tex a enchaîné les succès. Son hit de 1971, I Gotcha, qui est resté vingt semaines classé au Billboard, s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires et était le titre le plus vendu à l’époque.
Joe Tex est une immense star de la soul music, curieusement moins connue du grand public que Wilson Pickett ou Otis Redding alors que son succès et son audience à l’époque n’ont pas été moins grands.
5/ Errol Dixon
Retour au blues avec un chanteur pianiste, Errol Dixon, né en 1937 en Jamaïque, ce qui est peu courant chez un bluesman. Il se fixe assez tôt à New York et fera sa carrière au Royaume Uni.
On écoute un morceau enregistré en 1975, I Found You.
► Errol Dixon - I Found You
Ce morceau est présent sur un album vinyl intitulé « Blues Is Trouble » réédité en 1984 par le label Happy Bird.
Un rythme appuyé, une voix voilée, c’est du bon blues. Errol Dixon a sorti une quinzaine d’albums, une trentaine de 45 tours. Toute sa production n’est pas au même niveau, mais c’est tout de même très bien.
6/ The Five Blind Boys Of Mississippi
Et le tour d’horizon continue, on voyage, on voyage : nous allons maintenant écouter du gospel. Mes très chers frères, mes très chères sœurs, pas de boogie woogie avant la prière du soir, mais du gospel s’il vous plaît !
Notre groupe s’appelle les Five Blind Boys Of Mississippi, les cinq garçons aveugles du Mississippi. A ne pas confondre s’il vous plaît avec un autre groupe au nom approchant, les Five Blind Boys of Alabama. La controverse est rude pour savoir lequel de ces deux groupes a pris le nom en premier et en fait il se pourrait bien qu’ils l’aient adopté en même temps, lors d’un concours où les deux étaient présents en 1948.
Quoi qu’il en soit, c’est de ceux du Mississippi que nous allons évoquer à présent. Le groupe a été fondé dans les années vingt par le directeur de la Piney Woods School, une école pour aveugles située à Jackson dans le Mississippi. Le groupe se fait d’abord connaître sous le nom des Cotton Blossom Singers et il rejoint les rangs des professionnels au début des années quarante.
Comme tous les groupes de gospel, la composition du quintette n’a pas arrêté de changer jusqu’à aujourd’hui où il continue d’officier. Le morceau que nous allons écouter a été enregistré en 1960, juste après la disparition du leader historique Archee Brownlee. Le morceau s’appelle I’ve Been Weeping For A Mighty Long Time et la composition du groupe était alors la suivante : Wilmer Broadnax et Lawrence Abrams ténors, Roscoe Robinson et Lloyd Woodard barytons, J.T. Clinkscales basse ; ils étaient accompagnés par Bobby Jackson à la guitare, le reste de l’orchestre n’étant pas connu.
Evidemment, plus aucun membre du groupe d’origine n’est encore vivant aujourd’hui.
À la fin des années 1960, le groupe avait sorti 27 singles et 2 albums pour Peacock. Dans les années 1970 et au début des années 1980, ils ont enregistré du matériel pour Jewel, et ils ont continué à tourner dans les années 1990.
The Five Blind Boys Of Mississippi font partie des groupes mythiques du gospel.
7/ Marie Adams
Et le voyage continue, nous voici maintenant au pays du rhythm and blues, au moment où celui-ci s’est transformé en rock ‘n’ roll, avec une chanteuse de poids, Marie Adams, - je vais vous expliquer le poids en question -, et un orchestre fameux, celui de Johnny Otis.
Marie Adams est née Ollie Marie Givens au Texas en 1925 et elle est morte en 1998. Elle a commencé à enregistrer chez Peacock en 1952. Elle réalise sept singles et l’un d’eux, I’m Gonna Play The Honky Tonks, décroche une troisième place au Billboard.
En 1953 Mary Adams rejoint l’orchestre de Johnny Otis dont elle devient un pilier. C’est elle qui recrute deux autres chanteuses pour l’accompagner, les sœurs Sadie et Francine McKinley, et elles prennent le nom de Three Tons Of Joy, trois tonnes de joie, un nom particulièrement approprié puisqu’à elles trois elles devaient peser pas moins de 400 kilos… Voilà l’explication de la chanteuse de poids.
Johnny Otis signe chez Capitol en 1957 et nos Three Tons Of Joy sortent 4 singles, qui n’ont guère eu de succès aux Etats-Unis, mais qui curieusement ont fait un tabac au Royaume Uni. Parmi les morceaux, il y avait A Fool In Love paru en 1957, qu’on écoute.
Ce morceau est présent sur la compilation éditée par Fantastic Voyage en 2011 intitulée « Let’s Have A Party, Girls Gone Rockin’ Volume 2 », coffret de trois CD, deuxième de la série Girls Gone Rockin’, consacrée au rock ‘n’ roll féminin.
Au début des années soixante, les Three Tons Of Joy quittent l’orchestre de Johnny Otis et enregistrent pour de petits labels. Marie Adams est revenue travailler avec Johnny Otis en 1972 et a continué à se produire jusqu’au milieu des années soixante-dix.
8/ Charity Pernell
Notre voyage nous amène maintenant en Virginie et nous allons découvrir le chanteur guitariste Charity Pernell, né en 1920 à Waverly en Virginie et qui est décédé dans cette même ville de Waverly en 1979.
Charity Pernell a été enregistré par Peter B. Lowry sur place, à Waverly. Peter B. Lowry, qui a travaillé avec le célèbre ethnomusicologue Alan Lomax pour la Bibliothèque du Congrès, fait partie de ces infatigables chercheurs qui ont sillonné des contrées rurales à la recherche de bluesmen de talent capables de délivrer une musique authentique, du country blues pur et dur. En ce qui concerne Lowry, la région qu’il a écumée pendant une dizaine d’années entre 1970 et 1980 est le Piedmont, c’est-à-dire la Virginie, la Géorgie et les Carolines (Nord et Sud). Lowry a également fondé une maison de disques, Trix Records, pour laquelle il faisait ses enregistrements.
Charity Pernell a réalisé des séances d’enregistrement pour Lowry en 1972 et 1975. Il en est sorti un album, « Charity Pernell The Virginian » édité par Muse Records, à qui Lowry avait vendu les droits de Trix.
On écoute un morceau de cet album qui fait partie des enregistrements de 1972. Il s’agit d’un classique du country blues, Black Rat Swing. .
► Charity Pernell - Black Rat Swing
On ne remerciera jamais assez ces chercheurs qui ont consacré une partie de leur existence à dénicher des trésors qui sans eux nous seraient restés inconnus. On a consacré une émission avec Marc à l’un d’eux, George Mitchell, mais il y en a d’autres comme Alan Lomax bien sûr, Peter Lowry, David Evans etc.
Pour revenir à Charity Pernell, les spécialistes estiment que son œuvre montre une ouverture réelle sur la société et l’histoire du blues alors qu’il a passé toute sa vie dans le même bled. En tout cas, la voix, la guitare, le style, tout se conjugue pour nous donner du country blues comme on l’aime.
9/ T-Texas Tyler
Voyage, voyage… C’est l’heure de parler un peu country music, avec un excellent chanteur guitariste, T-Texas Tyler.
Le vrai nom de T-Texas Tyler est David Luke Myrick. Il est né en 1916 dans l’Arkansas et est mort en 1972. Son surnom est évidemment tiré de la chanson mythique de Jimmie Rodgers, sa toute première, enregistrée en 1927 Blue Yodel (T for Texas).
On écoute une chanson enregistrée en 1948 pour le label 4-Star, Guitar Boogie Woogie. C’est un morceau quasi instrumental où T-Texas Tyler commente plus qu’il ne chante. Il annonce notamment la présence de Jimmy Pruett à la guitare et de Joaquin Murphey à la steel guitar. Le piano est tenu par Vic Davis.
Voilà un super morceau de country boogie annonciateur du rock ‘n’ roll qui arrivera quatre ou cinq ans plus tard.
T-Texas Tyler, surnommé « l’homme aux millions d’amis », a réalisé des enregistrements entre 1945 et 1950 pour deux maisons de disques : Black & White Records d’abord, en tant que membre d’un groupe The Six Westernaires, puis 4 Star Records. Ces enregistrements, dans un style honky tonk ou country boogie, lui ont apporté un grand succès.
En revanche, il ne parviendra pas à monter dans le wagon du rock ‘n’ roll et sa popularité a nettement décru dans les années cinquante. Il s’est alors spécialisé dans le country gospel et Il a pu sortir deux albums dans les années soixante, pour Capitol et Starday.
10/ John Lee Hooker
Pour terminer ce voyage nous allons passer par Detroit et par Chicago, avec le maître des maîtres, John Lee Hooker qu’on ne présente plus, sinon pour dire qu’il a fait ses débuts dans le blues en 1948 à Detroit, la grande ville du Nord, la ville de l’automobile, la ville des usines Ford et que le morceau que nous allons écouter a en fait été enregistré à Chicago pour Vee-Jay, la grande marque concurrente de Chess, la marque de Jimmy Reed. Marc nous a dit dans une précédente émission que la période de Chicago était la meilleure pour John Lee Hooker et je ne suis pas loin de partager ce point de vue.
On va écouter son morceau fétiche, peut-être celui qui est le plus connu, dont le riff ultra célèbre a été utilisé dans plusieurs pubs à la télé, Boom Boom. Evidemment il s’agit de la version originale de 1961 et le seul nom parmi les musiciens qui l’accompagnent qui est resté connu est celui de Hank Cosby au saxo ténor. On ne sait pas qui tient le piano, la basse ni la batterie.
Il existe de nombreuses versions de Boom Boom mais celle-ci est de loin celle que je préfère, même s’il existe une version de 1967 avec Eddie Taylor à la basse, dans un style très urbain et électrique, qui n’est pas mal non plus.
Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE
Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :
https://www.radio-transparence.org/
Merci pour votre visite & Bon Blues !!
Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE
Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :
https://www.radio-transparence.org/
Merci pour votre visite & Bon Blues !!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire