mercredi 5 septembre 2018

Séance 41


HOT ARIEGE
Du swing, des blue notes et du rythme
Avec Bruno Blue Boy !


Séance 41 


1/ Lloyd Price 
Chanteur de rhythm and blues né en 1933 en Louisiane. Il a démarré très vite, à 19 ans, et très fort. Son premier morceau, Lawdy Miss Clawdy, a été un super hit, le plus grand hit de l’année 1952 selon le Billboard. C’est le morceau qu’on va écouter. Il a été enregistré à La Nouvelle Orléans dans les studios de Cosimo Matassa qui a joué dans ces années-là un rôle considérable pour le développement des deux labels locaux, Specialty et Imperial. 
Lawdy Miss Clawdy a été édité par Specialty, le label du producteur Art Rupe. Art Rupe a fait appel au groupe du chef d’orchestre et producteur local Dave Bartholomew et à Fats Domino pour accompagner Lloyd Price. Lloyd Price chante, Fats Domino est au piano, Ernest McLean à la guitare, Frank Fields à la basse, Herbert Hardesty au saxo ténor, Joe Harris au saxo alto et Earl Palmer à la batterie.
Indiscutablement le jeu au piano de Fats Domino, qui colle remarquablement bien à la structure de la chanson, n’est pas pour rien dans l’énorme succès du morceau. En fait, les premiers enregistrements ont été effectués avec le pianiste du groupe de Dave Bartholomew, Salvador Doucette, mais Bartholomew n’était pas satisfait. Quand Fats Domino s’est pointé dans le studio, il lui a demandé de remplacer Doucette. Heureuse initiative !
Je ne vais pas citer tous les artistes qui ont repris Lawdy Miss Clawdy, il y en a trop, d’Elvis Presley à Paul McCartney en passant par Joe Cocker. Ce morceau est clairement l’un des plus grands hits de l’histoire du rhythm and blues.
Lloyd Price en a eu d’autres. Entre 1957 et 1959 il les collectionne chez le label ABC Records : Just Because, Stagger Lee numéro 1 au hit parade R&B et pop, Personality, - qui lui vaudra le surnom  de Mr. Personality -, I’m Gonna Get Married. 
 En 1962 Lloyd Price fonde une maison de disques, Double L Records, qui lancera Wilson Pickett. Par la suite, il en fondera une autre, Tuntable, et il ouvrira une boîte de ce nom à New-York. Il participe à la production de combats de boxe, notamment de Mohamed Ali. Il se lancera ensuite dans la construction, le bâtiment.
Lloyd Price est un chanteur important des années cinquante qui annonce déjà l’arrivée de la soul music.


2/ Thibodeaux Boys
La famille Thibodeaux fait partie de ces artistes cajun des années trente, comme le couple Cleoma et Joe Falcon ou les Rayne-Bo Ramblers de Happy Fats Leblanc  qui ont résisté à la pression envahissante de la langue anglaise et ont continué à s’exprimer dans leur langue francophone qui n’a quasiment pas évolué depuis le XVIIème siècle et qui n’est pas forcément très compréhensible pour nous. Aujourd’hui l’expression en langue francophone, un moment ravivée par Zachary Richard et son Travailler C’est Trop Dur, est devenue rare.
Mais dans les années trente elle était encore vivace. Le morceau des Thibodeaux Boys qu’on va écouter s’appelle Tu Peux Pas M’arrêter de Rêver, qu’on trouve orthographié « Tu Pen Pas Ma Retter De Revere », ce qui ressemble à une transcription phonétique d’un vieux patois.
C’est Joe Thibodeaux qui chante, joue de la guitare et sans doute de l’harmonica, avec Erbie Thibodeaux au violon et T.L. Thibodeaux à la mandoline.
Les Thibodeaux sont les auteurs d’une dizaine de morceaux, dont certains existent en plusieurs versions, qu’on trouve aujourd’hui sur des compilations de disques de cajun. J’en citerais deux : le coffret de deux CD édité par Frémeaux en 1994 intitulé « Cajun Louisiane 1928-1939 » et le coffret de quatre CD édité par Socadisc en 2008 « Cajun : Rare & Authentic ».


3/ Bob Stroger   
Il est plutôt rare qu’un bassiste sorte un disque sous son propre nom. Les bassistes sont en général cantonnés à accompagner un leader et c’est ce que le chanteur bassiste de blues Bob Stroger a longtemps fait.
Il est né en 1930 dans le Missouri. Il arrive à Chicago en 1955. Il fait un peu de jazz et sa rencontre avec Eddie King le pousse à se tourner vers le blues. Il accompagne Eddie King pendant une quinzaine d’années puis il arrête la musique. Il reprend à la fin des années soixante-dix et accompagne Otis Rush pendant une dizaine d’années. Il devient ensuite un musicien de studio.
C’est sa participation au Lucerne Blues Festival en 2002 qui donne un tour nouveau à sa carrière. Sa prestation est enregistrée et cela donne son premier album édité par Crosscut « In The House – Bob Stroger & His Chicago Blues Legends ». 
On écoute un morceau de l’album qui s’appelle Gonna Make Some Changes. 
Bob Stroger est au chant et à la basse, James Wheeler et Billy Flynn au chant et à la guitare, Ken Saydak au chant et au piano, Ron Sorin à l’harmonica et Marty Binder à la batterie. 
Bob Stroger a sorti un deuxième album chez Airway en 2007 avec Willie Smith à l’harmonica et la chanteuse Deitra Farr. Depuis, à ma connaissance, plus rien. Mais bon, ça lui fait 88 ans, il peut se reposer. Dommage qu’il n’ait pas sorti des albums sous son nom plus tôt.


4/ Texas Alexander, 1900-1954 
Quand on a consacré une séance au blues du Texas avec Marc, nous avons passé quelques morceaux d’avant-guerre, mais bien sûr on a dû se limiter. Nous n’avons pas eu la place pour parler de Texas Alexander alors que ce chanteur fut, selon le critique Gérard Herzhaft, la voix du Texas des années vingt, la voix qui a impressionné toute une génération.
Son vrai nom est Alger Alexander. Il est né en 1900 au Texas, près de Houston ; il est mort en 1954. Il travaille d’abord dans une plantation, puis joue dans les rues. Il va de ville en ville en se faisant accompagner par des guitaristes locaux. 
Entre 1927 et 1930 Texas Alexander enregistre abondamment pour le label Okeh. Il est souvent accompagné par des guitaristes brillants, comme Lonnie Johnson ou Eddie Lang. En 1934 il enregistre pour Vocalion ; il est alors accompagné par les Mississippi Sheiks.
On écoute un morceau édité par Vocalion, Katy Crossing Blues.
Un mot d’explication sur le « Katy Crossing », mot à mot la traversée de Katy. Katy, c’est ainsi que les Noirs désignaient à l’époque la ligne de chemin de fer de la Missouri, Kansas and Texas Railroad Line, qui dessert Kansas City, Fort Worth, Dallas, San Antonio et Houston. Tout le monde descend ! Et si Texas Alexander parle de blues, c’est évidemment pour une histoire de rupture avec une femme…  
Entre 1927 et 1934, Texas Alexander a enregistré 67 faces en tout. Pour les guitaristes, il était difficile de l’accompagner car son chant est assez primitif ; il est dérivé des « hollers », les chants de travailleurs agricoles avant que le blues proprement dit soit véritablement constitué, et le rythme, la gamme, tout fluctue au fil de l’eau. 
Les premiers auteurs sur le blues écrivaient que Texas Alexander a fait de la prison pour avoir assassiné sa femme. C’est controversé aujourd’hui car la prison où il aurait été interné aurait été située à Paris – Paris, dans le Texas évidemment, comme dans le film de Wim Wenders !. Problème, il n’y a jamais eu de prison à Paris. Mais peut-être que Texas Alexander aurait pu travailler dans une ferme de travail de la région.
En tout cas il réapparaît en 1944. Il joue à ce moment-là avec Lightnin’ Hopkins. Il enregistre encore deux titres en 1950 pour le label Freedom et tombe dans l’oubli. On peut dire cependant qu’il est resté vivant dans une certaine mesure à travers Lightnin’ Hopkins et Smokey Hogg. 


5/ Charlie Feathers, 1932-1998
Place à présent au rockabilly avec Charlie Feathers, né dans le Mississippi en 1932, décédé en 1998.
Charlie Feathers est un artiste maudit. Il commence comme musicien de studio chez Sun, la marque de Sam Phillips à Memphis. Il est le co-auteur de la chanson écrite pour Elvis Presley I Forgot To Remember To Forget. La version d’Elvis réalisée sur mesure pour gagner le cœur du public country atteint son but puisqu’elle atteint la première place au hit parade country en 1955.
Seulement voilà, Charlie Feathers ne se sent pas apprécié chez Sun à sa juste valeur. Il prétendra avoir joué un rôle déterminant dans l’élaboration du son Sun ; une opinion, pas du tout partagée par Phillips. Charlie Feathers ira jusqu’à imaginer qu’il y avait un complot contre lui pour l’empêcher de réussir.
Quoi qu’il en soit, il quitte Sun et signe d’abord chez Meteor puis chez King où il réalise l’essentiel de son œuvre. 
On écoute sa version de I Forgot To Remember To Forget. 
Charlie Feathers a réalisé ultérieurement une autre version du morceau. Dans les années quatre-vingt, il joue dans des boîtes de nuit. Il a fait plusieurs albums. 
Charlie Feathers, c’est du bon rockabilly. Il n’y a sûrement pas eu de complot mais c’est vrai qu’il aurait pu faire une autre carrière. 


6/ The Du-Droppers
Les Du-Droppers sont un groupe de doo-wop new-yorkais formé en 1952 avec quatre chanteurs issus du gospel : Caleb JC Ginyard voix principale, Willie et Harvey Ray ténors ou barytons suivant le cas et Eddie Hashaw basse qui a rapidement quitté le groupe. Le leader du groupe, Caleb JC Ginyard, avait décroché un hit en 1942 au sein du groupe de gospel des Jubalaires. 
Le début des années cinquante est une période charnière qui voit se constituer les groupes de doo-wop, attirés par le succès des Dominoes en 1951 avec le titre Sixty Minute Man que nous avons déjà eu l’occasion d’entendre.
D’ailleurs il est bien caractéristique que la première chanson enregistrée par les Du-Droppers en 1952, Can Not Do Sixty No More paru chez Red Robin Records,  soit une chanson réponse au succès des Dominoes. Bien que le morceau soit un succès, les Du-Droppers quittent Red Robin pour un label qui fait partie des majors, RCA.
Dès 1953 ils classent deux morceaux à la troisième place du Billboard dans la catégorie rhythm and blues : I Wanna Know et I Found Out (what you do when you go round there). Et début 1954, RCA crée une filiale, Groove, destinée à infiltrer le monde des indépendants. C’est sur ce label que la marque édite les morceaux suivants des Du-Droppers. On écoute l’un d’entre eux, Talk That Talk, avec Mickey Baker à la guitare et Bud Johnson au saxo.
Une explication sur le titre, donnée par un ouvrage qui s’intitule « Talkin’ That Talk, le langage du blues et du jazz » de Jean-Paul Levet paru chez Hattier en 1992. « Talk That Talk », ça veut dire avoir le baratin, la tchatche dans le vent de quelqu’un d’affranchi, libéré. C’est une expression très usitée par le peuple du blues.
Les Du-Droppers ont sorti de nombreux 45 tours chez Groove entre 1954 et 1955. Le départ du leader Caleb Ginyard en 1956, revenu au gospel au sein du Golden Gate Quartet, a scellé la fin du groupe.


7/ Blind Gary Davis,  1896-1972
Après la musique du diable, retour aussi pour nous à la musique religieuse, ou quasi religieuse, avec un « guitar evangelist », un prédicateur de rue guitariste, Blind Gary Davis qu’on appelle aussi Reverend Gary Davis. Je parle de musique quasi religieuse parce que Blind Gary Davis a également interprété de la musique profane et aussi parce que son traitement des pièces d’inspiration religieuse est celui du blues. Ce mariage porte d’ailleurs un nom : on per le de « holy blues », « blues sacré », ce qui est un peu un oxymore mais qui en fait traduit une réalité musicale. 
Chanteur, joueur d’harmonica, de banjo et de guitare, Blind Gary Davis est né en Caroline du Nord et c’est l’un des plus brillants guitaristes de la côte est ; Gérard Herzhaft écrit même « un des meilleurs guitaristes de l’histoire de la musique ».
Il a commencé à enregistrer en 1935 pour ARC. C’est un morceau de cette période qu’on écoute : Lord, I Wish I Could See, « Seigneur, je souhaite pouvoir voir », un titre à double sens de la part d’un aveugle désireux de voir la lumière divine.
Entre 1936 et 1940 il sillonne le sud est en officiant et en jouant dans les églises et les rues. C’est en 1940 qu’il se fixe à New York et il prêche à Harlem. A partir de 1954 il enregistre abondamment pour des marques diverses. Dans les années soixante, il se produit essentiellement en concert dans les universités américaines et il exécute de nombreuses tournées, y compris en Europe. Ce virtuose exceptionnel est une référence et une influence majeure pour les guitaristes folk qui ont émergé dans ces années-là. 


8/ Bobby Charles, 1938-2010
Ce chanteur né en Louisiane est aussi un artiste maudit. Il était tellement imprégné de la culture rhythm and blues et sa voix correspondait tellement à ce style que tout le monde le prenait pour un Noir. Leonard Chess, le boss de la grande marque de Chicago l’a fait venir de Louisiane sans le connaître ; quand il le rencontre, Leonard Chess a un véritable choc en découvrant que Bobby Charles n’est pas noir. Sur le coup ça a bien fait marrer Bobby Charles mais alors que les ventes de ses disques marchaient super bien auprès du public noir, lorsque sa photo a été publiée les ventes se sont effondrées. 
Son vrai nom est Robert Charles Guidry et c’est un pionnier de la swamp pop, ce genre musical de Louisiane dont son ami d’enfance Warren Storm est une figure importante. Nous avons parlé de la swamp pop lors d’une émission consacrée à Jay Miller, le producteur de Louisiane.
Bobby Charles a réalisé sept disques pour Chess et parmi les morceaux qu’il a enregistrés il y a la version originale de See You Later Alligator qu’on écoute.
Si Bobby Charles est un artiste maudit, c’est aussi parce ce que ce super morceau si prometteur a été repris par Bill Haley qui en a fait un hit et qui en a récolté la gloire et le pognon !
Après sa période Chess, Bobby Charles grave deux morceaux pour Jay Miller puis il signe chez Imperial. Il a aussi sorti des titres chez Jewel et pour d’autre labels plus petits.
Bobby Charles était un compositeur de talent. Il a travaillé avec Fats Domino, son idole d’adolescence, pour lequel il a composé des morceaux comme Walking To New-Orleans ou It Keeps Rainin’. 


9/ Wilbert Harrison, 1929-1994
Wilbert Harrison, chanteur, pianiste, guitariste et harmoniciste, est une figure importante de la scène de New-York dans les années soixante. Il a commencé à enregistrer en solo en 1954. Nous avons déjà parlé de son premier succès majeur de 1959, Kansas City, une reprise du morceau de Little Willie Littlefield paru en 1952, qui a décroché une place de n°1 au hit-parade et qui est devenu l’un des plus grands standards de l’histoire du blues et de rock ’n’ roll. 
Durant les années soixante, Wilbert Harrison a enregistré pour une quantité de petites marques sans décrocher de succès et ce genre de labels ne sonnaient pas de seconde chance à un auteur.
Il aura fallu près de dix ans pour que Wilbert Harrison rebondisse avec un deuxième succès grâce à la reprise d’une de ses propres chansons de 1962 qui s’appelait Let’s Stick Together et qu’il a transformée en Let’s Work Together. On l’écoute.
Ce morceau, édité par le label Sue Records, a été classé trente-deuxième au hit-parade et il est devenue un tube mondial avec la reprise dans les mois qui ont suivi par le groupe de blues rock Canned Heat. 
Il serait réducteur de ne considérer Wilbert Harrison que sous l’angle de ses deux succès. Il est l’auteur d’une série de titres absolument super, notamment ceux où il se fait accompagner par le remarquable guitariste Wild Jimmy Spruill. Et nous aurons l’occasion d’en reparler.



Vous pouvez écouter les morceaux présentés ici en cliquant sur le titre de la chanson en ROUGE

Vous Pouvez écouter "Hot Ariège" en direct les mercredis a 19h sur Radio Transparence :

https://www.radio-transparence.org/

Merci pour votre visite & Bon Blues !!

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